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Les méthodes qualitatives: une innovation salutaire dans les sciences sociales en Afrique
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par Ibrahima Amadou Dia |
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Introduction:
Engagé dans une entreprise d'élucidation du réel social qui ne s'offre pas au premier regard, le sociologue africain doit être animé des vertus telles que la passion, la prudence et la persévérance, condition sine qua non pour atteindre des conclusions pertinentes. La recherche scientifique est un travail constant de dévoilement qui nécessite l'observance des principes fondamentaux que sont la rupture, la construction de l'objet et la constatation. Cadres d'expression de rationalités, de faisceaux d'émotion et d'intentionalités, de normes, de modèles, de systèmes, les phénomènes sociaux sont des objets transversaux et s'appréhendent à travers le choix d'une ou de plusieurs méthodes.
Héritières de la tradition positiviste (formalisme, langage mathématique), les méthodes quantitatives, à la différence des constructions quantitativistes, prennent en compte la centralité de l'individu et se présentent comme une innovation dans les sciences sociales en général et dans les espaces africains en particulier. Cette présente réflexion s'attachera à mettre en exergue les enjeux fondamentaux des méthodes qualitatives en analysant tout d'abord leurs conditions d'émergence, ensuite leur spécificité et enfin les possibilités d'interaction entre les méthodes qualitatives et les méthodes quantitatives.
I. Conditions d'émergence des méthodes qualitatives:
Les méthodes quantitatives, en occultant les catégories telles que les représentations symboliques, les sens, les pratiques illogiques, les effets pervers, s'érigent comme un "réalisme totalitaire". Les constructions théoriques des tenants de l'approche quantitative apparaissent comme des prismes déformants de la réalité sociale malgré les bonnes intentions positivistes (voir le principe sacrosaint de la scientificité de l'épistémologie normative).
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Enfermé dans des constructions holistes qui ne retiennent que les grandeurs statistiques, les récurrences, les lois, la sociologie quantitative étudie les phénomènes humains sans les hommes. Le rôle prépondérant de l'acteur n'est pas réellement pris en compte. En mettant l'accent sur l'individu, sphère d'intentionalités et de sens, les méthodes qualitatives constituent incontestablement une innovation salutaire dans les sciences sociales: Les individus, loin d'être des êtres désincarnés, des hommes répondant à des stimuli, des personnes "sans tête ni coeur" ou des jouets des forces collectives, sont des créateurs de faits sociaux et ont la liberté de choisir.
Les méthodes qualitatives constituent un effort pour percer en profondeur l'intelligence du social. Les faits sociaux ne sont pas que des réalités sui généris; ils sont aussi une construction des acteurs. L'entreprise sociologique se doit également de dévoiler les catégories inconscientes de la réalité sociale. A ce titre, Max Weber constitue un des plus grands artisans de cette innovation en sociologie. A la différence du fait social "durkhéimien" qui est un fait épuré des prénotions, des garants métasociaux conformément à l'idéal positiviste qui veut appliquer le raisonnement expérimental dans la connaissance de la société, le fait social "webérien" intègre les conduites humaines. Au principe de l'unilinéarité, Max Weber oppose le pluralisme causal.
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II. Les méthodes qualitatives, une approche originale des réalités sociales "enchâssées" d'Afrique:
A) Refuser d'enfermer l'acteur:
Supposons que l'on veuille étudier le coût de l'excellence chez les étudiants sénégalais. Le coût de l'excellence est l'ensemble des investissements, des astuces, des stratégies en terme d'organisation de travail, de méthodes d'acquisition de connaissances... pour avoir des résultats brillants. Par conséquent, il ne s'agit pas de montrer que dans telle ou telle unité de formation et de recherche, il y a tant d'étudiants excellents et tant d'étudiants passables. Mais tant s'en faut, il s'agit de comprendre leur rapport à l'excellence en recourant aux techniques d'enquêtes qualitatives telles que:
- Les histoires de vie:
Les histoires de vie permettent de retracer leurs parcours. Tel étudiant nous dira par exemple qu'il a fait des études brillantes car depuis son enfance, ses parents lui ont inculqué le goût de l'excellence. Tel autre affirmera que les motivations qui l'ont poussé à faire des études brillantes c'est le désir de ses parents. C'est en leur donnant la parole (à travers des entretiens), en écoutant constamment ses acteurs et en les observant dans leur quotidienneté que l'on parvient à recueillir des informations latentes. Les méthodes qualitatives se présentent, dès lors, comme une "pédagogie de la vie" car le chercheur découvre que les personnes interrogées sont porteuses de savoir.
- Les entretiens:
L'objet d'étude conditionne le choix de la méthode. Prenons un exemple. Nous voulons étudier les stratégies de réussite sociale des acteurs du secteur informel. Les méthodes qualitatives (entretiens, histoires de vie, groupes de discussion, observations simples, observation participante) nous permettent d'appréhender les investissements économomiques, sociaux, symboliques et culturels de ses acteurs, les frustrations et les privations que ces acteurs ont endurées dans leur quête de réussite sociale, leurs systèmes de motivation, les différentes formes de transaction entre la "dynamique du dedans" (culture locale) et la "dynamique du dehors" (mondialisation), les relations qui se nouent et se dénouent.
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En cela, les méthodes qualitatives constituent une innovation salutaire dans les recherches sur le secteur informel ou économie populaire car pendant longtemps, préoccupé par des logiques de cadrage macro-économique, les spécialistes du secteur informel ont enfermé cet objet dans une perspective économiciste alors qu'en réalité, le secteur informel est d'abord et avant tout, un lieu de production et de reproduction de valeurs sociales, culturelles, un champ "actanciel".
B) L'individu africain n'est pas qu'un "homo-oeconomicus":
Les travaux exemplaires d'Elton Mayo, de Michel Crozier ont montré que l'organisation est un espace social traversé par des conflits. Loin d'être un lieu ou régne la stabilité sociale, l'équilibre quasi-stationnaire, l'organisation est un espace stratégique, un univers de sens. Les stimuli financiers ne constituent pas toujours la matrice fondamentale du comportement des acteurs sociaux car les individus obéissent aussi à des stimuli symboliques. En étudiant les pratiques tontinières des femmes africaines, l'on peut déceler deux formes de contenu:
- un contenu manifeste:
La profusion des tontines s'explique par la faiblesse du systéme de bancarisation et la nécessité de l'épargne informelle pour parer à des contingences matérielles et socioculturelles.
- un contenu latent:
Au-delà des motivations d'ordre économique, ces femmes sont animées d'un désir de solidarité et de réciprocité. Ainsi si les tontines constituent des pratiques économiques, il n'en demeure pas moins qu'elles débordent le cadre économique, d'ou le danger qui consitse à simplifier cette réalité sociale en ne retenant que les grandeurs statistiques (revenus, bénéfices...)
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III. Pour une fertilisation des sciences sociales en Afrique: dépasser la "fausse querelle" quantitatif/qualitatif
En bâtissant le raisonnement sociologique à partir de l'acteur, les méthodes qualitatives permettent de relativiser l'affirmation fondamentale de Durkhéim: les faits sociaux comme une réalité suigénéris. Cependant si les interactions sont porteuses de sens, il n'en demeure pas moins que la société fonctionne sous l'angle de la reproduction. Par le jeu du capital symbolique, économique, culturel et social (Bourdieu), la société assure sa continuité
Le fait social est par conséquent intériorité et extériorité, production et reproduction. La compénétration des méthodes qualitatives et quantitatives se présente comme une exigence pour les raisons suivantes:
- Les méthodes qualitatives permettent au chercheur d'avoir des informations préliminaires. Ces données qualitatives reccueillies seront déterminantes dans la phase d'opérationalisation des concepts et d'élaboration des techniques de recherche quantitatives.
- L'objet social africain est hybride. En face de leur culture et la logique capitaliste, les actrices et les acteurs sociaux procèdent par sélection, hybridation. Les recherches menées sur des espaces socio-économiques tels que l'économie populaire montrent que les commerçantes et les commerçants procèdent à une compénétration de plusieurs logiques: famille, bénédiction des parents, recherche du profit, principe de la relève, confort matériel et financier, diversification, épargne, solidarité, individualisme...
La congruence de telles logiques et pratiques doit nous inciter à reconsidérer les théories et les idéologies dominantes sur l'Afrique. La combinaison des méthodes qualitatives et des méthodes quantitatives après une interrogation critique sur leurs véritables enjeux, la prise en compte des paradigmes endogènes (proverbes..) sans complaisance constituent des jalons pour une fertilisation des sciences sociales en Afrique.
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Conclusion:
En Afrique, malgré les mutations urbaines engendrées par la crise économique persistante, la faillite de l'Etat et la modernisation, les liens sociaux se reproduisent. Le sociologue africain ou africaniste doit être conscient que sa tâche n'est pas celle des statisticiens. Les expressions wolof telles que "nit mooy garau nit" (l'homme est le remède de l'homme) et pulaar "neddo ko ban'ndum" (l'homme, c'est son parent) montrent toute l'importance du qualitatif dans les sociétés africaines.
Si la sociologie quantitative s'enlise dans des constructions mutilantes qui enferme les acteurs, la soiologie qualitative, en revanche, valorise les acteurs, les sens, les symboles, les enjeux, les ressources et les situations. Elle libère la sociologie des tendances totalitaires. Mais elle ne doit pas se muer en un "individualisme totalitaire". La nature transversale des phénomènes sociaux en Afrique est telle que il urge de repenser leur regard sur l'Afrique. La valorisation de nos schèmes de pensée endogène, la combinaison des méthodes qualitatives et des méthodes quantitatives requièrent beaucoup de sacrifices. C'est le prix à payer pour une fertilisation des sciences sociales en Afrique.
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Ibrahima Amadou Dia
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Dia, Ibrahima Amadou.
"Les méthodes qualitatives: une innovation salutaire dans les sciences sociales en Afrique", Esprit critique, vol.02, no.08, Août 2000, consulté
sur Internet: http://espritcritique.ctw.net |
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