L'accomplissement pratique du travail dans un centre d'appels téléphoniques[1]
Par Luca Greco
Résumé:
L'objectif de cet article est de proposer une approche interactionnelle de l'étude des pratiques professionnelles. A ce propos, nous nous pencherons sur l'étude des quelques pratiques telles qu'elles émergent dans un corpus d'appels téléphoniques au 15 (service d'urgences médicales en France).
Auteur:
Luca Greco, sociologue de formation, est en train d'achever une thèse de troisième cycle à l'EHESS (Paris, France) en Sciences du Langage sur les pratiques de catégorisation dans le discours institutionnel. Il travaille sur des corpus de parole-en-interaction (talk-in-interaction) recueillis par enregistrements en situation naturelle. D'un point de vue théorique et méthodologique, il privilégie une approche pluridisciplinaire mobilisant, l'ethnométhodologie, l'analyse conversationnelle et l'anthropologie linguistique.
Introduction
L'objectif de cet article est de présenter une approche de l'étude des pratiques professionnelles dont les enjeux théoriques vont à l'encontre de la critique que Sacks (1963) avait adressée à Durkheim et à la sociologie qui l'a précédé à propos de la notion de "fait social"[2].
Notre propos vise en effet à montrer par l'analyse des pratiques verbales des acteurs, en quoi la catégorie "travail" est rendue intelligible et observable à l'analyste en tant que "fait social". Ainsi, les pratiques verbales des acteurs doivent être considérées comme des méthodes (Garfinkel 1967, 1986) qui rendent le travail descriptible, intelligible et justifiable (accountable). De ce fait, une unité réflexive entre le "dire" et le "faire" (Sharrock et Watson, 1990) est posée. La description (account) d'une pratique de travail est au même temps constitutive de celle-ci en tant que telle.
La méthode d'analyse que nous a parue la plus pertinente à l'interprétation de nos données est pluridisciplinaire, mobilisant la méthode ethnographique (Duranti, 1997), l'analyse conversationnelle (ten Have 1999, Mondada 1995) et les études autour de la cognition située et socialement distribuée (Galatolo et Greco 2002, Mondada et Pekarek 2000, Eglin et Hester 1997).
Conformément à notre option théorique et méthodologique, les données de notre recherche comprennent des enregistrements audio d'appels téléphoniques au 15[3] et des entretiens non-directifs avec les acteurs du centre.
Après avoir présenté quelques traits caractéristiques du centre où les appels sont reçus (section 1) nous montrerons d'abord (section 2) comment un certain nombre de ressources verbales (questionnement, chevauchement) et para verbales (taper sur le clavier, regarder sur l'écran de l'ordinateur) constituent le travail en tant que fait social. Ensuite, nous montrerons (section 3) comment l'appréhension d'une pratique verbale - le questionnement médical sur les symptômes d'une douleur - en tant que pratique professionnelle, permet d'envisager les catégories de douleur comme des outils de travail.
1. Le cadre de l'enquête: le samu
Le Samu (service d'aide médical urgent) est l'institution qui, en France, gère les urgences médicales par téléphone. Le corps professionnel du Centre que nous avons visité est composé d'un chef de service, le docteur Lambert, d'une équipe de médecins régulateurs (amu et samu), qui aident les 19 permanencières (désignée parm dans la suite) à gérer les appels en cas de problème.
La parm se situe, au niveau séquentiel et social, entre l'appelant, qui est supposé de ne pas savoir décrire sa propre douleur (lorsqu'il n'est pas médecin) et le médecin qui doit formuler un diagnostic. Dans ce cadre interactionnel, la pratique du questionnement lui permettra de "nettoyer" les descriptions des appelants de tous ces éléments qui, n'incluant pas des traits d'urgence, ne rendront pas nécessaires l'envoi d'un transport médicalisé.
Lors d'un de nos entretiens avec les permanencières, nous avons remarqué que, tout en ne sachant pas définir ce qu'était un infarctus, elles étaient capables, en leur montrant la transcription d'un appel téléphonique, d'en retrouver les indices dans les descriptions fournies par les appelants.
En effet, elles font appel, dans l'interprétation des séquences à une sorte de vocabulaire descriptif (Cicourel 1972: 116) de la douleur thoracique, constituant, de fait, la seule base de connaissances.
2. L'accountability des pratiques professionnelles
L'optique situant le langage comme un trait constitutif à part entière (speech event) ou partiel (situation event) d'un événement social (Hymes 1972) a été posée avec force depuis longtemps par l'anthropologie linguistique et plus récemment par le courant "workplace studies" (Engestrom et Middleton 1996, Borzeix et Fraenkel 2001), dont les centres d'intérêts se sont focalisés autour des rapports entre langage, travail et cognition. De ce point de vue, les appels au samu peuvent être appréhendés comme un type d'interaction dans lequel la parole constitue le trait fondateur d'un événement social[4].
Cet événement, à son tour, est traité, par ceux qui reçoivent l'appel, comme une pratique professionnelle où le langage joue un rôle constitutif.
Durant ma période d'observation participante, je me suis rendu compte que les agents décrivaient sans arrêt leur travail par des accounts tels que:
"je ne me suis pas bien exprimée, je ne sais pas s'il a bien compris"
où le rapport entre compétence linguistique (Hymes 1972) et performance professionnelle était posé comme allant de soi.
La maîtrise d'une norme linguistique "s'exprimer bien", étant associée à la réussite d'une tâche professionnelle, est ici perçue dans les termes d'une "performance" (Bauman 1975: 168-9), où l'on assiste de la part de l'agent à une prise en compte du rôle joué par l'auditoire.
Celui qui reçoit l'appel peut, à certains moments de l'échange, en vue de résoudre certains problèmes concernant la gestion de l'interaction, rendre accountables à son interlocuteur certaines pratiques professionnelles dont:
- La prise d'une décision sur l'envoi d'un secours (section 2.1)
- La prise de coordonnées (sections 2.2, 2.4)
- L'interaction avec l'ordinateur (section 2.3)
2.1. Pratique: "analyser si vous avez vraiment besoin d'une équipe" (extr. 5 DLR THO)
"27.ME[5].bo:::n be:::n on va vous envoyer une équipe
28.AP.ouais ouais non mais c'est important hein
29.ME.#non non# mais ça va je 'l sais merci
30.AP.d'accord
31.ME.non mais vous allez pas m'apprendre mon job aussi hh(3.0) c'est important vous me demandez une équipe j'suis je suis en droit quand même d'analyser si vous avez vraiment besoin d'une équipe "
L'appelé, un médecin du Samu, qualifie, en (31), de "job" la pratique de questionnement, nécessaire à l'analyse de l'urgence affichée par l'appelant en (28)
L'évaluation sur l'urgence accomplie par l'appelant en (28) déclenche un conflit entre les deux acteurs sur les compétences nécessaires à l'estimation de l'urgence - conflit qui débouchera, sur le plan interactionnel, à l'établissement, de la part de l'appelé, d'une règle culturelle locale (31) visant la distribution des rôles des acteurs autour de l'évaluation de l'urgence:
- L'appelant demande un service
- L'appelé évalue la portée de la requête.
2.2. Pratique: "prendre le prénom du patient" (extr. 3 DLR ABDO)
"30.ME. @ alors je suis obligée de prendre également son préno::m /
31.AP. Délphine
32.-----------------------------
33.ME.alo::rs simplement parce que mon petit ordinateur est un peu rigide et il lui faut (...) [tout ça hein"
Ici l'appelé est "obligé", par la médiation de l'ordinateur, de prendre les coordonnées du patient. Cette tâche comportera deux actions:
- taper sur le clavier le prénom du patient (32)
- rendre accountable, c'est-à-dire descriptible, observable et justifiable (Garfinkel 1967) cette action (33).
La prise de coordonnées étant ressentie souvent par les appelants comme une perte de temps, peut engendrer dans les actions des appelés des explications sur la nature des outils du travail.
2.3. Pratique: "regarder sur l'ordinateur" (extr. 13 DLR THO)
"53.ME. [vous m'appelez d'où madame /
54.AP. ah j'appelle de ((nom de la ville))
55.ME. hhhh
56.AP. comme je viens de le dire je croyais qu- hh[h
57.ME. [oui
#non non# d'accord non mais attends non ce qu'il faut que la trouve sur mon écran moi=
58.AP. =ahh[h
59.ME. [d'accord donc ((nom de la ville)), quarante-huit ans et / qu'est-ce qu'il se passe /"
L'appelé, ici, doit suspendre le cours de l'action de deux tours (57, 58) - tant qu'il n'aura pas repéré sur son écran les éléments nécessaires au suivi de la conversation (59).
L'interaction avec l'ordinateur permet ainsi non seulement de cerner des contraintes temporelles (taper sur l'ordinateur) sur l'échange en cours mais aussi de configurer à l'intérieur de cette interaction une triangulation de type "appélé-ordinateur-appelant" qu'on retrouve également dans d'autres interactions agent-client (Traverso 1997, Lacoste 1991).
2.4. Pratique: "prendre les coordonnées pour vous envoyer quelqu'un" (EXTR. 1 CORPUS LATTUGA 1993)
"23.AP.:oui! dépê- oui! dépêchez-vous parce qu'il a- il e- il est- ça va PAS dépêchez-VOUS s'il vous [plaît!
24.PA.: [mais madame je prends les coordonnées! il me faut les coordonnées pour que je puisse vous envoyer QUELQU'UN!
25.AP.:OUI OUI hhh
26.PA.:sans coordonnées on peut rien FAIRE n'est-ce [PAS /"
Ici, la parm, afin de mener à bien son travail, doit interrompre par un chevauchement ([) l'appelant en lui expliquant la tâche qu'elle doit accomplir pour que sa requête soit satisfaite:
Le chevauchement (23-24), comme le montre cet entretien, est une technique utilisée par les agents quand ils se rendent compte que l'appelant ne répond pas aux questions posées ou bien quand il donne trop de détails qui ne sont pas jugés fonctionnels à la gestion de l'interaction:
(ENTR. ETHNO. DOM)
ET.: ethnographe
INF. informateur
"83.ET.: donc quand est- ce que vous coupez la parole à part ça?
84.INF.: à part quand on a l'impression qu'ils nous écoutent pas? lorsque la personne donne trop de détails par rapport à ce que nous on lui demande, antécédents, quand nous on lui pose si elle a eu des antécédents d'asthme et la personne part dans des trucs il y a vingt ans il a eu la grippe, à 35 ans il a eu l'appendicite, voilà, tout ça c'est pas la peine."
3. La description "douleur thoracique" comme outil de travail
Une des pratiques professionnelles accomplies par les permanencières consiste à déceler les éléments d'urgence typiques dans les descriptions de douleur thoracique (DT) présentées par les appelants. Cette pratique est associée à une sorte de socialisation à la catégorie DT au moyen de laquelle la parm apprend à reconnaître dans les discours de l'appelant les éléments typiques de la catégorie en question.
Il n'est pas étonnant que, dans un centre d'urgences, cette catégorie soit tout de suite repérée et identifiée par ses traits typiques.
Nous avons cerné et classé, à l'aide de nos informateurs, quelques éléments lexicaux et sociaux (la localisation, les descripteurs, l'âge et les antécédents) pour reconnaître dans une description de douleur, une description typique de DT.
Une description "typique" de DT est définissable par la présence des attributs suivants:
- la durée (la persistance)
- la localisation (à gauche et non à droite), (dans la poitrine et non pas dans le coeur ou le ventre)
- l'irradiation de la douleur (dans le bras ou dans la mâchoire)
- sa verbalisation en termes de barre ou d'étau et non pas de point
- les antécédents et les traitements et enfin
- l'âge
Si tous les attributs apparaissent dans les réponses des appelants nous aurons une description très typique de DT, c'est-à-dire, d'infarctus.
La catégorie DT telle qu'elle émerge d'après nos entretiens avec le corps professionnel du Samu, est un mélange de traits descriptifs et règles procédurales. En effet, tout en nous énumérant les attributs de la classe, nos informateurs arrivaient à nous donner les règles pour sa reconnaissance dans le discours de l'autre, comme dans l'extrait suivant:
(ENTR. ETHNO)
"Souvent les gens qui font un vrai infarctus décrivent leur douleur par forme de barre ou d'étau dans la poitrine et non pas de point.
Entre quelqu'un qui dit "J'ai une douleur au coeur" et quelqu'un qui dit "j'ai une douleur à la poitrine", nous on sera plus vigilant, vis-à-vis de ceux qui diront "j'ai une douleur à la poitrine" parce que cette douleur quand elle est d'origine coronaire elle est pas simple à localiser, à systématiser.
Une douleur thoracique peut donc être de deux façons différentes:
- non-coronaire, due à une fracture des côtes, à un coup, ou à une crise d'angoisse, non urgente
- coronaire, urgente, qui donne des diagnostics comme: angine de poitrine et infarctus du myocarde en ordre croissant de gravité.
Une douleur thoracique est un ensemble de mots, comme, bras, poitrine, irradiation, l'âge, les antécédents, la mâchoire."
"L'ensemble de mots" de nos informateurs fonctionnent ainsi comme des "indices de contextualisation" (Gumperz 1982) des ressources linguistiques que la parm utilisera dans son travail pour reconnaître, par des inférences fondées sur ses expériences passées, le type de routine descriptionnelle en cours.
3.1. Le Format de la description[6]
Dans la mise en discours d'une douleur, nous avons cerné trois phases tout au long desquelles se déploie l'activité "décrire une douleur":
a. description spontanée d'une douleur
b. contextualisation de la description
c. diagnostic
a) une première description de la douleur de la part de celui qui appelle après des échanges rituels d'ouverture tels que par exemple:
(EXTR. 3 DLR THO)
"4.PA.Oui bonsoir madame. je vous appelle j'ai une personne là qui est avec moi qui est chez elle qui a des grosses douleurs thoraci[ques
5.PA. [oui=
6.AP.=et qui est très mal actuellement"
b) l'activation d'un questionnaire de la part de la parm (11) visant à relancer chez l'appelant de nouvelles descriptions plus précises sur sa douleur ou à mieux contextualiser ce qu'il vient de dire:
"7.PA.oui /
8.AP.euh[h
9.PA. [c'est à quel endroit
10.AP. nous sommes à donc ((nom de la ville))
11.PA.c'est quelqu'un qui a déjà eu des problèmes cardiaques vous savez /
12.AP. non non cette personne n'a jamais eu de problèmes cardiaques elle est euh alors si si elle a eu des problèmes cardiaques écoutez hein elle m'écoute là elle est à côté hein d'accord /"
c) et le réaménagement par le médecin régulateur de la description de l'appelant en termes de probable diagnostic:
"106.ME.hein c'est pas grave bon c'est probablement une néphralgie cervico-faciale c'est quelque chose qui arrive effectivement parfois et qui peut donner effectivement ce type de douleur hein
Comme on peut constater par l'examen de ces trois séquences, les activités de description d'une douleur sont distribuées socialement et séquentiellement entre trois types d'acteurs:
a) l'appelant qui décrit, en ouverture de l'appel, sa douleur en termes de grosses douleurs thoraciques, ce qui sera une néphralgie cervico-faciale, en montrant ainsi une incompétence référentielle dans sa pratique descriptive;
b) la parm qui, au milieu de l'appel, doit vérifier si la description, donnée par l'appelant en termes de grosses douleurs thoraciques, renvoie référentiellement à ce que l'on entend au Samu par "grosses douleurs thoraciques"et
c) le médecin régulateur qui, en fin d'appel, sanctionne la "description populaire" de la douleur de l'appelant, dans les termes d'une "description scientifique" sous la forme d'un diagnostic (C'est x).
3.2. La procédure "contextualiser la description"
À la suite de Goffman (1974:30) pour qui "Identifier un événement parmi d'autres, c'est faire appel à un ou à plusieurs cadres interprétatifs", nous montrerons, comment les procédés interprétatifs passent, au moyen du questionnement, par une reconnaissance des descriptions des appelants en termes d'urgence et de "typicité"' et aboutissent, de fait, à leur rangement taxinomique. Nous montrerons, donc, comment, à partir d'une catégorisation de la douleur thoracique, telle qu'elle a été construite dans un service médical d'urgence (section 3) et d'une description de l'appelant dans les termes suivants:
(EXTR. 3 DLR THO)
"4.AP.Oui bonsoir madame. je vous appelle j'ai une personne là qui est avec moi qui est chez elle qui a des grosses douleurs thoraci[ques
5.PA. [oui=
6.AP.=et qui est très mal actuellement
la question de la parm (11)
11.PA.c'est quelqu'un qui a déjà eu des problèmes cardiaques vous savez /"
permet de "mesurer", séquence après séquence, les "écarts directionnels" (Sacks 1992, I, 8) de la description de l'appelant par rapport à une description typique, telle que nous l' avons proposée en section 3.
Si l'on concentre notre attention sur le deuxième segment du triplet - description spontanée de l'appelant, contextualisation de la description et diagnostic - on dégage une structure tripartite dans laquelle la question de la parm occupe une place centrale.
a) description spontanée de l'appelant (assertion)
b) contextualisation de la description (question)
c) nouvelle description de l'appelant (réponse)
Au cours d'une rencontre avec la responsable des parms, nous avons constaté que la question était le résultat d'un double mouvement évaluatif, rétrospectif vers la description qui la précède, et prospectif par rapport à la réponse sollicitée. Ainsi tout en portant sur la description qui la précède, en assurant ainsi une sorte de continuité thématique avec celle-ci, elle vise à guider les descriptions du patient grâce à la mise en place d'un dispositif de cadrage de la description en termes d'urgence et de typicité.
Une fois qu'on aura classé la description de l'appelant en "urgente" ou "non urgente", à partir de sa distance ou proximité par rapport au prototype[7] "description douleur thoracique", par la présence d'au moins un des traits de la classe, on la re-classera en "urgente typique" par rapport à un second prototype se situant, cette fois-ci, autour de la "description infarctus", la description douleur thoracique typique par excellence. Voici schématisés les processus de cadrage:
description X de l'appelant (douleur à catégoriser)
description urgente (prototype: douleur thoracique)
description urgente typique (prototype: infarctus)
Ainsi à partir de:
"4.PA.Oui bonsoir madame. je vous appelle j'ai une personne là qui est avec moi qui est chez elle qui a des grosses douleurs thoraci[ques
5.PA. [oui=
6.AP.=et qui est très mal actuellement"
la présence de "grosses douleurs thoraciques" permettra à la parm de classer la description de l'appelant en termes d'urgence, dans la catégorie "douleur thoracique". Ce cadrage lui permettra d'assurer, par la question sur les antécédents médicaux (problèmes cardiaques), une sorte de "continuité topicale" (Sacks 1972: 33-34) entre la description de l'appelant et la question de la parm (11) comme dans l'exemple précédemment cité.
C'est à ce moment-là que la question de la parm (11), dans le but de valider, par la réponse de l'appelant (12), le bon cadrage effectué, guidera, par le déclenchement de tous les attributs de la catégorie, le récit du patient vers un schéma de douleur thoracique typique. De ce fait, pour que les réponses puissent valider ou infirmer les hypothèses de la parm, par un oui ou par un non, les questions ne pourront qu'être fermées, comme le montrent tous nos exemples.
4. Conclusions
La perspective que nous avons adoptée, visant à interpréter les pratiques discursives comme des pratiques professionnelles nous permet d'envisager les liens entre travail et langage ainsi qu'entre travail, langage et cognition dans une optique dynamique, "en action". L'optique procédurale (Garfinkel 1996: 33, 39) consistant à saisir le problème par la description de tous les détails qui le constituent et le rendent ainsi observable à l'analyste s'avère opératoire à nos propos.
Le choix de focaliser notre attention sur les pratiques d'interprétation activées par un locuteur dont le savoir sur la maladie est véhiculé par les routines descriptionnelles des appelants (section 3), nous a permis de montrer une double approche à l'étude des catégories en contexte de travail.
Les catégories de douleur peuvent en effet être appréhendées selon une approche "située", c'est-à-dire, imbriquées dans les séquences interactionnelles tout en constituant dans la dynamique du "dire et du faire" (Sharrock et Watson 1990) une pratique professionnelle dont l'apprentissage se fait par et dans le discours.
Annexe: Les conventions de transcription
- Notes:
- 1.- Ce travail fait partie d'une convention de recherche entre le centre Samu des Yvelines 78, l'EHESS Paris et l'EA 1493 Paris III. Merci à M. le docteur Lambert, chef du service du Samu 78, Irène Tamba (EHESS) et Mary-Annick Morel (Paris III). Merci également au docteur J.M. Caussanel et à Mme Denys, responsable des parm, pour leur disponibilité et aide.
- 2.- Sacks, co-fondateur avec Schegloff et Jefferson de l'analyse conversationnelle aux Etats-Unis dans les années 60, propose une nouvelle "description sociologique". Le sociologue doit, selon les suggestions de Sacks (1963), prendre en compte, contrairement à ce que Durkheim a fait pour la catégorie "suicide", les accounts que les acteurs produisent pour parler de ces mêmes catégories.
- 3.- Les appels ont été transcrits selon les conventions établies en analyse conversationnelle (AC) par Gail Jefferson.
- 4.- Pour une présentation de ce type d'interaction, cf. Zimmerman 1992
- 5.- ME.: médecin, AP.: appelant, PA.: parm
- 6.- Le format que nous présentons ici ne prend qu'en compte les interactions entre appelant et parm et celles qui en ouverture d'appel présentent une description de l'appelant "spontanée" de la douleur.
- 7.- Pour la notion de prototype comme attracteur des membres à l'intérieur d'une catégorie, cf. Rosch 1976.
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- Annexe: Les conventions de transcription