Pour l'essentiel, les réflexions quant à l'interdisciplinarité se déploient essentiellement autour de deux pôles, l'un épistémologique, en appelant à la nécessaire unification de l'homme (Gusdorf, 1988) pour appréhender ce que l'analytique obsessionnelle de la partie, dans une perspective positiviste, avait dû sacrifier. L'autre pôle, pragmatique, évoque quant à lui la nécessité interdisciplinaire pour relever les défis de la complexité et des exigences morales qu'imposent les situations problèmes : il faut les résoudre de façon efficace. Pour ces deux pôles, il y a nécessité de travailler ensemble, ce que traduit d'ailleurs la forte tonalité normative de nombre de discours sur l'interdisciplinarité. Pourtant, malgré les reconnaissances formelles de cette nécessité, les critiques fusent, notamment pour ce qui serait usurpation d'identité : par-delà le discours, l'interdisciplinarité serait souvent déficiente, réduite à un séquençage multidisciplinaire. Mais quoi qu'il en soit, l'appel à l'interdisciplinarité produit ses effets, dont des effets inattendus, des réussites invisibles (Faure, 1992), comme celle d'un interlangage (Apostel, 1972), d'un habitus interdisciplinaire (Klein, 1996), d'un métissage pragmatique dont les effets demeurent en grande partie à étudier. Que se joue-t-il dans ce métissage pratique des disciplines et des groupes professionnels? Ce changement de regard sur l'interdisciplinarité, moins normatif, plus analytique, appelle une observation du travail réel plutôt que prescrit.
Le présent appel d'articles invite à explorer cette voie d'étude posant l'interdisciplinarité moins comme une nécessité épistémologique ou éthique que comme une condition relativement nouvelle du travail. Quels en sont les effets sur l'ergonomie du travail, sur sa division et sa conception, sur l'engagement du travail dans son activité? Quels en sont les impacts sur les formations professionnelles initiales et continues? Quels en sont les enjeux pour les groupes professionnels dont l'identité professionnelle est incertaine, équivoque, comme c'est le cas en travail social ou en sociologie?