Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve de 
                l'exclusion 
                Par Brahim Labari 
                
              
Ouvrage:
                Cédric Frétigné (en collaboration avec Thierry 
                Panel): Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve 
                de l'exclusion, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques sociales, 
                avril 2001, 153 pages. 
              
"Dur, dur d'être un bébé-sociologue...", c'est 
                sous ce titre que j'aimerais rendre compte du livre de Cédric 
                Frétigné. 
              
     Auteur d'un remarquable 
                ouvrage Sociologie de l'exclusion (L'Harmattan, 1999), 
                Cédric Frétigné se propose dans un exercice à trois (le sociologue 
                (lui-même), l'enseignant (Thierry Panel) et les élèves de la 1ère 
                Economiques et sociales) de faire oeuvre de pédagogue en sollicitant 
                les lycéens à apprendre à raisonner en sociologues. Le thème proposé 
                est celui de l'exclusion. 
              
     Cette idée est originale 
                tant il est vrai que "l'apprenti sociologue aurait beau jeu 
                de critiquer la surdétermination sémantique de la notion d'exclusion 
                ou de se gausser de ses usages immodérés. Questionnement socialement 
                dominant, la problématique de l'exclusion est en effet grevée 
                d'imprécisions sémantiques, de définitions polymorphes qui ne 
                sauraient satisfaire le chercheur en quête d'une rigueur conceptuelle. 
                A l'instar des mots-valises "SDF" ou "ghetto", le vocabulaire 
                de l'exclusion souffre, d'un point de vue scientifique, d'un déficit 
                de sens"[1]. Originale aussi 
                car la problématique de l'exclusion pourrait sensibiliser des 
                individus au-delà de leur position sociale et de leur capital 
                culturel. Le pari est accompli vu l'intérêt du sujet suscité chez 
                les lycéens et de l'actualité foudroyante du phénomène. L'ouvrage 
                comporte trois parties. La première "Les premiers pas" 
                se propose de convaincre (chap.1) les lycéens de l'intérêt 
                sociologique du sujet à traiter, de leur fournir les prémisses 
                (chap. 2) de l'investigation sociologique, de les "former" 
                (chap. IV) à la problématisation et à la méthodologie sociologiques. 
                La deuxième partie porte sur les logiques d'engagement citoyen, 
                du bénévolat et du don face au problème social qu'est l'exclusion. 
                C'est là que la dimension humaine de l'exclusion apparaÓt avec 
                netteté. La troisième partie "Et après..." porte sur la 
                finalisation du travail effectué, un bilan somme toute positif. 
              
     Le lecteur remarquera 
                que le livre est un plaidoyer pour la connaissance rigoureuse 
                des faits sociaux et une invitation à l'engagement citoyen nécessaire 
                à la restauration du lien social entre les différentes catégories 
                de populations. 
              
     De l'intérêt du projet 
                au bilan général du travail accompli, en passant par la mise en 
                perspective de l'enquête sociologique et des représentations de 
                l'exclusion, l'ouvrage s'apparente à un manuel de vulgarisation 
                d'une discipline trop souvent ancrée dans un statut par trop intellectualiste. 
                En cela, le livre regorge d'enseignements, bien qu'entaché de 
                quelques travers. L'un des enseignements à faire valoir est d'ordre 
                "positionnel", voire "identitaire" de notre discipline: la sociologie 
                n'est pas seulement une science destinée à produire du savoir 
                scientifique; elle doit se doter d'une dimension critique. En 
                l'occurrence, la gravité même du thème traité (l'exclusion) inviterait 
                et le sociologue, et l'enseignant, et les lycéens à se positionner 
                contre un phénomène qui ronge nos sociétés contemporaines. Se 
                positionner contre l'exclusion passe par un examen attentif et 
                approfondi des alternatives citoyennes et bénévoles susceptibles 
                "d'améliorer la situation des exclus". Nonobstant la "neutralité 
                axiologique" louée comme un principe scientifique de base, le 
                sociologue et les apprentis sociologues ne doivent pas seulement 
                identifier le "profil" sociologique des exclus, leurs trajectoires 
                sociales et les différentes transformations des figures de l'exclusion, 
                mais rechercher, au-delà des constats, les "fabricants" de l'exclusion, 
                et distinguer nettement ce qui a trait au "problème social" et 
                à "l'objet sociologique". C'est le dur passage du premier au second 
                qui s'avère l'élément fondateur de l'apprentissage du métier de 
                sociologue. Entre les deux, se trouve l'assimilation d'une méthodologie 
                et d'une démarche. Sans reprendre l'auteur, arrêtons-nous sur 
                la position d'observation participante que C. Frétigné a lui-même 
                pratiqué dans le cadre de son travail sur les SDF (sans domicile 
                fixe), et dont, semble-t-il, il a tiré quelques valeurs heuristiques 
                (p.36): "Au niveau de la transmission du savoir sociologique, 
                la pratique du terrain a une vertu sociologique indépassable". 
                Curieusement, l'auteur ne s'est attardé que sur l'observation 
                sociologique, histoire de permettre aux apprentis sociologues 
                de se doter d'un regard sociologique. A peine quelques mots sur 
                l'observation participante qui aurait amené les apprentis sociologues 
                à partager le peu quotidien des exclus. 
              
     Les lycéens sont 
                dépêchés dans des associations caritatives, ces lieux communs 
                o˜ l'exclusion se donne à voir et à observer. Le relevé des observations 
                effectuées par les apprentis sociologues fait ressortir dans un 
                premier temps une certaine familiarité avec les individus observés, 
                des évidences premières. Ensuite, en interrogeant ces évidences, 
                les lycéens parviennent à s'arrêter sur des détails instructifs 
                (la façon de tenir la cigarette par exemple peut être expliquée 
                par des variables telles que l'’ge...). Il y a là (p.71-83) de 
                quoi fournir aux enseignants de l'enquête sociologique quelques 
                substances pour leurs cours. On se demande à la fin quelle valeur 
                accorder à toutes ces pages o˜ l'on trouve pêle-mêle les apports 
                théoriques (Durkheim, Weber...) à propos de la problématique de 
                l'exclusion, les éléments de l'enquête sociologique, un immense 
                carnet de bord des apprentis sociologues. Est-ce à conforter l'auteur 
                dans son approche de l'exclusion et à la faire partager aux "profanes"? 
                Est-ce encore à susciter l'engagement citoyen des lycéens face 
                à un phénomène auquel ils sont familiers? Ou encore à faire valoir 
                une démarche sociologique réflexive que les apprentis sociologues 
                seraient invités à intégrer dans leur approche des problèmes sociaux 
                de notre époque? 
              
     Quoi qu'il en soit, 
                le travail mené atteste des vertus du partenariat, de la coordination 
                équitable d'une co-production d'un savoir sociologique. 
              
     Le titre, Sociologie 
                de classe peut prêter à confusion malgré un sous titre qui 
                me semble tout aussi impropre. Si l'on s'arrête au titre, il peut 
                incidemment induire un lecteur pressé à invoquer la sociologie 
                marxiste dont les classes sociales constituent un invariant sociologique. 
                Le sous-titre aurait été conforme au contenu et à l'esprit de 
                l'ouvrage s'il avait été Les lycéens face à la problématique 
                de l'exclusion... Car il faut en convenir: ce ne sont pas 
                les lycéens qui sont à l'épreuve de l'exclusion, mais bien leurs 
                semblables, leurs frères... Pourquoi avoir choisi les lycéens 
                pour cet exercice? Est-ce par commodité de recherche? Ou alors 
                ce choix est-il dicté par la considération que la sociologie n'est 
                enseignée qu'à l'université, et que son enseignement depuis le 
                lycée serait à envisager... L'implication de Thierry Panel dans 
                la réflexion pourrait laisser supposer la validité d'une telle 
                hypothèse... 
              
     L'ouvrage de Cédric 
                Frétigné permet aux non-sociologues de prendre connaissance de 
                façon élémentaire du travail sociologique. Il va sans dire que 
                cet exercice est indispensable, surtout pour des objets courants 
                et qui nous sont familiers. Mais le processus d'apprentissage 
                est laborieux comme en témoigne la citation d'une apprenti-sociologue 
                placée en exergue en début d'ouvrage: "En retranscrivant ce 
                carnet de bord, je me suis rendue compte que mon point de vue 
                a changé sur certaines choses. Ce travail, fait tout au long de 
                l'année a parfois été rebutant, mais m'a continuellement appris 
                des choses que j'ignorais. J'ai vu qu'il n'était pas facile de 
                s'organiser pour sauver le monde et qu'il ne suffit pas de donner. 
                Il faut surtout participer. Un homme politique a dit un jour qu'une 
                bonne loi valait mieux que mille dons humanitaires. Je suis d'accord 
                avec lui et j'ajoute même qu'il est nécessaire de monter haut 
                dans la hiérarchie sociale afin d'être en mesure de faire mouvoir 
                les choses. Finalement, je peux dire que ce travail aura amplifié 
                mes motivations quant à l'avenir". A défaut de se hisser au 
                rang des sociologues confirmés, les apprentis sociologues ont 
                fait leur l'engagement citoyen. Mais les deux dimensions sont 
                complémentaires aux yeux de l'auteur, et surtout pour une tradition 
                sociologique plus soucieuse du devenir humain aux lois sociales 
                équitables.
              
              
              
              
              
              
              
                - Notes: 
                - 1.- Cédric Frétigné 
                  "Sociologie de l'exclusion", Paris, l'Harmattan, coll. Logiques 
                  sociales, 1999, p.13. 
              
                - Notice: 
                - Labari, Brahim. "Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve de l'exclusion", Esprit critique, vol.04 no.11, Novembre 2002, ISSN 1705-1045, consulté 
                  sur Internet: http://www.espritcritique.org