Ouvrage:
Philippe Combessie, "Sociologie de la prison", Paris, Editions La Découverte, Collection Repères, 2001, 128 p.
Le côté sombre de la démocratie.
"La démocratie suppose, comme la justice, la visibilité, alors qu'on a tendance à garder la prison cachée. Se donner les moyens de la regarder en face, c'est assumer le côté sombre de la démocratie. Ainsi seulement on peut assumer les risques, les difficultés de vivre en démocratie. (...) Si cet ouvrage ne devait avoir qu'un seul objectif, ce serait d'oeuvrer dans le sens d'une plus grande visibilité de cette part d'ombre de la démocratie." (Sociologie de la Prison, Conclusion: Prison et Démocratie, Eclairer la part d'ombre des sociétés démocratiques, Philippe Combessie)
Ce texte nous aide à placer les pratiques pénitentiaires et les politiques pénales dans une perspective sociologique globale. Une approche globale de la prison, développée par l'auteur, capable de remettre la prison au centre des enjeux sociaux et lui restituer une visibilité face aux processus d'occultation et dissimulation dont elle est toujours l'objet, avec une capacité considérable de rendre compte de cette institution. La prison c'est une institution récente, un instrument des Etats modernes pour la mise en pratique de sanctions pénales, découlant des orientations et des capacités des sociétés actuelles dans la gestion d'une complexité sociale consolidée, produisant en même temps des individus et des groupes sociaux déviants.
Présenter la prison à partir des analyses développées par les chercheurs en sciences sociales, avec une synthèse fondamentale et importante de leurs orientations de recherche et des conclusions avancées, soutient une réflexion sur les connaissances produites par les analyses sociologiques au sujet des origines et des justifications de l'institution carcérale. Les problématiques touchant les individus vivant et travaillant dans ces établissements, détenus, professionnels et opérateurs sociaux, et les politiques sociales qui vont les concerner, sont aussi considérées tout en examinant les politiques pénitentiaires et pénales et les théories des sanctions relatives au système carcéral.
Ce canevas général, dans lequel se précise l'articulation du texte, nous offre un parcours nous permettant d'envisager la prison, avec une réflexion sociale et historique, comme l'instrument adopté et privilégié pour la régulation, le contrôle et le traitement des comportements sociaux. L'analyse de lieux distincts d'enfermement et des caractéristiques sociologiques des acteurs de la prison, ainsi que l'analyse du rapport avec les logiques de la sanction, de la détention et de la justification de la prison, ouvrent décidément une interrogation sur le rôle et les enjeux des pratiques carcérales au sein des sociétés démocratiques.
Pratiques carcérales et problématiques sociologiques fondamentales.
Les lecteurs découvriront les idées ainsi résumées tout en s'aidant par des encadrés, une spécificité des éditions comprises dans cette collection, utilisés considérablement pour focaliser les phénomènes décrits et apporter plus de précisions concrètes. Dans ce livre j'estime, pour ma part, qu'il soit fortement appréciable l'effort réalisé pour offrir des indications fécondes pour des recherches sociologiques dans ce domaine. C'est ainsi que j'ai résumé dans les trois problématiques suivantes les trois axes de recherches moins développées dans l'analyse sociologique de la prison.
La méconnaissance des prisons: les trajectoires de l'enfermement et les parcours sociaux en amont et après la prison.
L'analyse des caractéristiques sociologiques des détenus et de leurs parcours dans les lieux d'enfermement, depuis les cellules de garde à vue jusqu'aux établissements pénitentiaires, maisons d'arrêt et maisons centrales, montre certaines spécificités dans la population incarcérée. La première partie de la question concernant la méconnaissance des prisons est ainsi posée. Les études ont souvent traité de manière différente les trajectoires des individus après et surtout avant la période de l'incarcération, elles ne sont sûrement pas comparables à celles réalisées sur l'organisation carcérale; les difficultés posées par ce terrain spécifique de recherche sont la cause principale de leurs insuffisances.
Il est pourtant fondamental connaître ce qui se passe en amont de l'institution carcérale, étant donné que la condition des prisons est déterminée en grande partie par les processus sociaux et institutionnels qui s'opèrent à différents niveaux. La direction indiquée pour envisager et développer des nouvelles recherches c'est en conséquence l'observation, au niveau pénale, de l'enchaînement des interventions et des traitements distinctifs pratiqués par différents professionnels, vis à vis des individus pendant leur parcours avant e après l'arrestation. Le niveau législatif, considérant sa portée dans les processus de sélection des personnes et dans le développement de leur parcours pénal, sollicite de creuser d'avantage la problématique des normes sociales: la protection des normes sociales et la sanction des pratiques déviantes.
Une deuxième interrogation posant la question de la méconnaissance des prisons intéresse la gestion et la vie quotidienne des prisons, s'attachant en particulier au personnel interne et externe aux prisons, les intervenants externes et les proches des détenus. Ces études, n'ayant pas eu la capacité de concevoir et réaliser des projets de recherche d'une certaine ampleur, n'ont pas placé ces acteurs sociaux au centre des leurs attentions. Il en suit la nécessité d'analyses comparatives des trajectoires de ces acteurs, pour pouvoir considérer leurs pratiques et comprendre la spécificité de l'institution carcérale.
Politiques pénitentiaires et pénales: la diminution des enfermements pour de courtes périodes et l'augmentation des enfermements de longue durée.
Les politiques concernant la prison intéressent les pouvoirs publics engagés dans la gestion du domaine pénitentiaire, les procédés de détention, et du domaine pénal, la fonction de la prison dans la rationalisation judiciaire des collectivités. Les doctrines auxquelles se référent les politiques de l'enfermement, considérées dans leurs différentes théories et systèmes du traitement carcéral, risquent d'aboutir à des résultats analogues: l'accroissement du nombre d'incarcérations. C'est une conséquence inéluctable de toutes orientations politiques dans le domaine pénitentiaire, une menace qui confirme les limites des administrations pénitentiaires se limitant au contrôle des détenus mais ne pouvant pas contrôler le flux de ces dernières en entrée et en sortie.
Cet autre questionnement ne fait qu'introduire une deuxième problématique fondamentale: la coexistence de deux orientations divergentes dans le phénomène de l'enfermement, la diminution des incarcérations pour de courtes périodes et l'augmentation des incarcérations de longue durée. C'est l'observation du phénomène dit de dualisation. Ce sont les causes de ce phénomène à être remises en cause: les pratiques des magistrats et la modification des lois utilisées pour sanctionner des comportements réprouvés pénalement.
Société, systèmes de contrôle et réhabilitation de la déviance: la fonction de la prison dans le traitement des comportements sociaux.
L'analyse des recherches sociologiques concernant la prison établie des distinctions essentielles: une première distinction concerne les études dont l'objet de recherche, la prison, est examinée comme une société; une deuxième distinction concerne les études observant la prison comme indicateur significatif et révélateur des sociétés. Dans le premier groupe l'auteur différencie deux axes de recherche: les détenus placés au centre des analyses caractérisent le premier axe, tandis que l'examen de la structure de l'organisation carcérale prévaut dans le deuxième axe sur les relations et la vie quotidienne des détenus, on s'intéresse à d'autres acteurs, au fonctionnement de l'institution et la répartition des pouvoirs. Dans le second groupe de recherches c'est manifeste l'importance de la place de la prison dans la société.
C'est une nouvelle perspective qui pose une troisième problématique fondamentale: ne plus considérer la prison comme un espace social autonome mais rétablir la relation entre la prison et son environnement, déployer des analyses capables de rendre compte de la société en relation à ses prisons et de la prison dans son rapport avec la société. La question de la récidive c'est un phénomène proposé comme exemple de cette perspective. L'approche classique et globale de la récidive deviennent les modèles théoriques de comparaison pour considérer ce phénomène. Le système carcéral doit corriger et modifier les personnes enfermées dans l'approche classique, tandis qu'une approche globale envisage la prison comme un des instruments et des procédés constituant l'appareil pénal.
Ces réflexions nous amènent à observer les processus sélectifs orientant, en amont des traitements en détention, les trajectoires des individus dans le système pénitentiaire. Les politiques pénitentiaires et sociales de réduction des risques de récidive, dans les espaces des systèmes du contrôle social, vont se confronter aux contradictions sociales remettant en cause les différentes théories sur la réhabilitation des déviances pénalement sanctionnées, par le simple fait que la récidive reste indépendante des traitements développés par l'administration pénitentiaire.