De l'apprenti à l'expert: Étude de cas sur une formation d'élèves infirmiers. Premiers éléments d'enquête
Par Sylvie Chiousse Avec la collaboration d'Élodie Porcu
Résumé:
Partant d'un travail de 'mémoire' réalisé par une élève de troisième année pour l'obtention d'un titre d'infirmière diplômée d'État (IDE), la présente contribution s'interroge sur les acquisitions des étudiants en formation professionnalisante. Outre des compétences techniques (ce qui est le propre de ce type d'enseignement), il semble que l'individu y acquière une identité professionnelle et un savoir-être particulier, hors - peut-être - des projets préalablement établis par la formation elle-même et les concepteurs de cette formation. Les divers points abordés ici visent essentiellement à lancer la réflexion sur la question des acquis en formation et la part entre le formel, l'informel et le non formel dans ces processus d'apprentissage.
Présentation de l'auteur et collaboration:
Sylvie Chiousse
Docteur en sociologie et anthropologie, EHESS Paris. Mène des travaux depuis quelques années sur les relations formation-emploi, l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, l'apprentissage des adultes. Dernière production significative sur ce thème: Chiousse S. (2001) Pédagogie et apprentissage des adultes - An 2001... État des lieux et recommandations - Rapport pour L'examen thématique de l'apprentissage des adultes, OCDE, Paris (www.oecd.org/els/education/reviews/).
Avec la collaboration d'Élodie Porcu
Élève infirmière (presque) diplômée d'État. (!)
Cette contribution à la revue Esprit critique n'apporte pas une réflexion théorique finalisée, loin s'en faut. Elle est, tout au plus, une chronique d'une probable recherche annoncée... s'appuyant incidemment sur les premiers résultats d'une étude ayant, initialement, une tout autre finalité. Ces premières données et interprétations laissent imaginer au sociologue qu'il est possible d'engager de nouveaux questionnements et des études plus approfondies peut-être, sur la question des acquis en formation. L'objectif de ce qui suit reste donc assez modeste et vise surtout à inviter le lecteur à réagir (Internet en offre l'opportunité) et envisager la pertinence de poursuivre et élargir le travail dans ce champ.
Le cadre de l'étude
Les étudiants aspirant à devenir Infirmiers diplômés d'État (IDE) en France suivent une formation qui s'étale sur trois ans où s'entremêlent cours théoriques et stages pratiques. En dernière année de formation, ces futurs infirmiers sont tenus de présenter un "mémoire de recherche" dont le thème étudié doit être, bien évidemment, en relation avec la formation qu'ils terminent et le futur métier qu'ils souhaitent exercer.
Une candidate à ce diplôme a choisi, comme thème de mémoire, de travailler sur le décalage existant dans la perception des rôles et fonctions de l'IDE entre l'entrée et la sortie de formation[1], et donc, en quelque sorte, sur le rôle même du processus de formation dans les transformations qu'il opère sur les apprenants. L'analyse des réponses au questionnaire qu'elle a établi pousse le sociologue à s'interroger plus finement sur le "qu'est-ce qu'on apprend en formation professionnalisante?" et les points qui suivent visent essentiellement à planter le décor de cette formation et amener à la réflexion quelques uns des questionnements qui en ressortent, en termes d'acquis en formation et de processus d'acquisitions de compétences, qu'elles soient techniques ou d'une autre nature[2].
Présentation de l'enquête
La candidate suit sa formation dans un centre hospitalier de Martigues (France). Elle est assez sommairement guidée par ses formateurs (eux-mêmes issus du milieu médical ou paramédical) qui, tout en évacuant de la formation tout conseil méthodologique sur la façon de mener une étude, se montrent relativement exigeants sur la qualité du mémoire à remettre (le processus à suivre pour la réalisation de ce travail correspond sensiblement à un mémoire de maîtrise de l'enseignement supérieur)[3].
La candidate au diplôme part de l'idée, se basant sur son vécu, sa propre expérience et les discours de ses proches et de "ceux qui ne sont pas dans le métier", qu'il existe un décalage entre l'idée que l'on a du métier, de la profession infirmière, avant l'entrée en formation (quand on est encore extérieur au monde médical et paramédical) et à la sortie de celle-ci.
A interroger deux populations en voulant tester ce que l'on connaît de l'IDE avant de l'être et une fois qu'on le devient aurait préférablement demandé d'interroger des individus totalement extérieurs au monde médical ou paramédical, public lointain ou consommateurs occasionnels et des professionnels déjà expérimentés. Le problème de parvenir à construire des échantillons suffisamment représentatifs dans l'un et l'autre cas et comparables a conduit à éliminer, pour cette étude, cette possibilité.
La candidate a donc choisi de travailler sur deux populations présentes à l'IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) de Martigues et donc plus facilement "interrogeables": les élèves de première et de troisième années de l'IFSI de Martigues en 2002, considérant que les premiers sont encore très proches dans leurs perceptions du public extérieur, et les derniers, en fin de formation, ont presque déjà acquis l'essentiel de ce qui est nécessaire pour être qualifiés de "professionnels".
Présentation de la population enquêtée
L'IFSI de Martigues (comme d'autres institutions du même type sans doute) présente l'avantage de former des 'promotions' relativement stables et homogènes. Chaque promotion est constituée de 20 à 25 candidats. Sur cette année 2002, ils sont 25 en première année et 23 en troisième année.
Quelle que soit l'année d'étude considérée, la grande majorité des étudiants est jeune (sur l'une et l'autre promotions, seulement 4 individus ont plus de 30 ans) et essentiellement féminine (entre 85 et 96%). Tous ces élèves sont, pour la plupart, au moins bacheliers et certains même ont entamé des études universitaires (avec succès ou pas). A cet âge et sortant donc presque directement du lycée ou d'un établissement supérieur, seulement un quart de ces deux populations a déjà eu l'occasion d'opérer, préalablement à cette démarche de formation, une véritable insertion professionnelle (6 individus dans l'un et l'autre cas - ce sont chaque fois les plus âgés, ce qui est relativement logique).
Les études menées auparavant sont souvent déjà en lien avec le milieu médical et/ou le paramédical et dans ce cas, très souvent, la formation à l'IFSI peut apparaître comme une "stratégie de repli" après un échec en université (1ère année de médecine ou Deug de biologie par exemple).
Pour ceux qui ont déjà eu une activité professionnelle stable, il s'agit soit d'une totale reconversion (une comptable, un agent de voyages, etc.), soit d'une recherche de plus grande reconnaissance (sociale et) professionnelle en ajoutant, par ces nouveaux savoirs, des compétences et une valorisation à ceux déjà acquis dans ce secteur professionnel (c'est le cas des aides-soignantes présentes ici notamment...).
Si l'on devait proposer une typologie au regard des données de cette population, il serait préférable de considérer deux groupes:
- Le groupe des 18-25 ans[4] qui, en grande majorité, est constitué d'individus qui se sont projetés très jeunes dans un domaine professionnel en lien avec la santé et qui le poursuivent pour rattraper un échec scolaire précédent et/ou pour acquérir une situation professionnelle stable.
- Le groupe des plus de 25 ans, pour qui, dans sa majorité, l'IFSI peut apparaître comme un pis-aller ou un moyen de se stabiliser sur le tard. Ces individus ont souvent échoué dans de précédentes études ou navigué entre emplois précaires et périodes de chômage, ou viennent d'un emploi plus stable qui ne leur offrait pas suffisamment de satisfactions (personnelles, professionnelles, sociales).
Ainsi, dans l'ensemble, le passage par l'IFSI et l'obtention d'un diplôme d'infirmier d'État doivent permettre d'obtenir un emploi stable et en lien plus ou moins direct avec les projets professionnels initiaux (bien qu'il y ait parfois un décalage de niveau avec ce qui était initialement escompté, notamment pour ceux qui ont abandonné des études universitaires en lien avec le secteur médical). Si la question relative à l'environnement (familial, amical, etc.) de l'individu a été posée comme éventuelle source de motivation à l'inscription à l'IFSI, elle n'a obtenue que peu de suffrages et n'est guère significative ici. On verra d'ailleurs un peu plus loin dans l'exposé que le jeune qui s'inscrit à l'IFSI (comme souvent en 1er cycle universitaire) a préférablement en vue la possibilité d'exercer "un métier qui lui plaît" bien avant d'en envisager les bénéfices ou autres compensations qu'auraient pu lui indiquer des personnes de son environnement plus ou moins proche.
Le questionnaire
Dans la perspective de comparer deux populations, à l'entrée et au sortir de la formation, un même questionnaire a été transmis aux deux promotions. Constitué de 7 questions, il a été passé en janvier 2002, lors d'une séance de cours et était récupéré à la fin du cours, jouant donc plus sur une spontanéité des réponses que sur une longue réflexion de la part des interrogés.
La première question jouait d'ailleurs fortement sur cette spontanéité: "si je vous dis infirmier (infirmière), quels sont les 5 premiers mots qui vous viennent à l'esprit?".
Les questions suivantes, faisant succéder questions ouvertes et fermées, interrogeaient sur "les trois principaux rôles de l'IDE", "les changements perçus pendant la formation" (QCM proposant des items sur des changements personnels ou techniques), "les raisons de ces changements" (question ouverte), la découverte de rôles ou fonctions non envisagés avant la formation, les raisons du choix de cette formation et de ce métier, la "responsabilité de l'IDE" (question ouverte) et enfin, le lieu d'exercice futur choisi et les raisons de ce choix.
Tous les élèves ont accepté de répondre, ce qui donne un total de 48 questionnaires utilisés pour 'commettre' cette étude.
Résultats et premières interprétations
Une population somme toute homogène, déjà "fondue dans un moule"
Au moment où le questionnaire a été passé, les troisième année, tout en étant en fin de formation, n'ont pas encore suivi tous leurs stages, ni terminé leurs cours et pris suffisamment de recul par rapport à leur formation; les première année, quant à eux, ont déjà trois mois d'études derrière eux et ne sont plus tout à fait novices.
On trouve ainsi une grande similitude dans les réponses données par les première et les troisième années sur la question relative aux rôles de l'IDE par exemple[5]: la grande majorité des étudiants, fondus dans le moule du système de formation, répètent inlassablement les trois termes clés du "Décret de compétences de l'IDE"[6]: "curatif", "éducatif", "préventif"...
Si le curatif et le préventif semblent tout à fait appropriés et quelque peu logiques, le sociologue non expert de ce secteur reste un peu étonné à la découverte d'un "rôle éducatif de l'IDE" - distinct d'un acte et de conseils préventifs à l'attention du patient. Les personnes extérieures à ce monde médical et/paramédical ne l'imaginent guère plus. Ces infirmiers en devenir y mettent semble-t-il souvent un point d'honneur, étant donné le nombre d'occurrence de ce terme dans les choix de réponses[7].
Si, dans l'ensemble, on retrouve sensiblement les mêmes réponses entre les 1ère et les 3ème années, un décalage apparaît toutefois dans l'ordre donné à ces trois termes. Considération peut-être un peu arbitraire, nous sommes partis de l'idée que le premier terme noté rendrait compte de la priorité donnée aux rôles cités.
Si près de la moitié des 1ère année mentionne le curatif comme item déterminant, celui-ci n'apparaît comme tel que pour moins d'un tiers des 3ème année.
Seulement 20% des 1ère année mettent l'éducatif en 1ère place, ils sont le double à le faire en 3ème année.
Sur les autres choix de réponses effectués par les 1ère et les 3ème années, on constate que les 3ème année font très souvent référence au "technique" mais ne le placent jamais en 1ère position (il n'est donc pas perçu comme la fonction déterminante du métier). Ils intègrent par ailleurs le rôle administratif de l'IDE, peu perçu par les 1ère année.
Le "Relationnel" apparaît dans 40% des réponses des 1ère année mais il n'est jamais prépondérant. En revanche, il est signalé par 48% des 3ème année, et en 1ère position pour 25% d'entre eux (ce qui souligne largement l'importance qu'ils y accordent). Il semble qu'il soit nécessaire également d'y voir ici un effet d'âge. Ce sont essentiellement les plus de 25 ans qui misent sur le rôle d'écoute, de conseil et de soutien plutôt que sur des aspects très techniques à mettre en avant prioritairement auprès des patients. On peut supposer que les jeunes, tout en misant largement sur la compétence relationnelle dans leurs ambitions professionnelles, paraîtront (ou auront le sentiment) d'être plus crédibles vis-à-vis des patients en faisant preuve, d'abord, de leur technicité; alors que les plus âgés bénéficient peut-être plus facilement de la confiance des patients, ce qui leur permettrait une plus grande écoute des problèmes et un conseil qui sera ressenti comme plus sûr (par le patient).
Finalement, sur cette question relative aux rôles clés de l'IDE, les 1ère comme les 3ème années semblent réciter une leçon qu'ils ont apprise dès leurs premières séances de formation. C'est là, sans doute, le B-A-BA de l'entrée dans cette formation: cerner les prérogatives de la profession à venir. Les 3ème année s'en émancipent parfois un peu plus, en étayant un des trois termes, en regroupant parfois le curatif et le préventif pour signaler, en troisième item, un aspect relationnel ou administratif, que les novices n'envisagent pas encore et n'avaient pas imaginé dans l'idéal projeté de leur futur métier.
Une polyvalence initialement sous-évaluée
La question 4 du questionnaire interrogeait les apprentis sur des "rôles" ou "fonctions" de l'IDE qu'ils n'avaient pas imaginé avant l'entrée en formation. Elle visait donc à repérer les prises de conscience de la réalité du métier tout au long du processus d'apprentissage. Elle amenait ainsi les 1ère année à faire un premier bilan sur leur jeune expérience et renvoyait les 3ème année à une vue rétrospective de leurs perceptions initiales de la profession infirmière - permettant ainsi, à leur propos, de saisir un quelconque décalage entre un idéel projeté avant la formation et leur vécu quotidien d'apprentis infirmiers.
44% des 1ère année n'ont pas le sentiment que les rôles d'IDE sont plus importants que ceux qu'ils imaginaient avant la formation. Ils n'ont pas encore une vue très concrète de toute la complexité des tâches qui incombent aux IDE.
Les 3ème année ne s'y trompent pas et il n'y a que 20% des personnes interrogées qui ne semblent pas étonnées par la polyvalence des rôles et fonctions de l'IDE ou qui, tout au moins, l'avaient envisagée. Il convient de signaler que bon nombre de ces 20% exerçaient déjà un métier en lien avec le patient et le secteur médical ou paramédical.
56% des 1ère année donc et 80% des 3ème année, quant à eux, ont découvert, durant leur formation, des activités qu'ils n'avaient pas imaginées avant l'entrée en formation. Ils insistent alors sur le rôle administratif et sur la responsabilité qui leur incombe, qu'ils avaient, pour la plupart, largement sous-évaluée.
Enfin de nombreux étudiants de 1ère année, n'envisageaient guère la prévention (30%) et se disent quelque peu étonnés par la fonction éducative (40%) inhérente à l'activité de la profession infirmière.
Les 3ème année abordent aussi très largement les aspects relationnels et d'aides qui étaient sous estimés, et se révèlent aujourd'hui plus importants qu'ils ne le pensaient lorsqu'ils se projetaient dans ce métier.
Dans les deux populations, personne ne fait référence à des aspects techniques qu'ils n'auraient pas imaginés. On peut donc en déduire que, dans les attendus de cette formation, l'aspect technique, l'acquisition d'un savoir-faire professionnel particulier dans le cadre d'actes techniques dominait. En revanche, les rôles et fonctions de l'IDE liés à l'éducation, la prévention, le relationnel, l'administratif, etc. n'étaient qu'assez rarement perçus.
Tout en prenant conscience aujourd'hui de l'importance du relationnel dans l'activité quotidienne d'une IDE, cet aspect reste cependant souvent assez mal assimilé comme faisant effectivement partie des obligations du métier d'IDE, que cela concerne les 1ère comme les 3ème années. Il faut dire à ce sujet qu'il n'y a pas, à proprement parler, dans le programme de formation, un espace strict réservé à l'apprentissage du 'relationnel' (si tant est que cela puisse exister). C'est en quelque sorte une compétence qui semble devoir venir de soi et qui, sans être enseignée formellement est, en revanche, formellement évaluée[8].
Des responsabilités envisagées essentiellement en termes techniques
Comme pour la question 2 relative aux rôles clés de l'IDE, la stratégie visant à utiliser le "Décret de compétences" comme source principale de réponse se retrouve également dans la question portant sur les responsabilités de l'IDE, notamment pour les 3ème année.
Graphique 1
Les responsabilités perçues comme prioritaires par les apprentis IDE
Note: ce graphique est réalisé à partir des réponses à la question ouverte 6 (sur les responsabilités de l'IDE). Le relationnel est envisagé (faiblement) par les 1ère année, absolument pas par les 3ème année, qui en revanche, mettent largement en avant le 'décret de compétences' pour répondre à cette question, alors que les 1ère année n'y font pas appel. Les deux promotions appuient fortement sur les compétences techniques à mettre en oeuvre, comme responsabilité principale de l'IDE.
A la question de définir la responsabilité de l'IDE, deux lignes de réponse étaient offertes. Elle devait permettre à l'individu de définir et de synthétiser ce qui lui semblait le plus remarquable dans les responsabilités de l'IDE. Elle devait souligner le décalage entre 1ère et 3ème années, les diverses responsabilités inhérentes à l'activité infirmière devant être mieux perçues par les élèves en dernière année de formation.
En 1ère année, trois personnes n'ont pas répondu et une a signalé "ne pas savoir" quelles étaient les responsabilités de l'infirmière. Pour le reste, c'est le technique qui prédomine comme critère de responsabilité. Entre également en ligne de compte une responsabilité morale envers le patient et sa famille ainsi que le secret professionnel (complètement occulté par les 3ème année).
Parmi les 3ème année, c'est également le technique qui semble être proéminent, mais plus d'un tiers de ces élèves en fin de formation renvoie au "Décret de compétences". Paresse? ou perception de la complexité de points qui devraient être abordés en équipartition dans cette question?
Considérant la sommes de connaissances qu'ils ont acquis durant leur formation et les divers stages qu'ils ont déjà effectué, on penche plutôt pour la deuxième option: il y a tant de responsabilités à aborder - et les 3ème année en sont désormais conscients - qu'il est difficile, voire quasiment impossible de les traiter en deux lignes, sans en laisser de côté, ce qui pourrait être jugé préjudiciable[9].
Ce que l'on retire essentiellement des réponses à cette question, c'est que, pour les deux populations, ce qui fait la responsabilité de l'IDE dans son activité se situe d'abord et presque exclusivement au niveau technique. L'aspect relationnel si souvent évoqué, pointé par certains dans les rôles clés ou ensuite dans les rôles et fonctions non imaginés avant la formation, apparaît nettement en retrait ici et n'est que très rarement évoqué. On a ainsi le sentiment que ce qui importe dans la formation, ce que l'on en retient à ce niveau, ce qui fait le métier et la responsabilité principale de l'IDE: c'est le technique.
Le relationnel semble n'intervenir que comme "un plus", librement consenti en dehors des obligations du travail. Cette écoute du malade, cette prise en charge psychologique, cet effort pour son bien-être ne sont ainsi pas toujours perçus comme relevant des responsabilités officielles et incontournables de l'IDE.
Ainsi, si toute la formation en elle-même, sur les trois ans de sa durée, mise sur une combinaison équitable entre compétences techniques et compétences relationnelles (bien qu'au niveau du programme, cela ne soit guère formalisé, comme nous l'avons déjà noté), pour les étudiants, l'aspect technique est celui qui semble proéminent dans l'apprentissage de la profession infirmière. Les aspects relatifs à la communication avec le patient semblent beaucoup plus se profiler comme faisant partie de qualités personnelles de l'individu apprenant. Ce résultat est d'ailleurs très significatif dans les réponses obtenues à la première question, comme nous allons l'évoquer à présent.
Des qualités personnelles qui deviennent des compétences professionnelles
La première question, visant une réponse spontanée, donne les premières indications sur ce que la personne perçoit de l'IDE, de son rôle, de ce qu'elle est, de ce qu'elle fait[10]... On supposait à ce niveau que les 1ère année répondraient essentiellement en fonction d'un idéel projeté et que les 3ème année auraient plutôt tendance à formuler leur réponse en fonction de leurs premières expérimentations du métier.
Testée auprès d'individus extérieurs, le premier terme qui revient inexorablement est "piqûre"! En ce qui concerne les apprenants de l'IFSI, on retrouve en fait une assez grande similitude dans les réponses données par les deux promotions, et le décalage imaginé entre 1ère et 3ème années est peu significatif dans l'ensemble.
Pour 68% des occurrences[11] de réponses en 1ère année et 65% en 3ème année, les termes donnés ne permettent pas de faire directement référence à une IDE ou au secteur paramédical - soit parce qu'ils sont trop flous et manquent de qualificatifs pour s'attacher spécifiquement à cette profession ("relationnel", "communication", "amour"...), soit parce qu'ils ne sont pas spécifiques à la catégorie "infirmière" et peuvent être utilisés pour de nombreux autres secteurs d'activité ("collaboration", "technicité", "secret professionnel", "aide", "sourire"...), soit - et c'est ce qui domine - parce qu'ils font plus particulièrement appel à des caractéristiques personnelles ("tolérance", "douceur", "gentillesse", "altruisme", "discrétion", "pudeur", "courage", "dévouement"...).
Ce qui est révélateur et intéressant à étudier ici est que, ce qui identifie l'IDE aux yeux de ces élèves, qu'ils soient de 1ère ou de 3ème année, c'est (l'acquisition?) la transformation de qualités personnelles en compétences professionnelles, considérant par ailleurs que ce sont ces mêmes qualités qui permettent de représenter, identifier, catégoriser et reconnaître un infirmier ou une infirmière.
Se pose alors, pour le sociologue travaillant sur les acquisitions en formation, la question de savoir qu'est-ce qui engendre ce phénomène. Il semble que l'apprentissage de compétences professionnelles induise aussi l'apprentissage d'un savoir-être particulier qui est ici mis en valeur comme devenant des compétences professionnelles, sans que cet apprentissage soit clairement formalisé. Il n'y a pas, à proprement parler, de "cours de savoir-vivre" ou d'"être ensemble" dans le cadre de la formation à la profession infirmière (comme dans la plupart des autres formations d'ailleurs). Pourtant, dans le processus de formation de l'apprenant, se forge un comportement qui semble se mettre en conformité avec ce qui est attendu du futur professionnel. La question des acquisitions informelles ou non formelles de la formation pose donc ici question.
La plupart des autres réponses formulées, si elles sont intéressantes en soi, ne conduisent pas à envisager un travail particulier d'interprétation et n'apparaissent ici qu'en note de fin de document[12].
Seul un point nous semble peut-être être également révélateur d'une projection professionnelle de l'individu dans son lieu d'exercice futur. Il concerne plus typiquement les 3ème année: si une seule réponse en 1ère année signale la "blouse" comme identifiant de l'infirmier, cela revient plus fréquemment en 3ème année, qui y associent la couleur blanche. La symbolique du blanc en relation à la pureté, l'innocence, etc. n'est guère pertinente ici. En revanche, le choix de cette couleur peut déjà être, pour les 3ème année, le signe interne d'une "marque distinctive" et l'identification d'un rapport hiérarchique au sein du milieu hospitalier: ne connaissant pas une personne venant d'un autre service par exemple, c'est à la couleur de sa blouse, d'abord, que l'on sait si elle est infirmière, aide soignante, femme de service, etc. S'opère donc là une possible identification et valorisation par rapport à des catégories socioprofessionnelles moins valorisées dans l'enceinte de l'hôpital.
Cette façon, plus prononcée chez les élèves en fin de formation, de se projeter dans l'avenir professionnel et de considérer déjà la place à y prendre est également assez aisément décelable dans la combinaison des réponses fournies aux diverses autres questions. Le projet du futur lieux d'exercice est rarement le fruit d'une vocation et se produit généralement après un profond changement personnel.
Des acquisitions pratiques et théoriques qui induisent un retour sur soi (salutaire?!)
Les questions 3 et 3bis[13] visaient à déterminer la perception que les étudiants infirmiers se font de la formation à ce métier, et les changements qu'ils répertorient depuis leur entrée à l'IFSI, aussi bien au niveau des savoir-faire que des savoir-être et des savoir-penser.
En 1ère année, 48% estiment avoir changé sur le plan personnel. Le changement repéré est aussi souvent en terme "technique, prise d'initiatives, prise de conscience des responsabilités".
Les trois quarts se disent "changés sur le plan personnel" en 3ème année et plus de la moitié de ceux-ci le classe en 1ère position. Par ailleurs, 84% font état d'un changement au niveau technique (ce qui est quand même le propre de toute formation: l'acquisition de compétences professionnelles nouvelles) et ceci s'accompagne souvent d'un changement en termes de prises d'initiatives, de prises de conscience et de responsabilités... qu'ils identifient alors aussi à un changement personnel et qui se concrétise par une plus grande estime de soi et une plus grande confiance en soi et en l'avenir.
Pour les deux populations interrogées, les changements perçus sont essentiellement le fruit des stages (réponse à la question 3bis). Cette connaissance de la réalité du terrain, de la maladie, de la souffrance des autres fonctionne comme un véritable révélateur.
C'est lorsque les individus sont en situation avec le patient, une équipe, qu'ils perçoivent le mieux les changements qui s'opèrent également en eux. S'ils mentionnent des acquis essentiellement techniques, les mises en situations qu'offrent les stages, leur permettent, semble t-il, également une sorte de retour sur soi et de prise de conscience de l'univers hospitalier, de la souffrance, de la maladie, de la vie et de l'importance de son maintien dans les meilleures conditions possibles - aussi bien dans un cadre professionnel que personnel.
16% en 1ère année signalent un changement au niveau de leur projet professionnel. La possibilité d'un abandon (pour une reconversion dans un autre secteur) est vite abandonnée au regard des réponses de ces mêmes individus à la question 7 (sur leur futur lieu d'exercice): le changement opéré devient en fait une option beaucoup plus précise de leur avenir professionnel dans lequel ils se projettent et tous ceux qui indiquent un changement professionnel mentionnent déjà (en question 7) une spécialité ou un lieu d'exercice particulier en qualité d'IDE. Les 4/5ème des 3ème année sont dans le même cas et ont donc déjà une idée bien arrêtée de ce qu'ils souhaitent faire, où ils souhaitent le faire et pourquoi, lorsqu'ils seront IDE.
Graphique 2
Lieux d'exercice envisagés par les 1ère et les 3ème années au sortir de leur formation
Note: on a repris ici tous les lieux mentionnés par les 1ère et les 3ème années. Certains lieux signalés par les 1ère année ne le sont pas par les 3ème et vice-versa. Les 3ème année sont souvent tentés par des secteurs très spécialisés (cardiologie, pédopsychiatrie) dont les 1ère année n'ont pas encore idée.
Une distinction parfois très prononcée entre technique et relationnel... et une projection professionnelle qui se positionne en adéquation avec la priorité donnée
La question 5[14], qui portait sur les choix initiaux qui ont poussé l'individu vers cette formation et l'exercice de la profession infirmière, permettait de saisir les principales motivations de l'individu avant la formation.
La mise en relation des réponses à cette question, avec les réponses aux questions suivantes (notamment la 7[15]) permettent alors de tester la possible adéquation que l'apprenant tente d'opérer entre ce dont il avait envie au départ, ce qu'il vit pendant la formation, et ce qu'il envisage au sortir de la formation.
Seules 2 personnes de 1ère année ont évacué le fastidieux travail de choisir des items et de les numéroter par ordre de préférence, en choisissant de parler de "vocation" pour expliquer les motivations qui les ont poussées vers ce métier[16]. Aucune personne de 3ème année n'a évoqué la vocation.
Une grande majorité des personnes interrogées, aussi bien en 1ère qu'en 3ème année, note comme grande motivation l'aspect relationnel associé à ce métier. Le "désir d'aide et d'écoute" est souvent associé au "désir de porter secours et assistance"; ces deux items se partagent largement la 1ère position et, chez les 1ère année, ils prédominent nettement sur l'aspect technique de la profession.
Graphiques 3a et 3b
Rôle prioritaire de l'IDE accordée par les 1ère et les 3ème années
Note: sont répertoriées ici les fois où un des critères arrive en 1ère position (que nous supposons comme apparaissant à l'individu comme étant donc le plus important à ses yeux). Sans pour autant le mettre vraiment en pratique, les 1ère année insistent davantage que les 3ème année sur le relationnel (aide et écoute); l'aspect technique, qu'ils ne maîtrisent pas encore est assez peu mis en valeur. Les 3ème année font beaucoup plus un partage, semble-t-il, équitable entre ce qui relève du technique, du relationnel ou des deux à la fois (envisageable dans le 'porter secours et assistance' qui apparaît en 1ère position aussitôt suivi par l'aspect technique dans un cas ou l'aide et l'écoute dans l'autre, selon qu'ils privilégient le technique ou le relationnel de leurs activités). Leurs visions des rôles sont en tout cas beaucoup plus tranchées que les 1ère année (dans les 5% qui choisissent la partie 'autre', c'est l'item 'responsabilités' qui domine; elle concerne essentiellement d'anciennes aides-soignantes visant à une revalorisation de leur statut).
L'item le plus souvent cité ensuite pour exposer les raisons du choix de cette formation et de ce métier à venir, renvoie à la facilité d'embauche pour les 1ère année.
Le sociologue doit cependant ici prendre en considération que les 1ère année de cette formation et surtout les plus jeunes d'entre eux, de manière générale, sont rarement bien informés des modes définitifs de recrutement. Ils envisagent rarement encore le salaire ou les responsabilités comme élément déterminant de leur choix professionnel. Et, en ce sens, ils ne diffèrent guère des autres jeunes étudiants de leur âge (de nombreuses études sur les étudiants en début de cycle universitaire le montrent - voir OVE, 2000): les critères relatifs au métier en lui-même et les qualités à mettre en avant prédominent largement sur les critères économiques dans le choix professionnel.
L'option choisie est d'abord celle d'un "métier qui plaît" avant de se demander si c'est une "profession qui rapporte"...
Les 3ème année, en revanche, sont plus nombreux à mentionner le salaire (près de la moitié) et les responsabilités[17] qu'ils souhaitent avoir. Un peu plus âgés que les 1ère année et en fin d'études, ils commencent à envisager plus concrètement leurs conditions d'existence future et les éléments de réalisation au jour le jour de leur travail.
Les choix de réponse en 1ère et 2ème positions effectués par les 3ème année sont intéressantes et permettent de créer une sorte de typologie relative à la perception des fonctions prioritaires de l'IDE:
Le groupe dominant intègre le technique et le relationnel et semble se partager entre ces deux zones de l'activité infirmière, les considérant comme un tout. Notons cependant que cette perception large du métier et cette vision plus holistique du patient, si elle est en outre valorisée par les formateurs et évaluateurs, ne se retrouve pas chez tous ces apprentis, même en fin de formation.
Tous ceux qui n'ont pas coché la case relative à l'aspect technique se sont largement portés vers le désir d'aide et d'écoute puis sur le désir de porter secours et assistance. Dans les autres questions d'ailleurs (1 et 7 notamment), ils insistent aussi largement sur la relation aux autres, l'écoute, etc. Ces personnes se positionnent presque exclusivement dans une perspective de la profession où la technicité semble pouvoir leur paraître plus 'accessoire'.
Une minorité s'attache exclusivement aux aspects techniques du travail et évacue assez largement tout ce qui a trait au relationnel. Dans quelques cas, le désir de porter secours et assistance est coché, mais on peut supposer qu'en étant choisi en évitant tout ce qui est relatif à l'aide et à l'écoute, les personnes qui ont choisi cette option l'abordent plutôt sur un plan très technique et professionnel. Leur choix en matière de secteur d'activité (en question 7) le confirme d'ailleurs: ils envisageront plutôt des domaines où une haute technicité et une rapidité d'exécution sont prioritairement exigés (réanimation, urgences).
Face à ce que ces étudiants envisagent du métier auxquels ils se destinent, on obtient ainsi, d'ores et déjà, trois cas de figure, trois groupes: les ambivalents, les relationnels et les techniciens... Les réponses données par les 3ème années permettent mieux de saisir ces distinctions que celles des 1ère année, ce qui est somme toute assez naturel compte tenu de l'expérience pratique qu'ils ont déjà acquise aux cours des trois années de formation.
La dernière question visait essentiellement à rechercher si la personne interrogée était 'consciente' (?!) des priorités qu'elle donne à son travail (entre technique, relationnel, administratif, éducatif...), si elle opère des choix de carrière en fonction de ses préférences, façons d'être et de faire dans ses activités, choisissant le secteur où elle sera assurément le plus efficace.
Graphique 4
Mise en parallèle des préférences dans les compétences développées (entre technique et relationnel) selon le niveau de formation et le lieu d'exercice futur envisagé
Note: cet aperçu est rendu possible en sommant les réponses faisant état d'une préférence vers le technique ou le relationnel dans les réponses aux questions 1, 2, 5 et 7.
Grille de lecture: au bloc (plateau technique), si c'est le technique qui doit prédominer pour les 3ème année, c'est le relationnel qui est mis en avant par les 1ère année. En chirurgie, pour les 1ère année, le technique et le relationnel sont au même plan, pour les 3ème année, le relationnel est dominant.
Nous sommes partis de l'idée que l'individu serait plus tenté par une spécialisation où il serait possible de mettre en avant ce qu'il préférait faire.
Si la grande majorité des 3ème année s'est exprimée en donnant leur option de prédilection, cela est beaucoup moins vrai en 1ère année où l'on retrouve plus de non réponses, d'indécision (donnant plusieurs choix); quelques réponses sont par ailleurs difficilement utilisables.
Pour les 1ère année, le bloc opératoire et la réanimation prédominent suivis de près par la pédiatrie. L'influence de séries télévisées ("Urgences" en l'occurrence) relatant des faits exceptionnels et passionnants en milieu hospitalier et surtout aux urgences a un impact évident sur ces choix. D'autant qu'en 1ère année, ce ne sont pas les lieux privilégiés de stages - ce qui laisse donc bien entendre que ces étudiants se projettent encore idéalement sur une activité pour laquelle, ils n'ont, en gros, que des à priori.
En 3ème année, les choix prononcés sont en adéquation avec les priorités accordées dans la perception du travail de l'IDE (en relation aux questions précédentes) et les justifications données sont majoritairement pertinentes.
Les choix professionnels les plus souvent cités sont très souvent aussi la réanimation, les soins intensifs et les urgences; mais à la différence des 1ère année, ils accordent autant de place au technique qu'au relationnel pour cette activité.
Ensuite, vient la chirurgie, la psychiatrie et la pédiatrie. Pour ces deux dernières, on retrouve la volonté d'une plus grande implication du relationnel (c'est ce qu'ils donnent en justification dans cette question et c'est ce qui ressort aussi dans les réponses aux diverses questions précédentes).
Malgré cette insistance souvent marquée pour le relationnel et la communication, ils mettent surtout en avant leur rôle propre et parlent peu de leur rôle collaborant, de médiation entre le patient et le médecin.
En dépit de cet aspect médiatif qui peut paraître judicieux au sociologue de pouvoir développer, on peut estimer que les 3ème année, en fin de formation, semblent avoir fait le tour de ce qui fait le métier d'IDE, ils ont expérimenté un grand nombre des fonctions et des lieux de travail: ils ont des idées bien arrêtées sur les lieux d'exercices où ils seraient les plus performants et les plus à l'aise.
Seule ombre au tableau: ils n'auront que rarement la décision finale sur le choix de leur lieu d'exercice.
Les questionnements
Le descriptif et l'interprétation des réponses formulées dans le questionnaire, pour aussi fastidieux qu'ils puissent se présenter amènent, à mon sens, le sociologue à se poser un certain nombre de questions sur les acquis en formation; l'étude sur cette formation en particulier servant de prétexte à une étude sur les formations de manière plus générale.
Même s'il y a sans doute un intérêt à s'interroger sur les capacités et la pertinence à faire produire à des élèves infirmiers un travail de mémoire de cette nature sans leur en donner les clés d'entrée et le minimum d'informations méthodologiques pour mener à bien ce mémoire sans être tourmentés par la valeur de ce qu'ils vont produire, telle n'est pas ici ma principale priorité.
La réflexion que je souhaite soulever au-delà de ce descriptif porte beaucoup plus sur tous les acquis formels, non formels et informels de toute formation.
Ce travail sur 48 questionnaires ne saurait permettre une généralisation en dehors des promotions de l'IFSI de Martigues et de la formation qui y est dispensée. Maintenant, la manière dont la formation suivie est intégrée dans ce lieu particulier, m'interroge sur la façon dont une formation est intégrée ailleurs, dans le secteur paramédical comme dans toute autre formation professionnalisante.
Ce ne sont ici, pour le moment, que des prémisses d'un travail à mener sur lequel il faudra recueillir les contributions et réflexions des compétences les plus diverses sur ce thème.
L'acquisition de gestes techniques est l'attendu de toute formation professionnalisante, avec le chapelet des conséquences qui doivent s'y adjoindre: une validation des acquis plus ou moins académique (ici un diplôme d'État), un poste et un statut permettant de mettre en avant les compétences professionnelles acquises et un salaire conforme à la professionnalité obtenue.
La formation en elle-même vise à produire des professionnels ayant une assurance dans leur travail, par l'acquisition de ces gestes techniques, et une connaissance de tout ce que leur statut leur confère en termes de droits et de devoirs.
Les résultats de ces questionnaires montrent un peu plus que cela, en terme de processus d'acquisition. Et c'est ce "plus" là qu'il me semble pertinent de pouvoir interroger.
En fait, les acquis que donne la formation ne se matérialisent pas seulement en gestes techniques et professionnels mais également en comportements et modes de pensée particuliers qui font, qu'en devenant peu à peu IDE ou autre, on se forge aussi une autre vision de l'existence et du rapport à l'autre. Les stages semblent d'ailleurs être bien souvent le révélateur de ce changement personnel dans le cadre professionnel.
Le décalage qui existe donc entre les 1ère et les 3ème années, entre ce qui est encore de l'idéal projeté (pour ceux qui arrivent en formation) à ce qui devient peu à peu du vécu professionnel (pour ceux qui finissent la formation) s'élabore d'ailleurs à plusieurs niveaux. L'individu, au fur et à mesure, de son évolution dans la formation acquiert des compétences techniques (ce qui est le propre de toute formation professionnalisante), mais il acquiert aussi un regard particulier, un savoir-penser (en termes de responsabilités, de rôle propre, de prise d'initiatives), un savoir-être au sein de l'équipe et vis-à-vis des patients et de leur entourage, et une identité professionnelle qui le distingue des autres professionnels.
On savait déjà que la formation - initiale ou continue - (voir Chiousse S. et Werquin P., 1998 et Chiousse S., 2001), surtout lorsqu'elle est réalisée avec succès, notamment en termes d'insertion professionnelle, avaient des valeurs bien au-delà de l'activité professionnelle elle-même. Elle a, en effet, des répercussions sur l'individu en termes d'estime de soi, de confiance, et favorise une meilleure insertion sociale.
Ces non-dits, non-écrits, non-formalisés internes à la formation elle-même que l'on trouve ici et qui jouent sur la personnalité de l'individu et sa relation aux autres, doivent également se rencontrer dans tout type de formation. Elle interroge sur la construction d'une identité professionnelle et de valeurs propres à chaque catégorie socioprofessionnelle, et mériterait sans doute une attention plus prononcée de la part des sociologues. De plus en plus de politiques se penchent en faveur d'une validation d'acquis dits expérientiels, en dehors de toute formation. Ces mêmes politiques, en faveur de l'éducation et la formation tout au long de la vie, prônent de plus en plus des systèmes d'évaluation formative, à plusieurs étapes du processus d'apprentissage. Il est peut-être temps aussi de porter un regard un peu plus aigu sur ces acquis difficilement formalisables, pendant la formation. L'exemple rapporté me semble en être une première illustration, qu'il conviendra d'enrichir par de nouvelles réflexions.
- Notes:
- 1.- Porcu Élodie (2002) De l'apprenti(e) à l'expert(e) - Polyvalence et complexité inattendues des fonctions de l'IDE - Mémoire pour l'obtention du diplôme d'infirmière d'État, IFSI, Martigues (non publié).
- 2.- Comme l'indique le titre même de cette contribution, il ne s'agit ici que d'une "étude de cas", ayant donc un caractère très spécifique, qu'il convient de ne pas généraliser trop tôt.
- 3.- Seul le volume du document à remettre diffère: le candidat IDE de l'IFSI de Martigues doit avoir développé son travail sur un maximum de 25 pages, chaque partie obligatoire ("introduction", "démarrage", "recherche bibliographique", "construction de l'hypothèse", "outil", "interprétations", "conclusions") devant débuter sur une page nouvelle.
- 4.- En 1ère année, 7 étudiants ont entre 18 et 20 ans (des néo-bacheliers pour la plupart) et 9 ont entre 20 et 25 ans. Tous les étudiants de 3ème année ont plus de 20 ans, 18 (soit 78.3%) ont entre 20 et 25 ans (une grande majorité de ces étudiants de 3ème année sont donc aussi entrés en formation à l'IFSI immédiatement après le diplôme de fin d'études secondaires).
- 5.- Question 2: "Citez trois des principaux rôles de l'IDE".
- 6.- Relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession, le dernier décret date du 11 février 2002 et fait suite aux décrets du 16 février 1993 et du 15 mars 1993 dont il reprend et confirme les dispositions (ministère du Travail et des Affaires sociales, 2002).
- 7.- Les 3ème année ont d'ailleurs, dans leur formation, un exercice (évalué) qui consiste à expliquer une manipulation à des 'plus jeunes' qu'eux (1ère année en l'occurrence).
- 8.- Un des exercices, noté et comptant pour l'obtention du diplôme, consiste à produire un acte sur un patient. Généralement, l'apprenti IDE prend soin de choisir un patient qu'il apprécie particulièrement (et qui lui rend bien!), l'avise de l'examen qu'il va subir et lui demande l'autorisation de pratiquer par exemple une intraveineuse. Au moment de l'examen, avec l'évaluateur dans la chambre, il prendra soin de saluer largement son patient, grands sourires, etc., de lui parler de la pluie et du beau temps, de s'enquérir de son état, de sa famille, etc. tout en pratiquant l'exercice (l'intraveineuse) sur lequel il sera évalué. Autant que l'acte technique en lui-même, c'est tout son comportement vis-à-vis du malade qui sera évalué. En temps normal, l'apprentissage - si apprentissage il y a - consiste à observer le comportement de l'infirmière déjà diplômée que l'élève suit; et il n'y a pas toujours le temps pour le bavardage cordial...
- 9.- Profitons pour rappeler ici le rapport dominant/dominé qui apparaît presque toujours, quel que soit le type d'interrogation effectuée. Bien qu'étudiante elle-même, l'auteur du questionnaire a dû faire face ensuite (après la passation du questionnaire) aux inquiétudes de ses 'congénères' (de 3ème année) qui se demandaient - et lui demandaient - si, en formulant une réponse de 'tel type', ils avaient "bien répondu...", (voir à ce propos Matalon et Ghiglione, 1982 - notamment).
- 10.- Pour mémoire, nous rappelons cette question: "si je vous dis infirmier (infirmière), quels sont les 5 premiers mots qui vous viennent à l'esprit?".
- 11.- La place laissée pour la réponse signalait 5 tirets, donc 5 termes. Multiplié par 23 questionnaires, cela donne 115 occurrences de réponse pour les 3ème année et 125 pour les 1ère année.
- 12.- La référence à une localisation (l'hôpital par exemple) n'apparaît que 4 fois; il en va de même pour l'utilisation du terme "patient". 68% des interrogés de 1ère année citent le terme de "soins"; ils sont 84% en 3ème année à le faire.
Le terme de "maladie" n'a jamais été abordé par les 3ème année sur les 115 occurrences de réponses; il est signalé une fois par les 1ère année.
En revanche, les 1ère année semblent beaucoup plus sensibles à la notion d'hygiène - qui, elle, n'est jamais mentionnée par les 3ème année. Les 1ère année parlent également très souvent du "secret professionnel" qui semble leur apparaître comme une des caractéristiques spécifiques de ce métier.
- 13.- 3. "Depuis le début de la formation, vous avez le sentiment d'avoir changé sur le plan... personnel? technique? plus grande facilité d'écoute? prise d'initiatives, responsabilités? choix du projet professionnel? autre (précisez)". [numérotez par ordre de priorité les items choisis].
3bis: "Qu'est-ce qui a pu induire ce changement?".
- 14.- Question 5: "Le choix de cette profession a été orienté par: l'aspect technique / le désir d'aide, d'écoute / le désir de porter secours et assistance / le travail d'équipe / l'aspect éducatif / avoir des responsabilités / le désir de connaître le milieu médical / le salaire / la facilité d'embauche / l'uniforme / autre (précisez).
- 15.- Question 7: "En fonction de ce que vous êtes en train d'apprendre, y a-t-il un lieu spécifique où vous avez déjà pensé exercer au mieux votre métier d'IDE?"; "Si oui, lequel et pourquoi?".
- 16.- Sur ces deux "vocations", une n'est guère crédible: l'interrogée a plus de 35 ans, était insérée professionnellement comme aide-comptable, après des études de comptabilité, et ne définit l'infirmière que sur des critères valables pour toute une série d'autres activités hors du paramédical (gentillesse, collaboration, discrétion...). Elle n'est pas en mesure de se positionner sur un lieu d'exercice particulier (en question 7).
- 17.- Une seule personne en 1ère année insiste sur la valeur accordée aux responsabilités dans le travail en classant cet item en 1ère position. Cette réponse est d'ailleurs tout à fait pertinente par rapport à ses autres réponses dans le questionnaire: celle-ci est en effet dans une recherche d'ascension sociale et de valorisation de son travail; elle était auparavant aide-soignante et le passage d'un statut à un autre peut effectivement trouver comme motif principal le souhait d'avoir plus de responsabilités dans son travail.
- Références bibliographiques:
Chiousse S. et Werquin P. (1998) Conseil et orientation professionnelle tout au long de la vie - Éléments de synthèse à partir des expériences menées dans l'Union européenne, Cedefop, Coll. "Panorama", Thessalonique, (traduit en anglais et en allemand).
Chiousse S. (2001) Pédagogie et apprentissage des adultes - An 2001... État des lieux et recommandations, Rapport pour l'Examen thématique de l'apprentissage des adultes, OCDE, Paris.
Matalon B. et Ghiglione R. (1982) Les enquêtes sociologiques: théories et pratiques, Armand Colin, Coll. U, Paris.
Ministère du Travail et des Affaires sociales (2002) Recueil des principaux textes relatifs à la formation et à l'exercice de la profession infirmière - Paris, ministère du Travail et des Affaires sociales.
OVE - Observatoire de la vie étudiante - (2000) Profils, attentes et motivations des étudiants inscrits en 1ère année de Deug en 1999/2000, Université de Provence, Marseille.
Porcu Élodie (2002) De l'apprenti(e) à l'expert(e) - Polyvalence et complexité inattendues des fonctions de l'IDE - Mémoire pour l'obtention du diplôme d'infirmière d'État, IFSI, Martigues (non publié).
- Notice:
- Chiousse, Sylvie. "De l'apprenti à l'expert: Étude de cas sur une formation d'élèves infirmiers. Premiers éléments d'enquête", Esprit critique, vol.04 no.08, Août 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
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