Revue électronique de sociologie
Esprit critique
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Vol. 02 no. 05 - Mai 2000
Articles
Quand les sciences sociales deviennent déshumanisantes. De la légitimité d'une activité scientifique.
par Arnaud Saint-Martin
 

      Si nous devions définir l'essence des sciences humaines, nous serions tenté de recruter une idée sûrement très provocante : elles sont un procès, se voulant scientifique, de démystification des rapports humains. Volonté de contrôler, de maîtriser, de rationaliser, de réduire le social : les sciences humaines sont une entreprise déshumanisante. Question centrale dont les praticiens et autres exégètes savants oublient la cruciale importance, ce dessein qui se terre en deçà des raisonnements pré-construits, fonctionnant sur le mode de l'évidence intellectuelle et de la confiance en les règles procédurales de la sacro-sainte raison scientifique, est manifestement un sentiment qui se loge avec discrétion, sans faire de bruit.

      Si cette constatation est polémiste et largement extrémiste, elle n'en garde pas moins une vertu heuristique. Les sciences humaines ne sont pas ces activités pseudo-humanistes dont la seule raison d'être est l'étude désintéressée du monde social. Sans nous engager sur des terrains relativistes souvent aporétiques et superflus, nous ne pouvons que poser la question suivante : pour quelles raisons les sciences humaines s'arrogent-elles le droit d'étudier un monde socio-historique dont elles font pleinement partie, en tant qu'activités humaines de connaissance ?




















 

      Rappelons-nous les pérégrinations foucaldiennes concernant l'archéologie du savoir des sciences humaines. Ce que M. Foucault a bien montré dans Les mots et les choses, c'est cette prétention historiquement construite de ces sciences balbutiantes à expliquer le monde social. Comment s'est érigé cet édifice intellectuel, dont les résultats théoriques et l'implication pratique de ceux-ci ont largement influé sur le donné social ? C'est parce qu'elles sont le produit d'une certaine mentalité philosophique et idéologique qu'elles ont émergé. Sans nous attarder sur la construction des sciences humaines, nous ne pouvons que souligner le lien de complicité existant entre cette intention égocentrique de contrôle cartésien de la nature et le souhait immodeste formulé par celles-ci de rendre compte scientifiquement des sociétés humaines.

      Il est important également de nous souvenir d'un concept central de la sociologie de M. Weber, en l'occurrence celui de " désenchantement du monde ". Soit, les sciences humaines participent de cette désillusion rationalisée, de cette démystification du social. Ce savoir, conçu comme étant une sorte de révélation rationnelle de " choses " invisibles (processus de domination sociale, structuration sociale, conditionnement structurel, etc.), a quelque chose de profondément attristant. Aux oubliettes le " gai savoir ", la Vérité que pensent porter les sciences humaines est désespérante, immanquablement désolante. Idéologie de la désacralisation et de la déshumanisation, elles touchent une réalité froide et bassement rationnelle.
[suite]


      Nous lançons alors ce débat, bien évidemment grossièrement présenté, pour mieux secouer l'endormissement chronique des chercheurs engagés dans ce procès précédemment caricaturé. Pour quelles raisons, en tant qu'individu entièrement présent dans le monde social, qui m'a construit et dans lequel j'existe quotidiennement, je me donne le droit d'étudier mes semblables ? Ce désir d'expliquer, de comprendre, d'élucider, etc., n'est-il pas une occupation annihilant l'essence même du monde sociétal, fait de mystères et de choses incommensurables ? Il s'agit foncièrement de retracer cette brève histoire souterraine, décrivant les modes d'être du sociologue, nécessairement impliqué et engagé socialement, pour mieux comprendre à quel point notre prétendue " science " est loin d'être objective. Le statut épistémique d'une science fatalement réductible à un type particulier de monde socioculturel, en l'occurrence la civilisation occidentale (très grossièrement), nous donne l'occasion de regarder de plus près cet intérêt de connaissance nous caractérisant, en tant que chercheurs enflammés. Pour quelles raisons devrais-je connaître ces pseudo règles ou lois du social ?, sachant que fondamentalement, la société avance " les yeux fermés " et " tête baissée ", sans se soucier de cette flamme sociologique sûrement décalée. Ces petites provocations ont pour unique finalité le secouement d'un savoir englué dans ses certitudes, se croyant constitué en tant que science, ce qui reste résolument un mythe, mais un mythe finalement fondateur... !

     

 

     

     

 
 
Saint-Martin, Arnaud. "Quand les sciences sociales deviennent déshumanisantes. De la légitimité d'une activité scientifique.", Esprit critique, vol.02, no.05, Mai 2000, consulté sur Internet: http://espritcritique.ctw.net
 
 
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