Ethnographie, micro-détails et modèles-récits fractals (MRF)
Par Gérard-Louis Thiault
Présentation de l'auteur:
Doctorant en Sciences de l'Éducation. Université de Haute Bretagne. Rennes 2. CERPPE. EA 3210. Gérard-Louis Thiault est réalisateur de télévision au Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) de l'île de La Réunion. Son parcours l'a d'abord conduit à enseigner et à pratiquer les sciences exactes (il est ingénieur en électronique, physicien et passionné par l'astronomie et l'astrophysique) avant de découvrir les sciences humaines et plus particulièrement la microsociologie et l'ethnographie de l'éducation. Il obtient une licence (1998) et une maîtrise (1999) des Sciences de l'Éducation à l'Université de La Réunion puis il entame en 2000 un troisième cycle à l'Université de Haute-Bretagne (UHB), à Rennes 2, sous la direction du Professeur Patrick Boumard. Il obtient un DEA en 2001, il est actuellement doctorant en Sciences de l'Éducation (CERPPE EA 3210). Ses travaux sur la complexité, la déviance, le décrochage-raccrochage scolaire présentent la particularité d'installer en le provoquant le dialogue (et d'observer ce dialogue en y participant) de regards, de théories et de concepts mathématiques ou physiques avec des regards, des théories et des concepts microsociologiques, ethnographiques. L'auteur revendique son appartenance à la mouvance transdisciplinaire et sa connivence avec plusieurs chercheurs tant "exacts" qu'"humains" de Benoît Mandelbröt à Erving Goffman en passant par Ylia Prigogine, Edgar Morin, Murray Gell-Mann ou Harold Garfinkel...
Résumé:
Cet article s'inscrit dans la continuité de recherches et travaux sur le temps, la complexité et les modèles fractals. Partant de la remarque triviale que l'ethnographie possède un regard essentiellement (et peut-être trop ou mal) microscopique, je revisite le concept de "micro-détail" à l'éclairage des propriétés fractales d'"invariance d'échelle et d'"auto-similarité". Cela étant, je propose une extension du concept-outil de "complexité-temps" et une amorce de taxonomie-outil des "micro-détails".
Dans un précédent article[1] j'ai abordé quelques-uns des concepts et des outils forgés au cours de mes travaux[2], tels la "complexité-temps" (CT) et les "modèles-récits fractals" (MRF). J'ai également cité plusieurs des caractères spécifiques des fractales: dimension fractale et invariance d'échelle. Je vais revenir dans cet article sur cette dernière propriété car elle suggère quelques réflexions et quelques pistes qui pourraient bien servir notre projet ethnographique.
Ethnographie et micro-détails
C'est d'un constat évident (trivial même) qu'il faut partir: l'oeil ethnographique cher au Professeur Patrick Boumard (UHB, Rennes 2) est rivé de la manière la plus ostensible sur le micro (en fait, sur tous les micros: spatiaux, temporels, ordinaires, quotidiens...) que la "grande sociologie" macro-quantitative a tout aussi ostensiblement ignoré, méprisé et systématiquement remisé (généralement en compagnie du qualitatif...) dans les placards de l'insignifiance, du non (ou insuffisamment) scientifique.
Je pense qu'il est inutile de donner ici explicitement ma position quant à ces choix et quant à ces querelles (macro/micro, quantitatif/qualitatif) car une rapide lecture de mes travaux et le titre même de cet article y suffisent: j'ai résolument (ou du moins, je m'efforce d'avoir) l'oeil (très qualitatif) sur le micro, sur le détail, sur le peut-être déjà "vu mais pas (encore) remarqué". J'ai l'oeil microscopique et c'est un héritage que m'ont légué mon parcours initial de physicien, mes recherches dans les rangs de la microsociologie et de nombreuses heures passées à explorer les mondes fractals.
J'avoue avoir toujours été subjugué par la pertinence et l'efficacité de ce regard collé aux détails et au minuscule mais j'avoue aussi m'être souvent demandé si "la mariée n'était pas trop belle" ou si je n'étais pas la victime d'une mode épistémologique. Je me suis assez inquiété pour écrire cet article et revisiter quelques uns de nos axiomes, principes, "allant de soi" et "certitudes ethnographiques"[3] avant d'aller voir ce que nous suggèrent les fractales. Pour ce faire, je considérerai d'abord l'avantage direct que se donne l'oeil ethnographique: en minimisant la distance d'observation, il augmente son pouvoir de résolution. La(les) complexité(s) est(sont) devenue(s) mieux visible(s) et plus lisible(s). Durant mes recherches de maîtrise sur le temps dans la communauté musulmane de Saint-Denis de la Réunion, j'avais confronté la posture ethnographique à la posture macro-sociologique. Cette dernière lissait[4] tellement les aspérités du temps qu'il devenait impossible d'en distinguer les caractères, les boucles, la rugosité et toutes les spécificités que la posture ethnographique me révélait. Le temps extrêmement complexe de mon terrain (je découvrirai plus tard, très fractal) perdait toute son épaisseur. Les vaguelettes (toujours susceptibles de s'auto-organiser en tsunamis, en solitons, de produire des émergences) étaient totalement invisibles à grande distance.
La réduction de la distance est donc un avantage mais elle reste néanmoins une voie difficile. Les chercheurs qui ont utilisé l'observation participante ont généralement vécu en même temps la griserie qu'il y a à placer l'oeil au ras et/ou dans le micro et la difficulté permanente, harassante qu'il y a à prendre le recul que nécessite un travail scientifique. L'avantage peut même se transformer en handicap lorsque qu'il nous faut relier les micro-détails que nous observons à un cadre spatial, temporel et théorique plus général. Nous avons certes admis que le tout contient la partie et que la partie contient le tout mais le plus souvent quasiment comme un postulat tant il semble qu'une bonne partie du parcours théorique reste encore à faire. Cela étant, nous sommes tenus de saturer nos modèles, de faire mille concessions et mille courbettes à la "grande sociologie". Sans cesse, il nous faut affirmer et ré-affirmer la scientificité du projet ethnographique colloque après colloque, article après article pour ne pas être taxés d'amateurs ou de bricoleurs au service d'une "petite sociologie".
L'oeil ethnographique est un microscope. Il est bon et puissant mais cela n'est pas suffisant. Nous devons abandonner l'idée qu'il n'existe qu'un seul micro et qu'il est absolu. Nous devons apprendre à varier les angles, la distance et le grossissement pour questionner sous tous les azimuts et à toutes les altitudes la(les) complexité(s). Je citais plus haut une étude sur le temps musulman et le lissage qui se manifestait quand la distance augmentait mais n'y avait-il pas là un biais? Est-ce que je n'observais pas alors une autre complexité ou une complexité "autre"? Ne faudrait-il pas relativiser le micro-détail, le situer dans le contexte, re-examiner la relation observateur-observé non seulement sur l'axe qualitatif mais aussi sur l'axe quantitatif? Comment expliquer sans s'être posé ces questions le paradoxe qui fait que lorsque nous varions la distance d'observation (donc jouons sur l'axe quantitatif) nous modifions qualitativement nos observations et distinguons des détails différents qui appartiennent à d'autres visages de(des) la complexité(s) ou à une (des) complexité(s) "autres(s)"[5]? Ne serait-ce pas le moment de commencer à établir une taxonomie des micro-détails qui prenne en compte leurs types, leurs environnements et leurs rôles en particulier dans la dynamique de la complexité[6]?
Avant d'apporter quelques éléments de réflexion et quelques pistes où pourraient bien se trouver des réponses à ces questions, il paraît judicieux de donner les grands traits du portrait d'une approche que j'ai développée. Cette approche est au coeur de ce que j'ai appelé la "fractométhodologie" qui est, elle aussi, en construction. Elle est l'approche d'un regard qui a d'abord été multi-référentiel (sciences physiques / sciences humaines) avant de devenir "trans-référentiel". Elle s'appuie sur la puissance de suggestion des images fractales et plus particulièrement des "modèles-récits fractals" (MRF).
J'ai des images que je fais dialoguer avec mes hypothèses. Je provoque et j'observe le dialogue. Mon oeil devient un "trans-regard" que je dirige à la fois sur ce dialogue et à la fois au-delà (et à travers) de mes MRF et de mes hypothèses. Je varie les angles et les cadres. J'effectue des travellings. Je zoome. J'utilise toute l'offre de mouvements et de degrés de liberté que me donnent l'invariance d'échelle et les auto-similarités fractales.
Invariance d'échelle et auto-similarité
"Ce fil conducteur, qui définit les fractales, est l'idée que certains aspects du monde ont la même structure de près et de loin, à toutes les échelles, que seuls des détails sans portée changent lorsqu'on les agrandit pour voir les choses de près. Ainsi, chaque petit bout d'une fractale contient la clef de la construction entière". (Mandelbröt, 1997, p.36).
Dès le 17ème siècle, Leibniz imagine qu'un monde entier peut être contenu dans une goutte d'eau. Un moment délaissée, la piste de l'invariance d'échelle est reprise et explorée au début des années 70, par le mathématicien Benoît Mandelbröt: "On peut penser à ce "mécanisme" comme à une sorte de cascade ou plutôt comme à un feu d'artifice à étages, chaque étage engendrant des détails plus petits que l'étage précédent". (Mandelbröt, 1995, p.26).
L'invariance d'échelle renvoie aux lois "scalantes"[7], à l'auto-organisation et à l'émergence: "La loi de Zipf demeure en grande partie inexpliquée, ce qui est tout aussi vrai d'un grand nombre d'autres lois de puissance. [...] En général, la distribution d'une loi de puissance manifeste une "indépendance d'échelle". C'est pourquoi, les lois de puissance sont aussi appelées "lois scalantes".[...] La démonstration que les lois de puissance sont à l'oeuvre dans des cas de criticalité auto-organisée a contribué à répandre encore plus l'expression déjà populaire "d'auto-organisée", souvent en co-occurrence avec le mot "émergent"." (Gell-Mann, 1997, p.116-117).
L'auto-similarité (ou auto-similitude) est directement liée au "mécanisme" d'invariance d'échelle. Elle énonce que les formes observées sont conservées indépendamment du grossissement (de la variation de distance d'observation) qui est utilisé par l'observateur. Un exemple naturel est donné par la forme des nuages, un autre par les ramifications des branchages, un autre encore par le découpage des côtes maritimes. L'auto-similarité se manifeste aussi sur la dimension temps: régime des crues, phénomènes sismiques, chute de la pluie. L'auto-similarité peut être d'origine anthropique: variations des cours boursiers, parasites dans les lignes de transmission... L'auto-similarité se rencontre donc finalement presque partout et ce n'est pas faire un pari bien risqué que de dire qu'elle existe (et donc qu'il faut la prendre en compte) dans l'humain, dans le social, dans ce que notre oeil ethnographique à l'habitude de regarder.
Exemples d'auto-similarités fractales
Figure 1
Triangle de Serpinski
Figure 2
Fractale de bifurcation
Figure 3
Attracteur étrange
Ces exemples montrent que:
1) Il existe deux catégories d'auto-similarités: l'auto-similarité parfaite que je qualifierai de "fermée" (Fig.1) et l'auto-similarité approximative que je qualifierai d'"ouverte" (Fig. 2 et 3). Chaque morceau, même infiniment petit, du triangle de Serpinski (Fig.1) est une image parfaitement semblable à la fractale dans son entier. A la variation de taille près, il n'y a aucune erreur de copie, aucune dérive ou déviance, aucune innovation ou surprise, aucune... "imagination" ici. Par contre, les fractales des Fig.2 et Fig.3 ne conservent qu'approximativement leur forme générale. Elles simulent la variété, les erreurs de copie, les effets du hasard. Ces fractales à auto-similarité "ouverte" semblent posséder des marges de manoeuvre, une certaine liberté, et de... l'"imagination".[8]
2) L'auto-similarité "ouverte" est "bornée". La forme se dissout, implose, elle change radicalement et disparaît au-delà des bornes. C'est le cas en Fig.2 et Fig.3 et de manière générale dans la nature où l'on ne peut pas augmenter infiniment le grossissement contrairement au cas de la Fig.1.
Ces deux remarques suggèrent que:
1) L'auto-similarité "fermée" renvoie davantage au compliqué et que l'auto-similarité "ouverte" renvoie davantage au complexe. En conséquence, - c'est une proposition pour le choix et l'exploitation des MRF -, les fractales à auto-similarité "ouverte" sont les plus pertinentes pour simuler ou modéliser en sciences humaines.
2) Puisque à chaque étage de l'auto-similarité, il existe des micro-détails (qui dans le cas de l'auto-similarité "ouverte" sont différents de ceux des autres étages), il existe aussi plusieurs micros dont le nombre[9] et les caractères sont en relation avec la distance d'observation et les choix de l'observateur. En conséquence, l'oeil microscopique ethnographique devrait évoluer en oeil "polyscopique" (ou "transcopique"?) ethnographique qui interrogerait sans relâche le dialogue observateur/observé tout au long de l'invariance d'échelle: Qui observe quoi? Comment? A quel étage appartient "ce" micro-détail, "cette" complexité? Ne s'agit-il pas d'une anomalie? D'une perturbation? D'un artefact? De quelque chose d'endogène ou d'exogène? Où se trouve la "clé de la construction entière"? Existe-t-elle? Quelle est-elle? Permet-elle comme un ascenseur de changer facilement d'étage? Permet-elle de lire le tout contenu dans la partie et la partie dans le tout? Comment cette lecture évolue-t-elle quand l'angle et l'altitude changent? Quelles sont les conséquences des choix de distance que fait l'observateur?...
3) Les bornes marquent des bifurcations "majeures"[10] séparant des mondes différents ("autres") alors que l'intervalle entre les bornes ne semble contenir que des niveaux d'organisation différents séparés par des bifurcations "mineures". En conséquence, il semble possible de choisir des fractales à auto-similarité bornée ou non comme MRF selon le type et le champ de la recherche.
4) L'"imagination" des fractales à auto-similarité "ouverte" dote les fractales d'un futur "ouvert". Cela étant, les MRF sont dynamiquement complets puisqu'ils ont une histoire engrangée et accumulée dans ce que j'avais identifié à de la "mémoire fractale" dans un précédent article et un avenir lové et caché (mais non écrit) dans les approximations de l'auto-similarité "ouverte". Cela invalide l'opinion très répandue que la géométrie fractale est statique[11] et valide le choix de cette géométrie pour modéliser et simuler la Complexité-Temps (CT)[12].
5) Dans l'intervalle entre deux bornes, l'"imagination" des fractales à auto-similarité "ouverte" est une "imagination raisonnable". Il y a comme de la prudence dans la dynamique à l'oeuvre. Il y a conservation globale de la forme. Tout ce qui n'est pas interdit n'est pas intégralement possible ou pleinement essayé[13].
Vers une taxonomie (fractale) des micro-détails
Avant de proposer une taxonomie (et pour en éclairer la logique), il faut revenir sur quelques étapes précédentes de mes travaux car les micro-détails y ont été constamment présents. Mes choix micro-qualitatifs et ethnographiques les ont appelés dès le début de mes recherches. Rapidement, je les ai soupçonnés d'être les premiers "artisans", le "carburant", le "ferment", les "moteurs" cachés des bifurcations (c'est pour cela que j'ai utilisé le terme de "germe") et d'être eux-mêmes fractals. Puis, alors que je construisais le concept CT et que j'explorais mes premiers MRF, j'ai fini par intégrer complètement les micro-détails à mon cadre fractal et à la dynamique de la complexité à l'éclairage de travaux de Benoît Mandelbröt sur les "multifractales" et le "temps intrinsèque"[14] et de René Thom sur le "déploiement" des singularités[15]. Cela étant, mon attention s'est donc concentrée sur les rapports entretenus par les micro-détails à la dynamique et à la "fractalité". Aujourd'hui, je suis plus que jamais persuadé et convaincu que les micro-détails ne sont jamais "neutres", "sans intérêt" ou "sans portée"[16] comme l'a écrit Benoît Mandelbröt pour une fois assez mal inspiré. Pour les traquer à tous les étages de l'auto-similarité et dans toutes les dimensions de la complexité ("oeil polyscopique et transcopique") j'ai récemment étendu le concept CT afin de prendre en compte des dimensions (Dim1,..., Dim n) que je qualifie provisoirement (et faute de mieux) de "spatiales"[17]. Dans cette Complexité-Temps étendue (CTé), le temps est toujours la dimension principale de la dynamique de la complexité. Les autres dimensions permettent de définir un espace En, d'y réaliser des observations, des projections[18] et des instantanés (projection selon T) de CTé et de la structure holistique du monde.
Figure 4
CT Étendue (Cté)
Au début de ce chapitre, j'ai parlé de la logique de la taxonomie que je propose. C'est une logique qui possède deux articulations:
1) Rapports des micro-détails à la dynamique de la complexité (Cté).
2) Rapports des micro-détails à la modélisation et aux suggestions fractales (dont bien sûr celles des auto-similarités) (MRF).
Proposition de taxonomie
Origine
Choix différé?
Causalité?
Effet
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Endogène
Imagination auto-similaire, histoire, temps intrinsèque, germes, territoires internes cachés ou inconnus...
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Zone Incertaine
(trans-certaine)
Connivences? Résonances?
Dialogues?
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Exogène
Contingence, hasards, perturbations naturelles ou construites: (analyseurs, breaching)
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"Faible"
Changements de niveau d'organisation ou de champ, validité de la logique du tiers exclus, effet limité à un ou quelques étages de l'auto-similarité, réversibilité plutôt possible, émergence faible
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Bifurcations mineures, modifications ou variations de détails du quotidien, des habitudes, effet de mode, violences et déviances ordinaires...
NB: les dimensions de En sont tout au plus légèrement altérées.
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Porosité et nature (continue, discontinue, fractale?) de la frontière
"dans / hors"
(si elle existe)???
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Perturbations, contaminations ou bruits "faibles" externes, hasard bénin, hasard lent... susceptibles d'entraîner des modifications ou des variations bénignes...
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Zone
"Intermédiaire"
Entre les étages des auto-similarités: Connivences? Résonances?
Dialogues?
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Continuum?
Organisation de la bifurcation progressive? Bifurcation "annoncée" de Feigenbaum?
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"Fort"
Changements de niveau de réalité, logique du tiers inclus, effet simultanément à tous les étages de l'auto- similarité, irréversibilité
forte ou totale, émergence extrême, singularité
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Déploiement universel d'un "germe", bifurcation majeure, corrélation à grande distance, catastrophe, accidents gelés de Gell-Mann, tsunamis, déviances et violences extraordinaires,...
NB: les dimensions de En sont fortement altérées et/ou remplacées par les Dim d'un "autre" En
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Évolution des paramètres caractéristiques de la frontière (si elle existe).
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Perturbations, contaminations ou bruits "forts" externes, hasard sauvage, hasard lent... susceptibles d'entraîner des modifications ou des variations extrêmes...
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Cette taxonomie reste en très grande partie un chantier de construction sur lequel j'invite à venir tous ceux qui pourraient le souhaiter. On constate qu'elle est plus une grille de travail et de réflexion qu'une "véritable" taxonomie. J'ajoute que son exploration et son exploitation scientifiques ne sauraient s'envisager sans un minimum de connaissances des sciences de la complexité, sans un questionnement[19] permanent, tournant, virevoltant, répété, impitoyable, obstiné de l'oeil ethnographique devenu "polyscopique" et/ou "transcopique", sans un observateur acteur, "réélisateur", participant, impliqué, en dialogue et en interaction avec un observé.
Brève conclusion provisoire
En introduction, j'ai formé l'hypothèse que l'éclairage de l'invariance d'échelle et des auto-similarités pourrait servir le projet ethnographique. Quid de cette hypothèse à l'heure de la conclusion? Est-ce que je ne demande pas trop en suggérant de quitter au moins quelquefois nos microscopes, nos "ethno-terrains"? Vais-je nous attirer les foudres "sokaliennes" ou les foudres de la "grande sociologie" ou nos propres foudres? Je n'ai pas de réponses à tout cela. Je ne fais que poser des questions et douter de beaucoup de choses y compris de mes "chères" fractales puisque je me suis fait un devoir de ne jamais oublier que "Les applications fractales sont étendues mais pas universelles. La vache fractale n'est pas nécessairement plus réaliste que la vache sphérique". (Steward, 1998, p.342).
- Notes:
- 1.- Thiault G.L. (2001) "La fractale de bifurcation: "modèle-récit" du décrochage raccrochage scolaire?" in Décrochage scolaire, décembre.
- 2.- "Temps, Société et Ecole...Le temps dans la communauté musulmane et à l'école coranique de Saint-Denis de la Réunion". Mémoire de Maîtrise soutenu à l'Université de La Réunion, 1999. "Temps, complexité, société, école. Le regard fractal: caractères, pistes et horizons..." Mémoire de DEA soutenu à l'UHB, Rennes 2, 2001. "Les "modèles-récits" fractals: de nouveaux outils pour l'ethnographie de l'école? Pistes, horizons et limites". Thèse en cours.
- 3.- Les "exacts" et les "durs" n'ont pas le monopole des certitudes...
- 4.- "L'économiste qui se veut objectif et quantitatif méprise facilement les détails des diagrammes que les journaux utilisent pour représenter les variations de prix. Souvent, il se hâte de les "lisser", afin de mettre en valeur une réalité sous-jacente qu'il estime plus essentielle. Plus généralement, le philosophe parle volontiers du contraste entre "les apparences" et "le fond des choses" [...] tout au contraire, j'ai un respect profond pour ce que peuvent révéler les apparences, à condition, bien entendu, que l'oeil les examine de façon répétée et impitoyable". (Mandelbröt, 1997, p.34)
- 5.- Voir les "niveaux d'organisation" et les "niveaux de réalité" de la transdisciplinarité.
- 6.- Voir mon concept de complexité-temps (CT).
- 7.- Telle la loi de Zipf (1930) qui semble intervenir dans de nombreux classements (populations des agglomérations, fréquence d'apparition des lettres ou des chiffres dans des listes) dans lesquels la quantité examinée est inversement proportionnelle au rang, c'est-à-dire proportionnelle à 1/1, 1/2, 1/3,..., 1/n.
- 8.- Comme ethnographe, je n'adhère pas ici au point de vue (très mathématique) de Benoît Mandelbröt (1997, p.36) lorsqu'il écrit que "seuls des détails sans portée changent lorsqu'on les agrandit pour voir les choses de près".
- 9.- J'émets l'hypothèse que ce nombre est égal au nombre d'étages auto-similaires que compte l'objet observé.
- 10.- J'écris "majeure" en italiques (comme plus loin, "mineure") pour signifier que je ne me réfère pas à l'axe quantitatif mais plutôt à l'axe qualitatif et aux conséquences sur ce dernier axe des bifurcations.
- 11.- "[...] Le rôle des fractales au sein de la dynamique est devenu absolument central. En particulier, une opinion qu'on entend répéter, affirmant que la géométrie fractale est uniquement statique, est tout à fait sans fondement". (Mandelbröt, 1997, p.39).
- 12.- C'est un choix qui s'est trouvé être fortement renforcé, il y a maintenant deux ans, par les... "suggestions" des attracteurs étranges. "L'attracteur étrange vit dans l'espace des phases [...] qui permet de transformer des nombres en images, de dégager l'essentiel de l'information d'un système pour en dresser la carte routière de toutes ses possibilités". (Gleick, 1991, p.175). "En fusionnant l'ordre et le désordre, les attracteurs étranges sont des mélangeurs efficaces. Ils créent de l'imprédictibilité. Ils augmentent l'entropie. [...] Ils créent de l'information, là où il n'en existait pas". (Gleick, 1991, p.322-323).
- 13.- Pour pallier ce relatif manque d'"inventivité" qui résulte peut-être des limites introduites par le déterminisme sous-jacent au chaos (cf. théorie(s) du Chaos), Mandelbröt a eu l'idée de provoquer, de libérer l'"imagination" fractale endogène en y introduisant des sources exogènes d'"imagination": déséquilibres, perturbations aléatoires, hasard, bruit,...
- 14.- "Each recursion stage ends with an "approximate intrinsic time" that becomes increasingly "wrinkled" (plissé) as the interpolation proceeds. [...] Each stage of interpolation makes the intrinsic time become increasingly concentrated and in the limits manifests a high degree of concentration in very short period of time. " (Mandelbröt, 1999, p.51).
- 15.- "L'idée est celle-ci: quand on a un germe d'une fonction, on peut toujours l'immerger dans une famille maximale. Ce germe analytique engendre une famille de toutes ses déformations. Donc, de par sa propre structure, il engendre quelque chose qualitativement. Le déploiement universel est tout simplement une manière de "déployer" toute l'information intrinsèque contenue dans une singularité. Selon moi, une singularité d'une application est toujours une chose qui concentre toute une structure globale en une structure locale". (Thom, 1991, p.27).
- 16.- Extrait de mon journal de recherche (27 mars 2001): "[...] D. mène en ce moment une recherche sur les "décrocheurs". Je lui suggère que le "décrochage" doit sans doute relever de la problématique des bifurcations. [...] Je lui rappelle le concept de "germes" que j'avais commencé à construire en maîtrise. Les "germes" étaient alors dans mon esprit similaires à des "virus" latents qui sommeillaient jusqu'à ce que l'environnement, un événement les fassent se déployer. J'ajoute, que depuis, je me suis intéressé à la nature même des "germes " ce qui fait que j'en arrive à penser qu'ils sont du "temps en concentré", du temps qui a été "ramassé" durant le parcours, les rencontres, les immersions culturelles de chacun d'entre nous. Les "germes" sont donc pour moi un concept doublement opérationnel: 1) Puisqu'ils sont des "virus" capables de se déployer, ils peuvent être les "moteurs" des bifurcations sous une sollicitation qui leur convient. 2) Puisqu'ils sont des grains de temps des temps et de l'histoire de chacun infiniment repliés, bouclés sur eux-mêmes, ils entrent dans mon cadre fractal, ce qui me conduit à dire qu'ils sont de la complexité concentrée en une singularité et qu'alors ils peuvent aussi se déployer mais d'"eux-mêmes" en une émergence singulière". (non publié).
- 17.- Ces dimensions "spatiales" ne doivent pas être réduites aux 3 dimensions géométriques de l'espace euclidien. Elles les incluent parmi d'autres (culturelles, psychologiques, religieuses, sociales...) et définissent (avec le(s) temps) des "espaces complexes En" munis d'une "métrique" ("distances") et possédant une "topologie" qui "contiennent" des "lieux", des "champs", des "entités", des "interactions" et des "objets" qui relèvent des sciences de la complexité appliquées aux sciences humaines. Pour ce qui est de la sociologie, c'est "là" qu'évoluent, interagissent, se manifestent et se décrivent ses objets, c'est "là" que se construisent, se vérifient (ou s'invalident) ses concepts, ses modèles et ses théories, c'est "là" qu'oeuvrent ses méthodologies, ses approches et ses regards, c'est "là" bien sûr que je situe l'observateur participant et le couple "co-réélisateur" observateur-observé.
- 18.- Exemple 1: Dim 1 du schéma peut être la "distance d'observation" ou l'étage de l'auto-similarité que l'on observe. La projection décrit alors Cté pour l'étage observé. En prenant une autre distance d'observation, il est possible d'obtenir la projection d'un autre étage et ainsi de suite puis d'effectuer des comparaisons selon toutes les dimensions de Cté, temps y compris. Exemple 2: Je donne en Annexe une observation (Fête du Sacrifice) extraite de mes recherches de maîtrise (1999) qui anticipait curieusement ce type de projection et son exploitation. Ici, c'est la taxonomie des temps sociaux de Pronovost (1996) qui est En, les projections (observations et/ou conversations de terrain) s'effectuant sur les quatre catégories de temps sociaux (dimensions "spatiales" de En).
- 19.- Voir dans cet article mes propositions de questionnement au paragraphe 2 (suggestions) du chapitre Exemples d'auto-similarités fractales.
- Références bibliographiques:
Gell-Mann, Murray. 1997 - Le quark et le jaguar. Paris: Champs Flammarion.
Gleick, James. 1991 - La théorie du chaos. Vers une nouvelle science. Paris: Flammarion.
Mandelbröt, Benoît. 1997 - Fractales, hasard et finances. Paris: Flammarion.
Mandelbröt, Benoît. 1995 - Les objets fractals. Paris: Champs Flammarion.
Mandelbröt, Benoît. 1999 - Multifractals and 1/f noise. New York: Spinger-Verlag.
Pronovost, Gilles. 1996 - Sociologie du temps. Ouvertures sociologiques. Paris Bruxelles: De Boeck Université.
Stewart, Ian. 1998 - Dieu joue-t-il aux dés? Paris: Champs Flammarion.
Thom, René. 1991 - Prédire n'est pas expliquer. Entretiens avec Émile Noël. Paris: Flammarion.
Annexe
Observation de la Fête du Sacrifice à Saint-Denis de La Réunion (29 mars 1999)
[...] Il y a quelques années, nous avions été témoin de cette Fête du Sacrifice. A l'époque nous avions ressenti quelque chose de "très fort"[...] qui n'était pas seulement lié à l'égorgement de l'animal mais à "autre chose" que nous ne parvenions pas à cerner. Nous nous étions également étonnés qu'une telle situation si "étrangère" puisse cohabiter et évoluer au sein d'un milieu environnant aussi différent que celui de la ville. Depuis, [...] nous possédons quelques éléments de réponses: seule une structure très organisée (dissipative) peut ainsi subsister dans un milieu différent (voire hostile) et "dégager" une telle puissance. [...] Cependant, pour ne pas sortir du cadre que nous avons défini [...] nous nous sommes limités à recenser les matériaux temps contenus dans la situation en utilisant comme grille la taxinomie proposée par Gilles Pronovost.[...]
Taxonomie de G. Pronovost
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Rapports à l'historicité: relation à l'histoire, place et rôle des générations
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Structuration des activités
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Valeurs, normes, significations
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Echelles
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Observations
et
conversations de terrain
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"Les hommes (adultes, patriarches, adolescents et enfants[...] Les plus âgés[...] comme des chefs de clans".
"Les femmes de toutes tranches d'âge[...] se tiennent à distance respectueuse".
"Les femmes et les anciens commentent bruyamment la lutte entre les hommes et la bête".
"Le fils du maître de maison égorge la bête..."
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"Il y a eu la prière particulière à la fête[...] en plus des cinq prières quotidiennes
et...
avant que les fidèles rentrent chez eux pour effectuer le sacrifice".
"Cet après-midi[...] vont déjeuner ensemble".
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"C'est aujourd'hui le 3ème jour après" Yawné Arafat.
"Il y a la dimension symbolique..."
"Un officiant lit dans le Coran les paroles sacrées[...] qui sont reprises en choeur par tous les hommes".
"Economiquement, c'est excellent[...] plus de mille boeufs[...]"
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"Il règne une ambiance de fête familiale et conviviale"
"L'ambiance est à la fête à la fois de famille, à la fois d'amis".
"dont la tête a été tournée vers La Mecque".
à La Réunion".
"un tiers pour la famille proche, un tiers pour la famille plus éloignée, les voisins, un tiers pour les nécessiteux".
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- Notice:
- Thiault, Gérard-Louis. "Ethnographie, micro-détails et modèles-récits fractals (MRF)", Esprit critique, vol.04 no.11, Novembre 2002, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
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