Revue électronique de sociologie
Esprit critique
Accueil Archives Collaborer
vol.03 no.05 - Mai 2001
Editorial
 

Amériques antidémocratiques

Par Jean-François Marcotte
 

      Depuis la tenue du Sommet des Amériques, qui se déroulait à Québec du 20 au 22 avril 2001, on ne sait plus trop ce que sera l'avenir de la démocratie en Amérique! En attendant de savoir ce que les 34 dirigeants des Amériques ont réellement discuté à huis clos, voici un portrait des événements qui ont entourés la tenue de ce Sommet très contesté.

      Quel sommet? Quelques mois avant la tenue de l'événement, on commençait à entendre parler qu'il y aurait un Sommet à Québec, mais sa mission n'était pas clair aux yeux du public. Il a fallu des semaines avant que des morceaux d'information commencent à former le casse-tête qu'allait vivre la Ville de Québec. En fait, tous les documents étaient classés hautement confidentiels. On a fini par savoir que le Sommet de Québec avait pour mission d'établir les bases d'un nouveau projet de libre-échange: la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Quelle surprise d'apprendre l'adoption prochaine d'un projet qui affectera profondément la vie des citoyens, sans en avoir été avisé préalablement!

      Un cafouillage politique. Les semaines qui ont précédé le Sommet des Amériques ont amorcé l'atmosphère de panique qui a entouré l'événement. D'abord, le gouvernement du Canada s'est fait accusé de manque de transparence en ne voulant pas révéler le contenu des documents préliminaires du Sommet, qui contenaient en quelques sortes l'avenir des peuples des Amériques. De plus, le gouvernement du Québec souhaitait avoir sa participation au Sommet qui se tenait dans sa propre Capitale-Nationale. Toutefois, une querelle a éclaté et le gouvernement du Canada a tenté d'écarter le gouvernement du Québec. C'est alors que le premier ministre du Québec a décidé de riposter en appuyant officiellement le Sommet des peuples, sommet parallèle représentant les intérêts de la société civile. De plus, pour faire suite au débat que le gouvernement du Québec souhaitait amorcer sur les langues officielles des Amériques (plutôt que sur la langue officielle...), il est passé à l'offensive en faisant installer une gigantesque affiche, juste en face de la rencontre des dirigeants, qui contenait simplement le mot "Bienvenue" dans les quatre langues principales des Amériques: le français, l'anglais, l'espagnol et le portugais. Enfin, on a dévoilé graduellement les mesures de sécurités envisagées pour protéger les 34 dirigeants des pays composant les Amériques...

      Le Mur de la honte. Parmi les mesures de sécurité, la mise en place d'un périmètre de sécurité entourant une bonne partie des vieux quartiers de la Ville de Québec a fait rager la population. De plus, la construction d'un mur de béton surmonté d'une clôture métallique et de fils de fer barbelés est devenu un symbole du geste autoritaire et antidémocratique derrière la tenue de l'événement. Le "Mur de la honte" a mobilisé la population à la nécessité de protester contre des dirigeants qui prennent des décisions à huis clos affectant l'ensemble des dimensions de la vie humaine. Graduellement, la société civile s'est organisée pour marquer la protestation de la société civile.

      Étrangler la protestation. Dans les jours qui ont précédé l'événement, l'absurdité antidémocratique est allée jusqu'à filtrer un a un tout individu qui tentait d'entrer au pays. Tout le monde devait subir de longs interrogatoires et on empêchait d'entrer les personnes pouvant potentiellement aller manifester au Sommet. De nombreux organisateurs des activités du Sommet des peuples et d'autres activités anti-mondialisation ont été harcelés et intimidés à leurs domiciles. Certains activistes ont été cueillis par des policiers peu avant l'événement afin de les mettre en cellule durant le Sommet des Amériques.

      Le Sommet des peuples. La tenue du Sommet des peuples quelques jours avant le Sommet des Amériques s'est avéré rassurante. Dans un climat pacifique, des intellectuels et des citoyens de tous les coins d'Amérique ont fait émerger une véritable réflexion sur l'avenir des Amériques. Tranquillement, les québécois préparaient les bases de la plus grande manifestation pacifique que la Ville de Québec ait vue.

      Et le Sommet des Amériques... Le Sommet a débuté dimanche après-midi et l'ensemble de la force manifestante s'est installé. Aucun journaliste n'a réussi à percer le mystère des discussions qui ont eu lieu au Sommet de Québec. On présumait qu'une quelconque Déclaration de Québec devait être signée par les dirigeants, avec certains amendements bien évidemment. Que dire de plus que: des dirigeants ont discuté à huis clos au milieu d'un périmètre de sécurité absurdement trop vaste.

      Une désobéissance pacifique. Le mouvement de contestation était bien préparé et bien organisé. Des médias communautaires et alternatifs de tous les coins des Amériques avaient fait un travail remarquable pour unir leurs forces et pour mobiliser les actions des groupes de citoyens. Ces médias alternatifs ont su utiliser Internet pour concerter leurs interventions et leurs discours. Durant la tenue du Sommet des Amériques, de nombreuses initiatives pacifiques ont été mises au point comme: le "Périmètre de la solidarité", la "Marche des peuples", la Catapulte à peluche, etc. Des dizaines de milliers de manifestants pacifiques ont produit un effet massif de contestation.

      Faire un événement médiatique avec rien! Évidemment les médias d'information traditionnels fonctionnent à l'événement. Il n'y a de nouvelle que lorsqu'il y a événement! Ainsi, plusieurs médias de masse ont fait une couverture médiatique en présentation le déroulement des activités de contestation en temps réel. N'ayant rien à se mettre sous la dent, les médias de masse ont transformé en spectacle les activités d'à peine une cinquantaine de casseurs qui se sont amusés à lancer des projectiles et à faire tomber une partie du mur.

      Brutalité policière... Tous les participants, y compris les manifestants pacifiques, ont été assaillis de gaz lacrymogènes et de balles de plastique par des agents équipés jusqu'aux dents. Heureusement, les personnes habitants près du périmètre de sécurité ont porté secours aux manifestants incommodés par le gaz et les balles. De plus, les manifestants pacifiques se sont sentis trahis par la force policière. En effet, dans la nuit de samedi à dimanche, des masses de policiers ont profité du sommeil des manifestants pour libérer le tour du périmètre. Les policiers sont sortis du périmètre de sécurité pour déloger sauvagement les manifestants pacifiques qui dormaient. Ce geste est presque passé sous silence, et pourtant, il en a laissé gros sur le coeur des manifestants. Mystérieusement, cette envolée de brutalité policière est survenue que quelques heures après que les observateurs de la Ligues des droits et libertés aient quitté la ville...

      Des mesures de sécurités démesurés? Au total, les contribuables québécois ne digèrent pas la facture salée encourue pour la protection de 34 chefs d'États qui ne veulent rien savoir de l'opinion de la société civile sur l'avenir de leurs nations. Au total, un investissement de 100 millions de dollars (plus de 475 millions de franc français), un périmètre de sécurité de plusieurs kilomètres de diamètres et un mur de béton surmonté d'une clôture et de fils barbelés.

      L'heure des bilans. Un bilan des manifestations: plus de 40 000 manifestants pacifiques et moins de 50 000$ en dommage. Une intervention policière aigre-douce: plus de 400 arrestations et de 150 blessés pour contrer une cinquantaine de casseurs. Mais qui sont les gagnants de ce sommet? Ni militants, ni policiers n'ont gagné le combat au front... Ni politiciens ni les médias, qui ont perdu la confiance des peuples... On semble avoir déjà oublié la présence massive des manifestants pacifiques et des réflexions de la société civile sur l'avenir des Amériques. Au moins, le Sommet aura permis à la force militante de mieux organiser ses actions entre les militants de tous les pays d'Amérique, de mieux s'organiser pour la prochaine fois... Les méga-puissances économiques se frottent les mains en attendant le résultat, mais au fond, il semble que les dirigeants ne se soient entendus que sur peu de choses. Certes, les québécois garderont un goût amère du Sommet des Amériques, une sorte de plaie à la démocratie, qui s'est déroulée dans leur Capitale-Nationale sans même que leur gouvernement ne soit invité!

      Le sommet était en fait beaucoup plus inintéressant que le symbole qui est maintenant dans l'esprit de tous les citoyens des Amériques. Une chose est certaine, le Sommet a permis de faire passer la pilule de la naissance prochaine de la ZLEA, et en même temps, la société civile s'est massivement conscientisée à ses dangers. La ZLEA s'imposera probablement, même si la société civile ne la légitime pas. Où s'en va notre démocratie, tout droit vers un film de science-fiction apocalyptique, dans lequel les peuples se meurent et la résistance est écrasée par ceux qui ont du pouvoir. On peut dire que la démocratie est malade lorsque que l'avenir de millions de citoyens est décidé à huis clos par l'élite politique et économique. On peut dire que la démocratie est malade lorsque l'on tente de criminaliser la dissidence. La démocratie est supposé s'appuyer sur un contrat social discuté... Une démocratie est malade lorsque les dirigeants n'écoutent plus la société civile...

      Et le tout se referme sur la Déclaration de Québec, une série de voeux pieux qui résument le contraire des effets qu'engendrerait la Zone de libre-échange des Amériques qu'ils se préparent à signer...

 
 
Marcotte, Jean-François. 'Amériques antidémocratiques', Esprit critique, vol.03 no.05, Mai 2001, consulté sur Internet: http://critique.ovh.org
 
 
Haut de la page
Table des matières
Editorial

Amériques antidémocratiques
Par Jean-François Marcotte
Articles

D'un continent à l'autre: réflexions de voyage
Par Arnaud Attia
Compte rendu critique

Le besoin de danser
Par Georges Bertin
La revue Esprit critique a été fondée le 1er novembre 1999 par Jean-François Marcotte
© Tous droits réservés