Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Appel à communication
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Dossier thématique - Hiver 2004
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Groupes minorisés et ethnies discriminées. Des processus de nomination et de désignation de l'autre.
Sous la direction de Jean-Louis Olive

Cet appel à communication est aussi disponible en format PDF: Appel à communication Hiver 2004 [PDF]


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Problématique
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Comme l'entend efficacement Eric B. Hobsbawm: "Je qualifierai donc d'ethnique tout groupe qui, pris comme un tout, se différencie de façon permanente des autres groupes qui vivent ou interviennent sur un certain territoire; cette différence s'opère par le nom, par les caractéristiques qui sont censées le distinguer des autres et, bien entendu, par les traits communs aux membres du groupe, qu'ils soient réels ou seulement supposés réels."[1]

Nous sommes très probablement là devant l'une des questions initiales qui fondent la démarche des sciences sociales, or la question apparaît récurrente ou constante. Sociologues, anthropologues et autres chercheurs de terrain sont principiellement confrontés à la question épineuse liée à la relation à l'autre, tant en amont, dans le groupe des informateurs et des sujets observés, qu'en aval, dans celui des lecteurs et des auditeurs informés. On pourrait certes croire que bon nombre de ces problèmes ont été résolus une fois pour toutes, or dans la pratique quotidienne et dans le renouvellement des situations d'énonciation linguistique, la question est toujours de l'ordre du préalable, du préliminaire, du pré-requis. Jamais de l'ordre du dé-fini, du dé-terminé et du dé-nommé, qui ne sont que provisoires et contingents.

La problématique se concentre sur les aspects langagiers et linguistiques, et se centre notamment sur les problèmes de reconnaissance et de nomination de l'autre, par l'ethnonymie et l'anthroponymie, mais sans se limiter à cet aspect de la réciprocation inter-discursive. Elle s'étend à la situation d'énonciation linguistique, dans la relation d'enquête et ses modalités d'écriture. Par excès de pensée classificatoire, par besoin de communiquer en énoncés courts, par commodité langagière ou par nécessité professionnelle, par mimétisme médiatique ou par paresse intellectuelle, nous construisons les catégories descriptives ou schématiques des minorités, ethnies minoritaires, groupes ethniques, ethnicités et autres identités ethnoculturelles ou socioculturelles (au sens figuré ou défiguré), afin de mieux qualifier nos périphéries et nos marges, ou nos bi-sociations, par référence implicite à un ethnocentrisme ou à un ethos de centralité, mais pouvons-nous les penser comme telles? Comme les aromates seraient censés relever le goût d'un aliment principal? Dans leur énoncé même, ces locutions, formulations ou réductions nous échappent, or elles n'échappent pas à des effets pervers de stigmatisation, de cristallisation et de sédimentation dans les usages metascientifiques. À qui sont-elles destinées et qui s'en empare, commentsont-elles conçues et perçues, émises et reçues?

"Pour autant qu'exposer, c'est aussi opposer"[2], les codes langagiers par lesquels se construit l'altérité (l'identité de l'autre) se fondent sur descatégorisations et classifications, des typifications et réductions, des rationalisations et ratiocinations: des ethnonymes (parmi lesquels on distingue parfois mal autonymes et hétéronymes), des socionymes (endonymes et exonymes), et d'autres surnoms collectifs, synonymes et paronymes. Mais quelles sont les conséquences de ces emplois, tant dans la communauté scientifique (à supposer une unicitéde ses langages) que dans la société civile (à supposer l'unification des codes sémantiques)? Si je dis: les Inuit, les Peuls ou les Tsiganes, cet énoncé est-il neutre? Si j'évoque les migrants ou les adeptes (d'une idéologie religieuse), les jeunes ou les vieux, ces classifications ont-elles le même statut descriptif, sont-elles également durables? Tant il est vrai que les mots disent les choses, les font et les défont, les mêmes mots font-ils toujours appel aux mêmes référentiels, ou s'exposent-ils à des manipulations et à des ruptures de sens: distorsions et déformations, malentendus et contresens, incompréhensions lexicales et récupérations dinomiques.

Peut-on ainsi éviter les effets de marginalisation et de stigmatisation, d'aliénation et de victimisation, voire de ségrégation et d'exclusion sociale? À l'heure où tout fait commerce, et où, sur l'étal du marché des biens symboliques, l'ethnique et le social sont déjà réifiés en productions cognitives, aussitôt consumérisés, dévorés et assimilés, ingérés et digérés par les appareils d'état et de communication (idéologiques et politiques, médiatiques et mercatiques), le détournement du langage et l'appropriation des formations conceptuelles, l'évidement sémantique et le paupérisme heuristique posent avec acuité le problème de la position éthique du chercheur et de l'expert en sciences de l'homme. Cela va de la légitimité morale de ses droits d'auteur à celles de son autonomie et de sa déontologie professionnelle.

Ce numéro thématique de la revue Esprit critique s'adresse à tous les chercheurs et enseignants en sciences sociales, dans la mesure où ils acceptent la posture de l'anthropologie réflexive, de la sociologie critique ou de divers courants théoriques fondés sur l'analyse des pratiques discursives, ou des usages critiques du discours. Il est ici question de la position du chercheur dans ses rapports à l'altérité, à travers toutes les étapes du processus apodictique de production, de restitution et de socialisation de la recherche scientifique, ou plus précisément de ses expressions, de ses formulations nominales et de ses énoncés classificatoires. Pour le dire autrement, on s'intéressera moins ici aux minorités (en tant que stases) qu'aux formes de minorisation (en tant que processus), et l'on questionnera moins les ethnicités que les formes sociales et culturelles de l'ethnicisation (en tant que démarche de nomination, de désignation et de classification). Dans le monde actuel, quels concepts mobilise-t-on pour évoquer les minorités, le statut social des minoritaires, et les processus culturels de minorisation?

Jean-Louis Olive ([email protected])

Maître de conférences en sociologie et anthropologie à l'Université de Perpignan. Thèse de sociologie soutenue en octobre 2000. Directeur-adjoint du laboratoire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines: Voyages, Echanges, Confrontations, Transformations. Parcours méditerranéens de l'espace, du texte et de l'image (V.E.C.T. EA No 2983). Responsable scientifique du groupe de chercheurs de l'Axe IV du V.E.C.T.: Sociologie et anthropologie des Labilités, des Altérités et des Mobilités (sous la direction du Pr. Ahmed Ben Naoum).

Notes:

1.- Hobsbawm, Eric B. "Qu'est-ce qu'un conflit ethnique?", A.R.S.S., No 100, 1993, p. 52.
2.- Sahlins, Marshall. Age de pierre, âge d'abondance. Paris: Gallimard, 1976, p. 32.


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    Les articles remis seront évalués en fonction de leur valeur scientifique par le Comité scientifique de la revue.

    Date limite pour envoyer votre proposition de communication: 1er septembre 2003.

    Les articles devront être complétés par les auteurs avant le 1er octobre 2003.

    Ce dossier sera diffusé dans le numéro Hiver 2004 en janvier 2004.

     
     
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