Après trente ans de débats, ou en est la recherche en travail social?
Par Hervé Drouard
Résumé:
L'idée d'une recherche spécifique dans le travail social, de diplômes professionnels de niveau II ou de niveau I, d'une formation doctorale en travail social a été portée depuis trente ans par de petites organisations représentant les centres de formation associatifs ou des équipes de "praticiens-chercheurs" (formateurs ou travailleurs sociaux formés à la recherche). Un premier article publié dans "sociologie critique" d'avril 2002 avait marqué les étapes de cette construction où s'affrontaient, se répondaient des universités, des centres de formation privés et des administrations ministérielles et qui avait abouti à la création de 2 diplômes de niveau II: le DSTS et le CAFDES, à la fin de la décennie 70. A partir de là, comment s'est poursuivie la mise en place, la valorisation, la reconnaissance d'une recherche en travail social et d'une formation doctorale?
Dans un précédent article de Esprit critique (avril 2002), nous avons essayé de montrer, à travers le rappel historique rapide de 3 moments de mobilisation sur 30 ans, comment un secteur professionnel important - celui du travail social et son dispositif de formation - se trouvait pris dans un piège, un paradoxe à la fois paralysant et stimulant: composer avec l'Université à des fins de reconnaissance sociale et scientifique et s'en défendre avec vigueur pour sauver sa "professionnalité" (savoirs multidisciplinaires et savoirs méthodologiques propres). Jeu de cache-cache, jeu de dupes, sous les yeux d'un "sous-ministère".
Où en est-on aujourd'hui avec le DSTS (Diplôme supérieur en travail social), la recherche EN Travail social, les relations des Centres de formation avec les universités?
Nous présenterons successivement:
1)- les propositions du Comité de liaison et le point sur la Revue Forum,
2)- les conclusions du groupe de travail interministériel (août 1992) sur la valorisation universitaire des formations de travailleurs sociaux,
3)- les réactions des 4 comités représentant l'ensemble de l'appareil de formation au travail social,
4)- les réflexions des universitaires promoteurs de dispositifs de formation par la recherche au sein même des universités (groupe de recherche DRED (Direction des recherches et études doctorales à l'Education nationale) sur "recherche et professionnalisation").
Reprenons donc chacun de ces points:
1.- Propositions et actions du Comité de liaison
1.1- Depuis 1988, année des 10 ans du DSTS où le ministère des Affaires sociales a parlé d'un "toilettage du diplôme", le Comité de liaison des formations supérieures en Travail social a élaboré, dans le cadre d'une commission régulière, un certain nombre de propositions pour une "réforme et non une révolution du DSTS". Un premier document a été envoyé au ministère en décembre 1990. Les demandes portaient sur deux points:
1.1.1. modifications des modalités d'admission (plus souples) et de validation (ajouter au mémoire de recherche, un mémoire et une soutenance "projet d'action" relevant des sciences de la conception et de l'ingéniérie)
1.1.2. création d'un Diplôme d'études supérieures en action sociale (niveau DESS ou DEA) pour l'accès à "la Haute Fonction Sociale", les fonctions de cadres supérieurs de l'Action sociale, de la formation et de la recherche.
1.2.- La revue Forum continue avec les mêmes orientations: faire connaître, valoriser les travaux des "praticiens-chercheurs". Elle cherche une formule permettant sa prise en charge et sa promotion par l'ensemble de l'appareil de formation en Travail social: le Comité de liaison, le CNESS (Comité national des écoles de service social pour les formations initiales d'assistantes sociales), l'UNITES (Union nationale des instituts de formation du travail éducatif et social pour les formations initiales des autres professions sociales), le GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social). Aujourd'hui (2002) 3 des 4 instances ont fusionné dans l'AFORTS (Association française de formation et recherche en travail social), une garde encore son autonomie (le GNI).
2.- Quelques orientations du groupe de travail interministériel sur la valorisation universitaire des formations de travailleurs sociaux (août 1992)
La mise en place de ce groupe était prévue dans le protocole d'accord sur l'évolution des professions sociales du 2 décembre 91. Il était coprésidé par Mr Cornillot[1], président de l'Université Paris-Nord et par Mr Thierry, directeur de l'Action sociale. Il comportait 25 membres cooptés.
Après un bilan de l'existant (état des forces engagées et relations entre centres et universités), il fait état des débats du groupe, donne des orientations et dans une dernière partie suggère des "initiatives immédiates". Nous nous contentons de rapporter quelques conclusions concernant notre problème ainsi que les 4 propositions qui terminent ce rapport:
2.1. - La passation, à l'automne 1992, d'un accord-cadre ou d'un texte conjoint, tel qu'une lettre circulaire aux présidents d'universités sur la coopération entre universités et instituts professionnels pour les formations au travail social.
2.2. - La création la plus rapprochée de 2 à 4 Instituts universitaires professionnalisés (IUP) dans le champ du social.
2.3. - La création d'un réseau d'universités s'engageant à mettre en oeuvre les orientations du présent rapport.
2.4. - La désignation d'un groupe d'appui, composé de quelques représentants des administrations concernées, et d'experts universitaires ou professionnels, pour l'émergence de 3èmes cycles nouveaux dans le champ du travail social.
A notre connaissance, ces propositions sont restées longtemps sans suite. Les trois scénarii possibles demeurent les mêmes sans que le ministère soit à même ou ait la volonté de trancher:
- faire passer l'ensemble des formations à l'Université,
- trouver une formule de contractualisation acceptable pour les deux parties: centres associatifs et Université;
- créer un "Institut supérieur des hautes études de l'ingénierie sociale" dépendant du ministère des Affaires sociales au même titre que l'Ecole de la Santé de Rennes. "L'idée en a été avancée... Il a paru préférable, dans une première étape, d'assurer une synergie entre les diverses institutions susceptibles de s'engager sur cette voie..."[2].
3.- Réactions de l'appareil de formation
Le regroupement des organisations représentatives des centres de formation, informel d'abord, puis institué tel qu'expliqué ci-dessus a réagi sur le problème des relations avec l'université. Lors d'une conférence de presse rapportée par la revue ASH (Actions sociales hebdomadaires) no1805 du 6 novembre 92, il prend les positions suivantes:
- il conteste la composition du groupe de travail interministériel, effectué sur une base nominative,
- il qualifie le projet de lier la préparation concomitante du DE (diplôme d'Etat initial) et un diplôme universitaire (type licence AES) de "généralisation hâtive sans réflexion préalable". Et réductrice car elle ne traite que de 2 professions (assistantes sociales et éducateurs) et ignore les autres formules de coopération.
- il conteste également le terme de "valorisation" plutôt que "validation" universitaire, révélateur "du détournement de la question afin de répondre à la demande de reconnaissance statutaire et professionnelle des éducateurs et des AS (assistantes sociales)", un glissement "qui a occulté la réflexion de fond sur les relations entre centres de formation et universités".
4.- Réflexions de certains universitaires, promoteurs de dispositifs de formations professionnalisantes au sein de l'université.
Nous avions eu l'occasion de participer à une recherche commanditée par la DRED. Le Groupe de recherche rassemblait une dizaine d'universitaires, responsables de dispositifs de formation par la recherche et la production de savoirs, au sein de l'université (excepté l'auteur de ces lignes qui représentait un dispositif d'un centre de formation au travail social) et concernant des professions comme "les métiers de la communication", "les métiers de la formation", "les métiers de l'enseignement primaire et secondaire". Le travail de ce groupe et le rapport, intitulé Recherche et professionnalisation montre l'importance des approches de type "praxéologique" dans la formation des praticiens et dans la construction de la professionnalité des professions nouvelles ou en recherche de légitimité universitaire[3].
D'autres rapports d'évaluation sur l'ensemble des formations en travail social (ou sur des segments) ou sur l'adaptation du travail social à la nouvelle donne économique se sont ajoutés aux précédents. Des analyses, préconisations, orientations, à la demande du ministère des Affaires sociales ou à l'initiative des employeurs APCG[4] pour les collectivités territoriales et UNIFED[5] pour le privé), se sont accumulées dans les tiroirs...et ont commencé à en sortir (cf. infra).
Les universités se sont intéressées de plus en plus à la clientèle des travailleurs sociaux (TS), en offrant une multitude de DESS à coloration sociale; un IUP s'est créé à l'Université Paris-Nord - Villetaneuse "Ville et Santé" où Pierre Cornillot et Christian Bachmann (décédé depuis) ont pu mettre en place DEUG, Licence, Maîtrise en ingénierie du management des institutions sanitaires et sociales ou ingénierie sociale urbaine; un réseau nouveau s'est installé en 1996, le RUFTS (Réseau universitaire des formations pour les travailleurs sociaux) qui regroupe une quinzaine d'universités intéressées par une réflexion commune et une offre labellisée de DESS.
Le mouvement d'entrée dans les 3èmes cycles universitaires de nombreux travailleurs sociaux a produit une organisation originale: l'Association AFFUTS[6] qui s'est donnée comme objectif la création d'un Doctorat spécifique pour les travailleurs sociaux. Nous en faisons une rapide présentation, reprenant un manifeste rédigé pour le ministère des Affaires sociales Le 4ème combat est-il en train de s'achever par une victoire: une clé de voûte à l'édifice de la formation en Travail social et à la profession?
5.- Pour une clef de voûte à la formation en travail social et aux professions sociales
Depuis longtemps, dans le secteur social, beaucoup d'esprits lucides ont souligné ce qui manquait à la profession pour assurer son autonomie, sa reconnaissance, sa place et son rayonnement dans la société et dans la vie intellectuelle et scientifique de la Nation.
Une discipline de référence, un milieu de recherche, une architecture complète de la formation (qui s'arrête pour le moment au DSTS, c'est-à-dire au niveau Maîtrise). Ces 3 éléments ne faisant bien sûr qu'un seul déficit: il manque, en France, un Doctorat en Travail social). Car qui dit Doctorat dit recherche, laboratoire, discipline, revues scientifiques et donc structuration d'un champ, théorisation, capitalisation de savoirs.
Les raisons de cette absence ont été cent fois données: l'histoire mouvementée de la naissance du travail social et des formations afférentes, la tradition universitaire française crispée sur l'opposition entre théorie et pratique, son mode de distribution dominant par l'enseignement magistral, la sacro-sainte division sociale du travail qui réserve aux "héritiers" la noble théorie et laisse aux fantassins l'obscurité de la pratique routinière.
C'est la raison pour laquelle et dans la logique de la Révolution émancipatrice, il faut sans cesse que le peuple envahisse les bastilles, se réapproprie les pouvoirs et les savoirs, proclame la dignité des savoir-faire, des savoirs pratiques qu'il est seul à construire pour le plus grand profit de tous et d'abord des élites qui en vivent.
Nous nous proposons, dans ce court article, de faire le bilan de quatre ans de réflexion, de recherche, d'action d'un mouvement né dans le champ du travail social, l'Association AFFUTS (pour des formations de 3èmes cycles en Travail social) qui s'est donné pour objectif la création et la prise en compte d'un niveau I dans ce secteur.
5.1. Un état des lieux
Lancée à la mi-février 1993, à partir d'un appel aux pairs déjà connus: des travailleurs sociaux ayant passés des 3èmes cycles et demeurés dans le secteur social, l'association se constituait avec une trentaine d'adhérents, le 24 septembre de la même année et commençait à diffuser un tract permettant de réaliser un état des lieux. Personne, en effet, n'était en mesure de chiffrer le phénomène d'entrée des TS dans des 3èmes cycles universitaires.
Au début de l'année 1994, près d'une centaine avait rempli la fiche d'inscription et une première analyse permettait de les distribuer par métier, par région et par type de diplôme et de discipline: 1/3 d'assistants sociaux, un autre d' éducateurs spécialisés et un troisième composé de conseillères ou d'animateurs (près de la moitié de l'ensemble se trouvant dans un statut de formateur); 40% dans la région parisienne et le reste réparti dans les 4 points cardinaux de la province; 42% de DEA contre près de 30% de doctorats et 30% de DESS; la discipline majoritaire étant la sociologie, suivie très loin derrière par les sciences de l'Education, la psychologie et l'anthropologie.
Deux ans après, les effectifs étaient doublés sans que les proportions ne soient modifiées sensiblement. Ce qui nous a permis de projeter quelques estimations: il y aurait au moins 2000 travailleurs sociaux ayant des 3èmes cycles dont déjà 500 Doctorats, en sachant que le mouvement ne fait que s'accentuer si l'on en juge par la demande forte du "RECENSEMENT DES DEA et DESS susceptibles d'intéresser les travailleurs sociaux" que nous diffusons régulièrement.
Une analyse plus fouillée des données recueillies (complétées par de nouveaux questionnaires) a été confiée à un groupe de stagiaires DSTS (option recherche), ce qui a permis d'affiner les résultats et surtout de compléter une première étude qui avait surtout porté sur les profils et motivations[7]. On a pu confirmer certaines tendances qui se dégageaient des premiers documents en travaillant sur les titres et thèmes des productions:
- une aspiration forte à choisir le cursus DEA, Doctorat plus que DESS pour accéder à une pratique de recherche (en vue de l'enseignement ou simplement une meilleure connaissance des réalités sociales),
- une volonté de prendre leur pratique professionnelle pour objet de recherche et donc de privilégier une approche praxéologique, quelle que soit la discipline de référence. Nous reviendrons plus longuement sur cette revendication car elle est à la source de malentendus, malaises, difficultés dans les relations entre le candidat et son directeur de recherche ou son jury d'examen, les universitaires ayant du mal à admettre cette problématique.
- une énorme déception causée par le décalage trop grand entre l'investissement personnel (au détriment de la famille, des loisirs, du repos) et la rentabilité du diplôme en termes de reconnaissance statutaire, de fonctions adaptées aux nouvelles compétences, de valorisation de leur capital scolaire et scientifique.
5.2. Un lieu d'analyse et de valorisation
Très rapidement, AFFUTS a pensé que les productions de recherche des travailleurs sociaux étaient très peu connues, diffusées, valorisées, faute de revues scientifiques ouvertes à des approches pluridisciplinaires ou de revues professionnelles intéressées par des vulgarisations ou recensions de cette "littérature grise". Seules, Forum publiait, depuis une quinzaine d'années, certains travaux DSTS ou CAFDES (Certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement sociaux) et la revue de la CAF (Caisse d'allocations familiales), Informations sociales, avait une rubrique "Le Social en recherche" où étaient présentées succinctement des recherches effectuées par des TS. Et récemment, le revue du CEDIAS (Centre d'études, de documentation, d'information et d'action sociales), "Vie sociale" présente de petits abstracts des DSTS ou CAFDES ou réalise des numéros thématiques avec de larges extraits de ces recherches.
D'où l'idée de mettre sur pied des "Rendez-vous de chercheurs" où des travaux de 3èmes cycles effectués par des "affûtiens" seraient présentés et débattus par les praticiens et les praticiens-chercheurs intéressés. A la fin du 1er trimestre 2002, 10 journées de "diffusion-valorisation" auront été organisées[8]. On peut penser que la circulaire DAS no651 du 12 octobre96 relative à la valorisation des "Travaux et recherches en travail social" incitera les Centres de formation et les DRASS (Directions régionales de l'action sanitaire et sociale) à organiser ou soutenir ces efforts indispensables (effectivement, un archivage national des meilleures productions a été confié au CEDIAS et l'organisation chaque année dans une région différente de journées de présentation de DSTS ou CAFDES: 2 ont déjà eu lieu).
Dans le même ordre d'idée, un bulletin de liaison s'avérait nécessaire pour annoncer les manifestations, faire connaître les soutenances et les thèmes de recherche des uns et des autres, les démarches et les avancées de nos différents chantiers. Trophée en est à son no20.
Parallèlement, il était essentiel d'engager le dialogue avec les universitaires qui formaient les travailleurs sociaux dans les divers 3èmes cycles. Nous avons constitué un "Groupe mixte" qui réunissait des professeurs connus pour leur engagement dans le secteur social: R. Castel de l'EHESS, J.Beillerot et P.Durning de Nanterre, M.Parodi d'Aix-Marseille, J.M.Barbier du CNAM, C.Guérin de Paris IX, R.Kohn de Paris VIII. Il s'agissait avec eux de voir l'intérêt et les conditions de possibilité d'une discipline spécifique Travail social.
Les conclusions de ces échanges ont été que la conjoncture universitaire n'était pas favorable à la création d'une discipline nouvelle (surtout orientée vers la connaissance de l'action) en l'absence de milieu de recherche structuré, de productions conceptuelles reconnues
internationalement (et comment pénétrer les ghettos des laboratoires ou des revues scientifiques institués?).
En revanche, grâce surtout à la présence d'un représentant du CNAM, des distinctions intéressantes ont pu être approfondies: disciplines centrées sur des champs théoriques et celles construites sur des "champs de pratique" comme les sciences politiques, de l'éducation, de la communication.
5.3. Un lieu de conception et de proposition
Il restait à imaginer, concevoir et mettre en place une stratégie qui pourrait enfin combler le manque dont nous sommes partis: un Doctorat spécifique venant compléter et donner du sens à l'architecture des formations professionnelles en Travail social et à la profession toute entière.
Depuis son origine, il y a plus de 30 ans, le Comité de liaison des Centres de formation permanente et supérieure rêvait de ce Doctorat:"conserver sur le terrain d'exercice du travail social des "généralistes experts" dotés d'une formation supérieure et capables de faire avancer vers sa perfection l'acte professionnel {...} N'est-ce qu'un beau rêve? Il y a bien dans la plupart des professions (...) des professionnels détachés de la production pour s'adonner à des recherches. Le Travail social pourrait faire exception, s'il n'avait pas besoin de recherches, or..."[9] Encore faut-il résoudre deux ordres de problèmes: le premier au sein de la profession elle-même, l'autre en direction des milieux scientifiques.
5.3.1. Dans la profession, il est indispensable que soit reconnu l'intérêt de produire des "praticiens-chercheurs", des cadres supérieurs, par une filière interne, des laboratoires de recherche centrés sur les pratiques.
Et donc d'obtenir la prise en compte par les employeurs (privés ou publics), par les syndicats et par le ministère de tutelle des Affaires sociales de cette nouvelle donne au sein de la profession en reconsidérant les missions, les postes et les profils de carrière.
Une prise de conscience se fait à la suite de nombreux rapports récents. Le ministère des Affaires sociales a fait inscrire, dans un chapitre de la loi contre les exclusions[10], l'obligation de la recherche en Travail social pour l'ensemble des centres de formation et a fait réalisé un "état des lieux" par un chercheur du CNAM[11]; il a associé à la préparation de la réforme du DSTS le problème des 3èmes cycles; il encourage le combat d'AFFUTS.
5.3.2. Pour les milieux scientifiques, la reconnaissance et l'installation d'une discipline spécifique passent par les productions théoriques, les publications, les débats. C'est la raison pour laquelle, Forum a amorcé une réflexion sur les rapports entre praxéologie et recherche en travail social (cf. Forum no84).
Ce n'est pas la première fois, en France, que l'on déclare urgent et indispensable pour le Travail social la création d'une discipline et d'un doctorat. La conjoncture est-elle enfin favorable? Deux pistes sont explorées pour contourner le refus actuel de l'Université, qui recouvrent deux logiques différentes: la logique Grande École mais qui peut avoir l'inconvénient d'isoler le secteur social, de l'enfermer dans ses problématiques ou la logique CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), depuis l'origine centré sur "les champs de pratique", ouvert sur l'inter-disciplinaire et les approches inter-professionnelles. La création d'une chaire de Doctorat au sein du Département "Travail et entreprise" et dans le Pôle de recherche "Sciences de l'homme au travail" aurait l'avantage de construire des synergies avec des domaines connexes comme La formation des adultes, les Sciences des organisations et du travail, de l'orientation professionnelle, de l'insertion sociale.
Le choix d'AFFUTS s'est effectué après mûre réflexion et consultations nombreuses: personnalités reconnues comme R.Castel (professeur à l'EHESS) et J.M. Belorgey (Conseil d'Etat), J. Ladsous (vice-président du CSTS), les 2 organisations qui regroupent les Centres de formation en travail social, L'AFORTS (140 centres) et le GNI (15 centres), le syndicat d'employeurs UNIFED. D'autres organisations sollicitées n'ont pas répondu.
La Direction de l'Action sociale, au ministère des Affaires sociales, qui a suivi et encouragé nos travaux depuis le début, s'est enfin prononcé et a décidé de garder l'initiative en obtenant le financement de cette Chaire par l'Education nationale (septembre 2001) et en contribuant ainsi à la structuration de la recherche en Travail social. Elle maintient donc la cohérence avec les choix effectués en instituant les deux diplômes professionnels: DSTS et CAFDES.
Parallèlement, un centre de formation, l'ETSUP, l'Ecole supérieure de travail social, de Paris, a réalisé avec l'appui du Fonds social européen (FSE), entre 1998 et 2000, une étude sur Les doctorats en travail social en Europe (publiée en français et en anglais)[12], une série de 2 séminaires sur les "problèmes épistémologiques de la recherche en travail social en Europe"[13] (en 2000) et promeut actuellement un Centre européen de ressources de la recherche en travail social (financement FSE fin 2001).
Conclusion
Le bilan de ces trente ans de débats, de combats n'est donc pas mince: élévation du niveau universitaire des praticiens et des formateurs, courant de publications, collections, livres, articles de praticiens-chercheurs de plus en plus puissant, entrée des centres de formation associatifs dans des collaborations obligées (DSTS) ou négociées avec les universités, espérances de formations doctorales spécifiques dans le cadre de la Chaire de Travail social, réflexions épistémologiques et valorisations des productions de recherche au niveau européen ou francophone (ce numéro d'Esprit Critique n'en est-il pas un signe?). Espérons que la décennie en cours verra une véritable structuration d'un milieu de recherche à laquelle contribuera la transformation de la revue Forum en couverture thématique de l'ensemble du champ de l'intervention sociale.
- Notes:
- 1.- Rapport Cornillot, août 1992, photocop. p.9
- 2.- Ministère de l'Éducation nationale, Direction des recherches et études doctorales, D6 ACTIONS DE RECHERCHE EN EDUCATION, juin 1992, Recherche et professionnalisation, rapport intermédiaire, 69 p.
- 3.- Rapport sur l'évaluation du dispositif de formation des travailleurs sociaux, avril 1995, no95054, 2 documents, 412 p.
- 4.- APCG (Assemblée des présidents des conseils généraux de France), 1993, Les travailleurs sociaux: crise du recrutement et formation. Analyse et éléments pour une stratégie.
APCG, 1996, Les conseils généraux dans le dispositif de formation des travailleurs sociaux.
- 5.- UNIFED (Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs, sans but lucratif, du secteur sanitaire, médico-social et social), Régionalisation de la formation professionnelle.
- 6.- AFFUTS: Association française pour des formations universitaires de 3èmes cycles en Travail social (Présidence actuelle: Aline Dhers - Secrétariat: Hervé Drouard, Le Pont Bonnet 44140 Montbert).
- 7.- Fino-Dhers Aline, 1995, Parcours de travailleurs sociaux dans les 3èmes cycles universitaires, Document repro 32 p., disponible au secrétariat de l'AFFUTS.
- 8.- Ces séances ont permis un échange fructueux entre des praticiens-chercheurs et des universitaires et ont abouti à la publication récente d'un livre témoignage Praticien et Chercheur. Parcours dans le champ social, Coordonné par M.P. Mackiewicz, l'Harmattan, Paris, 2001.
- 9.- Idiart P. cité dans Le Social sous contrôle de la recherche? ch.I "Signification d'un thème de combat: la recherche en Travail social, 1970-1996" par Hervé Drouard p.26.
- 10.- Art.151 de la loi d'orientation de lutte contre les exclusions, 29 juillet 1988
- 11.- E. Dugue, Pratiques de recherche et structuration du champ professionnel dans le secteur social, CNAM, 2000
- 12.- F. Doctorats en travail social, quelques initiatives européennes, 2000, ENSP.
- 13.- Actes des séminaires sur le site certs.com.
- Notice:
- Drouard, Hervé. "Après trente ans de débats, ou en est la recherche en travail social?", Esprit critique, vol.04 no.07, Juillet 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org