Déjà cinq années se sont écoulées depuis la publication controversée de l'article parodique et satirique de Alan Sokal; ce à partir de quoi s'est édifiée la fameuse "affaire" du même nom. Rarement les conflits et tensions au sein du monde académique, des cercles intellectuels, etc., ont été aussi saillants: l'imaginaire de la "guerre des sciences" avait largement de quoi être conforté. Le physicien new-yorkais souhaitait au départ réagir contre deux phénomènes selon lui typiquement liés à une certaine pensée "postmoderne": d'une part, l'usage abusif des cadres linguistiques des sciences dites "exactes" (analogies et métaphores scientifiques, "imitation littéraire" des cadres de référence conceptuels, stratagèmes terminologiques légitimant la vacuité et la non-signifiance de théories pseudo-scientifiques, etc.); d'autre part, le relativisme cognitif ou épistémique, pensé par lui comme étant une sorte de "péril" socioculturel.
En décalage par rapport aux réactions journalistiques et irrationnelles que l'affaire Sokal a suscité, nous proposons de réfléchir sur les enjeux fondamentaux qu'une telle controverse engage sur le fond: appréciation du statut socio-cognitif de la connaissance scientifique, normes de construction de la textualité analogique, définition des critères de démarcation entre champs disciplinaires, critères de validité cognitive d'une théorie, évaluation d'un style argumentatif, transposition de termes entre champs conceptuels, liens entre relativisme épistémique et dénigrement culturel de la science, etc.
Un espace de discussion réflexive mettant clairement sur table les diverses dimensions de la polémique, sans répondre candidement aux sirènes de l'irrationnel, peut raisonnablement et sérieusement, dans le cadre d'un numéro thématique de la revue Esprit critique, voir le jour, et par-là permettre d'associer des points de vue certainement différents mais qui traduiront intelligemment toute la complexité du débat considéré.