Esprit critique: une révolution des pratiques en sociologie
Par Jean-François Marcotte
Résumé:
La revue électronique de sociologie Esprit critique a été fondée le 1er novembre 1999. Pour souligner son troisième anniversaire, cet article relate les principaux événements qui ont marqué son évolution. En trois années, la revue Esprit critique s'est développée grâce à la constitution d'un important réseau de collaborateurs de plusieurs pays du monde. Graduellement, la revue est devenue un lieu incontournable pour discuter et confronter les approches en sociologie. Elle a toujours tenté d'innover et a posé les bases d'une nouvelle façon de faire la sociologie à l'échelle internationale. Une communauté internationale de sociologues s'est formée autour de la revue Esprit critique et propose une révolution des pratiques en sociologie.
Le développement de la revue Esprit critique a été une aventure remplie de défis et réussites. Aujourd'hui, c'est avec fierté que je constate la notoriété qu'elle a acquise au cours des années. Parti d'une simple idée et de moyens limités, elle a su se tailler une place de choix comme espace d'expression en sociologie et a su acquérir une réputation internationale. En prenant avantage des possibilités d'interrelations internationales qu'offrait Internet, la revue a su se faire connaître, avec originalité, parmi les revues scientifiques. Bien que j'aie insufflé les orientations initiales de la revue, c'est grâce à l'énergie et à la motivation de toute une équipe que la revue est devenue ce qu'elle est aujourd'hui. J'ai pu compter sur le dévouement de tout un réseau de collaborateurs qui m'ont soutenu depuis la naissance de la revue.
Dans cet article, je me propose d'expliquer les valeurs que j'ai voulu transmettre par la création de ce projet ambitieux. Ayant eut un angle d'observation unique depuis la naissance de la revue, je souhaitais vous présenter les étapes qui ont marqué le développement de cette révolution des pratiques en sociologie.
La naissance
Le 27 juillet 1997, le site Agora Sociologique était créé. Par cette initiative, je souhaitais créer un espace destiné aux sociologues francophones et un lieu où trouver les ressources en sociologie sur Internet; a une époque où Internet n'était pas encore utilisé couramment. Le site comportait déjà ses sections principales, notamment un répertoire de ressources en sociologie sur Internet et une section nommée "Esprit critique" contenant un forum de discussion. La section "Esprit critique" visait à créer un espace de communication pour les sociologues et ce nom évoquait l'attitude d'échanges et de remise en question de notre pratique.
Le projet de créer une revue électronique de sociologie cogita longuement dans mon esprit et les paramètres de ce projet se sont mis en place: un espace ouvert, désinstitutionnalisé, international, favorisant la communication, la collaboration et la diffusion des résultats de recherche à large échelle. Ce projet devait constituer un espace permettant de mettre nos pratiques en commun à l'échelle internationale et à développer une nouvelle approche pour penser le rôle et la pratique des sociologues. Après avoir cherché des volontaires pour rédiger des articles dans la section "Esprit critique" de l'Agora sociologique, la revue électronique de sociologie vit le jour le 1er novembre 1999. La première phase de mise en oeuvre a duré cinq mois. Entre novembre 1999 et mars 2000, Esprit critique diffusait quatorze articles, de la main de cinq auteurs, dans cet esprit de communication et de débat.
L'envol
Le projet d'une revue électronique de sociologie prenait forme, mais je sentais qu'elle devait avoir un nouveau levier pour atteindre ses objectifs. L'Agora sociologique était l'un des principaux pôles attirant les sociologues sur Internet à cette époque et avait favorisé la mise en place de la revue. Toutefois, la revue avait besoin de sa propre identité pour se développer pleinement. C'est ainsi que le 1er avril 2000, la Revue électronique de sociologie Esprit critique pris place sur un site indépendant de l'Agora sociologique, avec sa propre adresse sur Internet et sa propre image. La revue volait de ses propres ailes et cet événement formalisait son existence en tant que revue.
Avec ce déplacement, la revue amenait avec elle le nom "Esprit critique" qui constitue l'idée centrale à la base de sa mission: développer un espace de communication, d'échange, de remise en question des pratiques en sciences sociales et un lieu pour penser le rôle du sociologue dans la société de demain. Quoique peu conventionnel comme nom de revue en sciences sociales, ce nom incarne justement cette démarcation par rapport aux façons conventionnelles de diffuser la sociologie. Le nom "Esprit critique" représente une réflexion sur les sociétés qui nous entourent et une critique de nos pratiques.
Dès ce jour, les principes à la base de la création de la revue ont été dictés pour constituer la mission de la revue et ces principes sont restés les mêmes depuis sa création:
- Engendrer un espace de collaboration et de communication entre les sociologues francophones partout dans le monde;
- Créer un espace de réflexion pour confronter les idées sur les sociologies à l'échelle internationale;
- Constituer un espace de perfectionnement permettant de comparer les façons de faire dans différents pays afin d'enrichir la pratique de chacun;
- Offrir un espace de diffusion des résultats de recherche en sociologie;
- Favoriser une réflexion sur le rôle des sociologues dans la société.
La mise en place d'un réseau de collaborateurs
La période qui commence en avril 2000 amorce une période intense de promotion visant à augmenter le nombre de lecteurs et à attirer l'attention de nouveaux rédacteurs. À chaque mois, il fallait diffuser des appels à communication afin de s'assurer d'avoir des textes à lire pour le prochain mois. Graduellement, de nouveaux rédacteurs se sont ajoutés à notre réseau de collaborateurs. Après avoir diffusé un appel à communication et avoir communiqué avec plusieurs personnes, un premier numéro thématique voyait le jour en octobre. Ce numéro proposait un ensemble d'articles autour d'un même sujet sous l'angle de vue de différents auteurs. Ceci constituait le premier pas dans la mise en place de la structure actuelle de diffusion de la revue.
En novembre 2000, la Liste de diffusion est créée afin de tenir les lecteurs au courant de la vie de la revue et des articles diffusés dans la revue. Cet instrument devint graduellement un des principaux instruments de promotion de la revue. En décembre 2000, l'expérience du mois d'octobre est répétée avec la diffusion d'un deuxième numéro thématique. Graduellement, la revue s'enrichissait d'une bonne base d'articles, de rédacteurs répartis sur trois continents et d'un lectorat de plus en plus fidèle. Passant d'une centaine de visiteurs à sa naissance à plus de 600 visiteurs par mois en fin d'année 2000, la revue commence à avoir des échos chez un public de plus en plus vaste. En fin d'année 2000, le bilan annuel affiche la diffusion de 40 articles par dix rédacteurs provenant de trois continents.
La planification de la diffusion
L'année 2001 marque une période intense de promotion auprès de sociologues de tous les coins du monde afin de constituer un réseau de personnes intéressées par le projet, et afin de constituer une base constante pour fournir du matériel intéressant à la revue. Graduellement, des rédacteurs se sont investi au développement de la revue en participant à la promotion, à la rédaction et la définition des orientations.
Dès février 2001, une nouvelle formule est proposée afin de constituer des numéros thématiques dirigés. Ce nouveau concept confie désormais la réalisation des numéros thématiques à une personne responsable de sa constitution. C'est le premier pas vers la gestion planifiée du contenu puisque la mise en oeuvre de ces numéros est échelonnée sur plusieurs mois, de l'appel à communication jusqu'à sa diffusion. Cette formule renverse la précarité de la revue qui, jusqu'à présent, s'appuyait sur les envois spontanés de personnes volontaires. C'est en avril que le premier numéro thématique avec la nouvelle formule voit le jour sous la direction de Orazio Maria Valastro. Après des mois de travail, l'expérience est répétée en juillet 2001 avec un nouveau numéro thématique sous la direction Arnaud Saint-Martin.
La planification et la diffusion triennale des numéros thématiques étaient maintenant bien mises en place. Cette structure de diffusion permettait ainsi la diffusion de quatre numéros thématiques proposant un contenu approfondi sur des thématiques diverses et la diffusion de huit numéros réguliers permettant aux collaborateurs de s'exprimer plus librement sur des questions d'intérêt général.
La constitution d'une équipe permanente
Au fil des mois, la revue prenait de l'ampleur avec un nombre grandissant de lecteurs et de collaborateurs à la rédaction. Le succès retentissant de la revue amenait par le fait même du travail additionnel de planification, de mise en page, de gestion du site, de gestion de la rédaction, de révision linguistique et de relations avec les auteurs et les lecteurs. Ayant agi depuis le début comme homme-orchestre, assurant la plupart des travaux permettant la diffusion des articles, il ne m'était plus possible de gérer seul la revue considérant le travail exigé par sa fulgurante ascension. C'est alors que vint l'idée de mettre en place une équipe visant à assurer la gestion de la rédaction, la qualité du contenu et la postérité de la revue.
Après deux années d'existence, la revue était prête à passer à un nouveau stade. La formation d'une équipe permanente était un des objectifs majeurs à atteindre depuis sa création. Seule une équipe permanente pouvait assurer le développement et la postérité d'une revue en réseaux. D'une part, la mise en place d'un comité de direction devait assurer la gestion de la revue: le processus de traitement des articles, la mise en valeur des orientations éditoriales, la promotion de la revue, le recrutement de nouveaux rédacteurs, etc. Un tel comité était nécessaire pour assurer de maintenir le cap sur les valeurs à la base de la revue et afin d'assurer le travail permettant la diffusion de ses numéros. D'autre part, la mise en place d'un comité de lecture devait assurer l'évaluation des articles soumis à la revue afin de valider la qualité des textes et de leurs valeurs scientifiques. La mise en place d'un tel comité scientifique était l'un des éléments de base pouvant assurer la notoriété de la revue à long terme. La valeur du contenu sur Internet étant souvent mal perçue à cette époque, la formation d'un comité de lecture, chargé d'assurer l'évaluation de la qualité et de la valeur scientifique des textes proposés, était la voie à suivre pour assurer la notoriété de la revue. Sans contrevenir à l'originalité de la revue, Esprit critique pouvait désormais être une revue ouverte, internationale et novatrice, sans lésiner sur la qualité du contenu présenté.
La mise en place de cette équipe allait de soi et ce ne fut pas difficile de convaincre certains des collaborateurs de participer à la gestion de la revue. L'avenir semblait prometteur pour le développement de notre revue et les valeurs à l'origine de sa création conservaient leur pertinence. Il fallait continuer à développer ensemble cet espace de communication, de coopération internationale, de remise en question des façons de faire conventionnelles et à promouvoir la diffusion des résultats de recherche à grande échelle. C'est donc en octobre 2001 que cette équipe a commencé à prendre vie.
Apprendre à travailler en réseaux
À l'image de la revue, la constitution de cette équipe vit le jour sous une forme très originale, une équipe de travail en réseaux. Contrairement aux autres revues, la diffusion sur Internet d'un contenu sur une base mensuelle exige la formation d'une équipe de travail pouvant communiquer entre eux sur une base quotidienne. À l'image de la revue, le comité de rédaction était constitué de membres provenant de tous les coins du monde. Ainsi, une équipe virtuelle a été constituée.
Un espace intranet est alors mis en place afin d'offrir des outils de travail et des moyens de communication adaptés à la gestion décentralisée de la revue. Des échanges animés entre les membres de l'équipe, par l'intermédiaire d'une liste de discussion, ont permis d'inventer notre mode de travail. C'est ainsi que la revue a commencé à être soutenu par une équipe vivante ayant des relations constantes entre personnes passionnées, réparties un peu partout sur la planète.
Les trois derniers mois de l'année 2001 ont permis à l'équipe de se mettre en place et d'organiser ses processus de gestion. Octobre 2001 voit la tradition se poursuivre avec la diffusion d'un nouveau numéro thématique sous ma direction. En novembre 2001, la Liste de diffusion atteint 500 abonnés, un an après son lancement. Ce chiffre imposant était un signe que des centaines de personnes étaient désormais des lecteurs assidus de la revue.
En novembre 2001, je posais le dernier d'une série éditoriale de 22 articles depuis la naissance de la revue. Dans mes articles, j'avais orienté le propos éditorial de la revue dans une perspective de veille sur les conflits sociaux, du devoir d'intervention des sociologues et de remise en question des pratiques conventionnelles en sociologie. Ce dernier "Éditorial" fermait la série sur un appel à la concertation internationale entre les acteurs de la sociologie afin de générer une pratique cohérente de notre discipline. Je crois d'ailleurs que la revue Esprit critique est un des outils privilégiés pour parvenir à cette concertation internationale. Avec la formation de l'équipe permanente, j'ai décidé de passer le flambeau de la rédaction des éditoriaux afin qu'une nouvelle perspective émerge dans les orientations éditoriales de la revue.
En fin d'année 2001, le bilan de nos réalisations était toujours en progression. Avec encore douze numéros diffusés, le nombre de visiteurs a encore doublé par rapport à l'année précédente à la même date. En 2001, la revue a vu passer 49 articles réalisés par 24 auteurs provenant d'Europe, d'Afrique et d'Amérique. Trois numéros thématiques ont vu le jour avec la nouvelle formule et tout était prêt pour poursuivre ce rythme trimestriel de la diffusion des numéros thématiques.
La revue solidifie ses assises
Le 1er janvier 2002 constitue une date importante dans l'histoire de la revue. En effet, à cette date, la revue apparaît sous un nouveau jour en présentant une image publique plus soutenue. D'abord, la revue s'affiche officiellement sur son adresse "espritcritique.org" avec une présentation graphique renouvelée. De plus, les archives de la revue contiennent désormais plus de cent articles disponibles gratuitement sur Internet.
Ensuite, la revue affiche pour la première fois une politique éditoriale officielle. Restées jusque-là informelles, les orientations à la base de la mission de la revue sont fixées dans une politique éditoriale concrète. Adopté en décembre et entrée en vigueur le 1er janvier 2002, on pouvait désormais connaître les informations officielles de la revue concernant sa mission, son organisation, son mode de gestion et ses normes de présentation.
Finalement, le nouveau comité de lecture de la revue est annoncé officiellement. Constituée au cours des trois derniers mois de 2001, la revue pouvait dévoiler une équipe solide d'une douzaine de personnes dévouées à faire grandir la revue.
Après trois mois de discussion et travail intense, l'équipe commence à stabiliser ses processus de gestion. Durant l'année 2002, nous avons poussé d'un cran la réflexion sur nos modes de gestion en réseaux. D'abord, il a fallu déterminer tout le fonctionnement du processus, le partage des rôles et la mise en place d'un processus d'évaluation des articles soumis. Ensuite, il nous fallait déterminer les moyens les plus efficaces d'échanger en réseaux et de diffuser l'information. Après de nombreux échanges, nous avons convenu de nous doter d'un Code d'éthique pour assurer la qualité des échanges et pour assurer aux lecteurs de l'engagement des membres de l'équipe vis-à-vis leur responsabilité de transmettre du contenu scientifique de qualité.
Nous nous sommes fixé des objectifs plus précis à atteindre et nous en sommes donnés des moyens de les atteindre. Pour favoriser l'essor de cet espace de communication, il était essentiel d'accroître le nombre de personnes lisant la revue. Ainsi, un plan de communication a été développé afin de mettre en place des moyens pour faire de la promotion, amorcer des projets de partenariats et inciter les sociologues de tous les coins du monde à participer à la rédaction du contenu.
Après une vaste campagne de promotion réalisée grâce à des invitations personnalisées, à des affiches imprimées et à du référencement sur Internet, nous avons fait avancer la mission de la revue. Le nombre de lecteurs a plus que doublé, le nombre de collaborateurs s'est multiplié et la provenance du lectorat s'est largement diversifiée. Aussi, le nombre d'abonnés à la Liste de diffusion franchissait les mille personnes au cours de l'été 2002.
L'année 2002 fut une année particulièrement riche en contenu de qualité. En effet, quatre numéros thématique d'envergure et un numéro spécial ont été diffusés cette année. En janvier 2002, un numéro thématique était consacré à une discipline cousine de la sociologie avec un numéro portant sur la criminologie, dirigé par Pascal Cojean. En apprenant la mort récente du sociologue Pierre Bourdieu, le comité s'est rapidement mobilisé afin de préparer un numéro spécial dédié à la vie et à l'oeuvre de Pierre Bourdieu en mars 2002. En avril 2002, un important numéro thématique sous la direction de Orazio Maria Valastro fut diffusé. Ce numéro contenait 16 articles et avait été réalisé par un investissement majeur de tous les membres du comité. En juillet 2002, la main était encore une fois tendue vers des collègues d'une discipline cousine à la sociologie avec la diffusion d'un numéro thématique en travail social dirigé par Hervé Drouard. En octobre 2002, la revue proposait une réflexion sur la mondialisation et l'avenir de la sociologie au sein d'un numéro thématique sous la direction de Rabah Kechad.
Depuis le début de l'année 2002, notre bilan demeure en croissance. Déjà, de nombreux articles ont été réalisés par des auteurs provenant de tous les coins de la planète. Le nombre de visiteurs n'a pas cessé d'augmenter et l'on peut compter une moyenne de trois mille visiteurs uniques par mois depuis le début de l'année.
La création d'un nouvel outil de communication
Après trois années et tout le travail investi par tous ces gens, la revue a su respecter sa mission et développer cet espace de communication international. Nous avons construit ensemble une nouvelle façon de diffuser les connaissances et une nouvelle façon de communiquer entre nous.
Graduellement, la revue Esprit critique est devenue une porte ouverte sur des collaborations internationales, permettant de se laisser influencer par les pratiques d'autres pays, d'autres institutions. Bref, elle est devenue un espace pour la mise en commun des réflexions de tous les sociologues, un moyen de faire sortir les sociologues de leurs institutions, de partager leurs méthodes et de faire connaître ce qu'ils font à l'échelle mondiale.
La revue a permis la création d'un espace large de diffusion car elle est lue par les pairs, mais aussi par un grand nombre de personnes intéressées à connaître le point de vue de la sociologie et les derniers avancements de la sociologie. Bref, un espace unique pour savoir où en est la sociologie à ce jour.
La revue a permis l'établissement d'un dialogue et d'un espace pour développer de futurs projets de collaboration. La revue a favorisé la formation d'un réseau international et un dialogue entre des personnes de toutes origines. La revue est un espace ouvert en tout point: ouverture à tous les sociologues, à toutes les sciences humaines et aux personnes de tous les pays du monde.
À ce jour, des centaines de personnes ont contribué à faire grandir la revue et plus d'une centaine d'articles ont été diffusés. Si la tendance se maintient, la revue favorisera encore davantage l'établissement d'un espace de communication pour les sociologues. Il s'agit d'un projet toujours en évolution et nous allons continuer à innover pour répondre à notre mission.
Des valeurs fondamentales et un désir d'innovation
Les valeurs à la base de la création de la revue Esprit critique se sont avérées pertinentes jusqu'à ce jour et tant qu'ils resteront à la base de la mission de la revue, je suis persuadé que la revue continuera à faire grandir les sociologues ensembles. Ouverture, critique et dialogue permettront à la revue de nous faire réfléchir sur l'évolution du rôle du sociologue dans les sociétés de demain.
Je tiens à répéter les cinq points qui composent la mission de la revue car ils me tiennent particulièrement à coeur: collaborer, confronter nos idées, comparer nos façons de faire, diffuser librement les résultats de recherche et réfléchir sur notre rôle dans la société. Et le tout dans un esprit de fraternité pour une saine coopération internationale.
La revue n'a pas fini de grandir et d'évoluer. De nouveaux défis attendent les membres qui s'impliqueront dans la mission de la revue. Nous avons construit en trois années ce qu'aucun autre projet a su réaliser à ce jour, une revue de calibre internationale qui permet un véritable dialogue entre les sociologues de tous les coins du monde.
D'autres défis sont à venir pour faire grandir et évoluer la revue. J'ai confiance que l'implication perpétuelle de nouveaux membres à l'entreprise de la revue Esprit critique sauront faire grandir la revue et la faire évoluer vers les besoins des sociologues de demain. Cette revue a déjà démontré sa capacité à mettre en relations des milliers de sociologues de tous les coins du monde et de toutes les écoles de pensées. La revue s'est montrée capable d'assurer une communication dans le monde des sciences sociales et saura encore s'adapter pour répondre aux besoins de communication de la communauté mondiale des sociologues.
La communauté internationale des sociologues
Jour après jours, plus de personnes découvrent la revue et en parlent à d'autres. Des auteurs de tous les coins du monde et de tous les courants ont participé à la discussion au sein de la revue Esprit critique.
La communauté internationale des sociologues prend forme graduellement et chacun est invité à participer au dialogue. Il s'agit d'une communauté inclusive et ouverte. Cette communauté n'a pas d'adresse physique ou en ligne; elle est le fruit des rapports de toutes natures entre des sociologues de partout. Elle n'a pas de nom et pourtant elle existe. La participation grandissante des sociologues au débat proposé par la revue Esprit critique témoigne de l'existence de cette communauté.
La revue répond vraiment à un besoin car les sociologues veulent s'exprimer sur une tribune internationale, tisser des liens de collaborations entre les pays, écouter les façons de faire ailleurs, favoriser la libre circulation des connaissances, etc. Après avoir dissipé les craintes relatives à la diffusion des connaissances sur Internet, les acteurs des sciences sociales ont vite compris que cette tribune internationale permet l'établissement d'une nouvelle façon de percevoir la sociologie, d'organiser notre discipline et d'établir des relations interdisciplinaires.
Et l'avenir de la sociologie
La circulation de la connaissance, ce n'est pas seulement un acte de disponibilité des écrits, mais un devoir de diffusion de nos résultats de recherche. Et encore, il ne suffit pas seulement de diffuser le contenu, mais de s'assurer qu'il puisse être compris selon les interlocuteurs intéressés.
Partager la connaissance c'est d'une part discuter nos résultats de recherche avec les pairs afin d'amorcer un dialogue sur les implications de ces analyses. Un tel dialogue permet de nous faire grandir en tant que sociologue au contact des autres approches et de faire grandir notre discipline qui peut ainsi devenir le résultat de la confrontation des approches au niveau international.
Partager la connaissance c'est aussi l'échange de nos travaux avec les chercheurs d'autres disciplines. Présenter ses résultats publiquement c'est offrir une porte d'accès aux chercheurs d'autres disciplines sur des thématiques données. L'amorce d'un tel dialogue, voire même la formation de groupes interdisciplinaires peut permettre à la sociologie de grandir au contact d'autres approches et de partager les forces de la sociologie avec autrui.
Partager la connaissance c'est aussi offrir la possibilité à tout citoyen de comprendre le monde qui l'entoure et l'appuyer dans ses actions de citoyen. Le sociologue a un devoir de présenter ses recherches de façon synthétisée, simplifiée afin de rendre compréhensible les éléments majeurs de ses recherches. Si l'intervention sociale peut être amorcée par des sociologues, il est aussi important d'appuyer les citoyens qui souhaitent faire avancer le développement social dans leur communauté en leur offrant des outils pour parvenir à concrétiser leurs projets de société.
Le sociologue de demain ne pourra exercer sa mission sans comprendre mondialement les conflits et acteurs sociaux en mouvement. Une conscience de l'humanité émerge et des relations internationales se développent au-delà des frontières. Pour exercer le métier de sociologue, il faudra s'ouvrir aux autres et penser le social au-delà des limites nationales.
Si la quête sociologique est plutôt embrouillée par les temps qui courent, la sociologie de demain émergera du dialogue et de la confrontation des approches au niveau international. La sociologie de demain se prépare aujourd'hui, et c'est dans le dialogue de la diversité que nous développerons les outils pour permettre à la sociologie d'amorcer une nouvelle ère.
Je remercie tous les collaborateurs qui ont participé volontairement à la réalisation de ce projet d'envergure qu'est Esprit critique.
- Notice:
- Marcotte, Jean-François. "Esprit critique: une révolution des pratiques en sociologie", Esprit critique, vol.04 no.11, Novembre 2002, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org