La place de l'éducation dans le phénomène humain. Éducation ou barbarie.
Par Georges Bertin
Ouvrage:
Mauriras-Bousquet, Martine. La place de l'éducation dans le phénomène humain. Éducation ou barbarie. Paris, L'Harmattan, collection "Education et Sociétés" dirigée par Louis Marmoz, 2000, 272 p.
Étrange et fascinante réflexion que celle où nous entraîne Martine Mauriras-Bousquet, entre les capacités d'apprentissage du cerveau humain et les avatars sociaux de mai 68, des sociétés primitives à la mondialisation...
Résolument transdisciplinaire (car nous prévient l'auteur, dès l'introduction, "la transdisciplinarité est la science de notre temps"), l'ouvrage de Martine Mauriras-Bousquet s'organise autour de trois idées forces:
1- une réflexion anthropologique sur le thème "quand la barbarie vient aux sociétés". Pour l'auteur, le procès s'instruit à la période du 4ème millénaire quand les sociétés de chasseurs cueilleurs (paléolithiques) puis de villageois vivant dans un système d'économie mixte (néolithiques) et organisées sur le mode convivial et de l'autosubsistance, cèdent la place aux chefferies, et que "font irruption sur la scène de l'histoire, les premières sociétés d'exploitation, d'inégalité, de duperie et de guerre en Mésopotamie, en Egypte, en Chine... sociétés que nous qualifions de grandes civilisations mais auxquelles conviendrait mieux le nom de grandes barbaries(p. 160)."
Sociétés riches de relations interpersonnelles, marquées par l'absence de propriété personnelle, et la pleine utilisation des capacités sensorielles des hommes, sociétés de grande culture et de convivialité, de partage et de connaissances approfondie du milieu, cet Age d'Or de l'humanité est aujourd'hui redécouvert grâce aux avancées de la recherche et se trouve constituer pour l'auteur un modèle encore probant, même si les circonstances ont radicalement changé, de maîtrise de l'environnement de la place que l'homme y tient, de l'apprentissage de la vie avec l'autre.
Sur un plan éducatif, cette organisation sociale assurait en effet une insertion libre et naturelle de l'individu dans le groupe dans un rapport bienveillant entre les générations que l'auteur qualifie de "naturelle alliance", car toute société, écrit-elle, est basée sur la pulsion à fraterniser...
2- une réflexion sur les systèmes d'apprentissage. L'auteur, ici, nous interroge sur ce que nous sollicitons en termes de ressources cognitives dans une société vouée à la passivité. Quand le triomphe de la nouvelle civilisation de l'image risque de "devenir celui d'une vulgarité générale" qui contraindra la culture à rester dans la clandestinité, quand le schéma mutuellement admis devient celui de "l'automate instructeur et des élèves automatisés", quand "l'alliance de contre nature du constructivisme et de l'ingénierie instructionnelle envahit la pédagogie", quand "l'école s'aligne sur les médias" (p.115), que les langages symboliques sont désertés au seul profit des langages iconiques...
Et de rappeler que c'est dans l'alliance Rêve/Jeu/affectivité que se développe la maturation du cerveau, véritable clef de tout apprentissage en nous interrogeant: la faillite de nos systèmes éducatifs ne se tient-elle pas dans cette incapacité où nos sociétés seraient parvenues à restaurer l'éducation comme fonction sociale, à la fois transmission, renouvellement et invention de l'humanité.
3- Constater cela, c'est opter pour une société éducative qui se réfère obligatoirement aux paradigmes de la complexité: régulation, renforcement, relation circulaire, systèmes, machines autoréparatrices, émergence de structures autonomes, principes dialogique et récursive, dans le jeu du rêve et de l'imagination...
Lorsqu'elle en analyse les obstacles, l'auteur voit essentiellement dans la domination du système descendant, quand les impératifs éducatifs proviennent de l'organisation hiérarchique alors que toute éducation renouvelée doit, pour elle, si l'on veut préparer la jeunesse à survivre dans la société conflictuelle de notre temps, revenir au modèle ascendant "qui était celui de l'évolution du vivant".
De ce point de vue celui d'une société plus liée dans son évolution au phénomènes communautaires, Martine Mauriras-Bousquet, qui est experte UNESCO de systèmes éducatifs, et a, de ce fait, une réelle pratique des terrains extra européens, termine son ouvrage en pointant les initiatives d'éducation populaire et de proximité qui s'inventent sous nos yeux dans les pays du Sud, lorsque hommes et femmes du Tiers Monde apportent la preuve qu'ils peuvent légitimement avoir confiance en eux et prendre leur sort en mains face à un Occident qui croît encore que son modèle de développement est universellement valable.
Car, pour sortir, tant à l'interne qu'à l'externe, de la domestication, il est urgent, conclut-elle, de renouer avec une éducation mutuelle et informelle, avec l'échange entre les membres des communautés.
Certes, cet appel à un an trois de l'Education populaire (les deux premiers ayant été ceux de la Révolution française puis des inventions du début du 20ème siècle (des Universités populaires aux MJC), nous a personnellement rappelé des instances de mobilisation qui ont traversé le siècle (Education nouvelle, Ecole émancipée, éducation mutuelle, non directivité, pédagogies institutionnelles...); le mérite de l'ouvrage de Martine Mauriras-Bousquet est d'en renouveler et les fondements théoriques et des perspectives proprement instauratrices fondées sur une responsabilisation généralisée.
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Elle rejoint ici les réflexions d'un Castoriadis en appelant[1] au désir de formation qu'il nommait "puissance proprement poiétique de l'humain".
- Notes:
- 1.- in La montée de l'insignifiance, Les carrefours du labyrinthe, IV, Le Seuil, 1986, p. 199.
- Notice:
- Bertin, Georges. "La place de l'éducation dans le phénomène
humain. Éducation ou barbarie.", Esprit critique,
vol.04 no.12, Décembre 2002, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet:
http://www.espritcritique.org