"Cornélius Castoriadis, Le projet d'autonomie"
Par George Bertin
Ouvrage:
David Gérard, Cornélius Castoriadis, Le projet d'autonomie. Paris, Editions Michalon. 2000. 201p.
Dans ce petit livre à la fois complet et précis, Gérard David nous offre une synthèse tout à fait convaincante du parcours intellectuel, traduit par son oeuvre, de Cornélius Castoriadis, décédé le 26 décembre 1997, à l'âge de 75 ans.
Qualifié par Edgar Morin au lendemain de sa mort de "titan de l'esprit", Castoriadis est présenté ici, et c'est un des grands mérites de cet ouvrage, dans une perspective qui sait croiser les deux aspects auxquels il est souvent alternativement réduit, celui du militant de Socialisme ou barbarie ou encore celui du philosophe et sociologue de l'imaginaire dont l'oeuvre maîtresse demeure L'Institution imaginaire de la société (Le Seuil, 1975).
Ici la réalité symbolique de la production Castoradienne n'est pas découpée arbitrairement, disjonctée, elle demeure dans sa totalité insécable, ce qu'elle n'a jamais cessé d'être, y compris dans les derniers ouvrages de la série des Carrefours du labyrinthe, une autoproduction du social parce que pensée sur et dans le social.
De ce fait, elle éclaire puissamment la sociologie contemporaine, comme en abîme de l'autre pensée sociologique puissante du siècle, et dans un tout autre ordre, celle de Gilbert Durand, avec laquelle elle entre curieusement souvent en relation dialectique, si on veut bien les considérer attentivement du seul point de vue des catégories de l'Imaginaire.
C'est sans doute ce qui vaut à l'une et à l'autre de ces pensées d'être si souvent déniées par les scolastiques du siècle. Nous même, enseignant de 1992 à 2000, la sociologie aux étudiants du DESS et de la maîtrise de sociologie à l'Université Catholique de l'Ouest d'Angers, avions été frappé de constater à quel point les prêts-à-penser mécaniques et institués pouvaient, dans les cursus suivis par nos jeunes auditoires, avoir pris le pas sur leur capacité à "s'autoriser à se faire eux-mêmes leur propres auteurs" pour reprendre l'expression de Jacques Ardoino. Les ayant tenus écartés systématiquement depuis des lustres de l'oeuvre de Cornélius Castoriadis, on les sommait alors, et cela ne s'arrange pas vraiment, de sacrifier aux poncifs organisationnels décrétés de droit divin. Bien peu eurent alors l'audace de s'en remettre à eux-mêmes, de s'autonomiser en produisant une pensée libre. La barbarie règne encore, aussi, à l'Université quand les organisateurs, les urbanistes aménageurs et autres administrateurs plus ou moins civils se prennent pour des savants!
C'est tout le mérite de Gérard David que de nous proposer cette propédeutique à une oeuvre qui demande à être sans cesse revisitée.
Il nous la présente sans jamais les disjoindre dans ses trois dimensions:
- la réflexion critique sur le sujet, alimentée aux sources de la psychanalyse et du marxisme,
- la prospective sociale, lorsqu'il développe le projet d'autonomie de Castoriadis sur les plans ontologiques et politiques,
- sa réflexion proprement anthropologique, quand évoquant le sujet et sa socialisation, Castoriadis entrevoyait de manière quasi prophétique le processus de mutation anthropologique auquel, on en conviendra, nous sommes chaque jour de plus en plus acculés, et en appelait à l'instauration d'une païdeia, à l'interface de l'individu et de la société dans ses dimensions individuelles (on retrouve là l'ancrage de l'imaginaire radical dans la psyché sôma) et collectives (avec la praxis entée dans l'imaginaire social créateur et ses significations autoproduites).
Comme l'écrivait dans un forum internet, quelques jours après son décès, Paulo Henrique Martin:
"L'expérience de la lecture de Castoriadis n'est pas seulement un fait théorique. Il s'agit plutôt d'une ouverture de conscience, d'une nouvelle possibilité de sentir et de penser le monde".
C'est ce que l'ouvrage de Gérard David nous restitue, et l'on aura compris qu'il nous ouvre ici les arcanes d'une pensée véritablement sociologique.
- Notice:
- Bertin, George. "Cornélius Castoriadis, Le projet d'autonomie", Esprit critique, vol.04 no.05, Mai 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org