Pour l'Imaginaire, principes et méthodes
Par Georges Bertin
Gilbert Durand.
Né le 1er mai 1921, un jour de Beltaine, la fête du feu chez les celtes, fête de l'été et de la lumière, fête sacerdotale par excellence, Gilbert Durand, est incontestablement un des anthropologues les plus importants du 20ème siècle, un découvreur au sens premier, inventeur de voies d'autant plus nouvelles que paradoxalement elles sont plus anciennes, fondamentales, dans la mémoire de l'humanité.
C'est d'ailleurs sous le signe du paradoxe que son oeuvre est entièrement bâtie, oeuvre considérable où il porte à un degré systématique comme le faisaient remarquer Tacussel et Pelletier[1], une logique pluraliste du contradictoriel, et construit une sociologie de l'ambivalence. Il est en cela fidèle à son maître Gaston Bachelard qui écrivait que "les images les plus belles sont foyers d'ambivalence[2]."
Anthropologue, il l'est assurément, adonné depuis plus d'un demi siècle à étudier le comportement de l'homme (homo sapiens) en communauté. En scrutant les représentations que les hommes se sont forgés d'eux-mêmes en réponse à leurs désirs, il retrouve les figures de l'homme traditionnel - soit une conception unitaire du savoir s'opposant au dualisme, à l'intolérance de sociétés vouées, comme il l'a écrit, au culte hyperbolique de la mystification.
Il s'en expliquait au Colloque de Beaubourg en 1988: "L'imaginaire sous ses deux formes produit du langage et de la fantaisie, il est attaché au sapiens, à la configuration anatomo-physiologique de l'homme. Dans la chaîne des hominiens, il existe une différence soudaine, une usine de l'Imaginaire, la faculté de reproduction incontrôlée anatomo-physio-psychologique. Dans l'apparition des hominiens, on produit des images, tout de suite, les nôtres, les formes que nous utilisons. Les Dieux sont là, l'archétype est la forme la plus creuse, la plus vide, la plus manifestée de l'Imaginaire."[3]
De fait, l'entreprise de restauration de l'imaginaire qu'il partage avec d'autres (Eliade, Lupasco) est arrivée au moment où notre société s'est vue ébranlée à l'endroit même où elle semblait triompher: idéal économique, conception bourgeoise du bonheur, idéologie du progrès[4]. Pour lui, l'imagination est bien le propre de l'homme. Elle se manifeste le mieux, dans les Arts et les Dieux.
Dans son anthropologie de l'imaginaire énoncée dès 1969[5], oeuvre aussi importante de notre point de vue que celle d'un Freud ou d'un Lévi-Strauss, Gilbert Durand récuse les schémas linéaires culturalistes et positivistes ou psychologisant pour déceler, à travers les manifestations humaines de l'imagination, les constellations où viennent converger les images autour de noyaux organisateurs. Il jette ainsi les bases d'une archétypologie générale et d'une mise en perspective nouvelle et originale de la culture, éclairant d'un jour nouveau nos fonctionnements individuels et sociaux.
Dans ce sens, le minimum de convenance est exigé entre l'environnement culturel et la dominante réflexe qu'il emprunte à l'école de réflexologie de Léningrad. C'est ce qui fonde le trajet anthropologique du symbole "produit des impératifs bio-psychiques par les intimations du milieu"[6], trajet réversible, "le milieu étant révélateur de l'attitude" et "la pulsion individuelle a toujours un lit social" et "c'est bien en cette rencontre que se forment les complexes de culture que viennent relayer les complexes psycho-analytiques".
Avec les physiologues, observant que l'homo sapiens sapiens est placé dans une situation unique par rapport aux animaux du fait de l'usage de son gros cerveau, le néo-encéphale ou cerveau noétique, il en infère que le sapiens utilise constamment sa capacité à dépasser les simples liaisons symboliques de l'animal par la richesse spontanée des articulations symboliques complexes et que toute pensée du sapiens est re-présentation, la présentation d'une image symbolique étant toujours d'emblée entourée d'un cortège des possibilités d'articulation symbolique[7].
Cette rencontre des possibilités diversifiées de l'Imaginaire l'amène à rechercher à repérer "de vastes constellations d'images qui semblent structurées par des symboles convergents".
Gilbert Durand articule la tripartition réflexologique, (côté pulsion individuelle, imaginaire radical dirait Castoriadis) déclinée en posturale: redressement, phallique, digestive, orale, intime, rythmique, copulative et sociologique (diurne et nocturne). On voit déjà poindre ici l'absolue nécessité d'une transdisciplinarité, pour, au carrefour de ces régimes, mieux saisir la portée et l'amplitude des champs de l'imaginaire.
Les structures diurnes de l'imaginaire.
Cela l'amène à envisager trois régimes de l'imaginaire, véritables clefs de lecture du donné mondain à tous les niveaux: les structures diurnes de l'imaginaire, qu'il classe en symboles regroupés autour des visages du temps, systèmes d'images polarisés autour de l'antithèse Lumière / Ténèbres. Ils sont: thériomorphes, symboles animaux comme ceux qui fondent le totémisme, nyctomorphes, symbolisme temporel des ténèbres, catamorphes, symboles de la chute. Polarisés, autour des symboles: ascensionnels (la verticalité, l'aile, le chef), spectaculaires, (la lumière, l'oeil), diairétiques (ce qui tranche et purifie, les armes), ils expriment la fuite devant le Temps, la victoire sur la Mort.
Régime diurne et structures schizomorphes sont marqués par la géométrie, l'antithèse, l'historicité, le pragmatisme. Appartient à ce régime la science positive fondée sur le régime diurne de la conscience et la rationalité, elle même mode de la vie imaginaire, structure polarisante du champ des images, dominante certes, dans nos sociétés mais relative si on la met en perspective. Ils déterminent des attitudes sociales qui sont la perte de contact avec la réalité dans la faculté de recul, l'attitude abstractive, marque de l'homme réfléchissant en marge du monde, un souci obsessionnel de la distinction, ou "géométrisme morbide", l'exacerbation des dualismes.
Les structures mystiques de l'Imaginaire.
Elles appartiennent au régime nocturne des images et conjuguent volonté d'union et goût de l'intimité, inversion qui se déclinent en quatre schèmes:
redoublement, euphémisation: persévération > patho: épilepsie: persévération perceptive, soit;
Structures de l'emboîtement, ex. mer > poisson, avaleur > avalé, ex. Terre > caverne > maison > berceau> tombeau.
Confusion du contenant et du contenu, ex. refus de sortir des images familiales et douillettes.
Viscosité du thème, il est repérable dans l'emploi des verbes, lier, attacher, accoler etc.
Adhésivité. Sur le plan social, c'est un régime affectif, perceptif. Ex: Van Gogh a peint de multiples ponts qui ont toujours le même caractère. Son monde pictural: le règne du visqueux. On l'identifie encore comme une structure agglutinante, ayant pour vocation de lier, d'atténuer les différences.
Réalisme sensoriel. La vivacité des images détermine ce schème avec: un taux de réponses kinésiques élevé (couleur). Le fait de vivre dans le concret, ne pas s'en détacher, de sentir de très près les êtres et les choses. C'est la représentation du schème dynamique du geste chez Van Gogh, l'emploi du tourbillon, des couleurs, de l'exaspération chromatique. Une profondeur mystique: la substance du cri prométhéen.
Mise en miniature: gullivérisation. C'est le prix accordé à la minutie, au détail, lorsque la valeur est attribuée au dernier des éléments. C'est la petite étincelle qui donne son sens aux divers contenants et atteint les dimensions de l'Univers, le renversement complet des valeurs, où ce qui est inférieur prend la place du supérieur. Ex chez Van Gogh, les petits sujets: natures mortes, fleurs ou encore les jardins miniatures orientaux.
Ces quatre structures marquent la fidélité dans la persévération, avec l'emploi réitéré des schèmes de redoublement, d'emboîtement, la viscosité euphémisante, l'attachement à l'aspect concret. Elles se trouvent présentes en résumé dans le récit Lilliputien, et magnifiées dan les récits de la Quête du Graal mêlant images de fécondité, de nature et de contenant, à la fois chaudron d'abondance et de régénération des celtes et vase de communion mystique. Là, l'imagination est entraînée à la dramatisation cyclique.
Ces structures mystiques ou antiphrasiques développent des représentations homogénéisantes, les principes d'analogie, de similitude, une dominante digestive. Verbes: confondre, relier, attacher...
Les structures synthétiques de l'imaginaire.
Elles "intègrent en une suite continue toutes les autres intentions de l'imaginaire[8]". Ce sont les structures d'harmonisation des contraires, d'agencement convenable des différences et des contraires. Leur caractère est dialectique ou contrastant: il valorise les antithèses, la synthèse, laquelle n'est pas unification mais vise à la cohérence en sauvegardant les distinctions, les oppositions. C'est ce qui constitue l'ossature de la musique, du drame théâtral, de l'art roman et du cinéma. Un contraste qui n'est pas dichotomie mais veut maîtriser le temps entre deux personnages, l'un qui est désir de vie et l'autre entravant la quête du premier (destin).
Cette structure est historienne, son mode est le présent de narration et son contenu l'hypotypose du passé; la compréhension veut que les contradictoires soient pensés en même temps et sous le même rapport. C'est un effort synthétique pour maintenir en temps dans la conscience des termes antithétiques. Elle oscille entre dynamisation messianique et éternel retour.
Ce régime est encore orienté, comme synthèse, vers le futur. Le futur y est présentifié, l'avenir maîtrisé par l'imagination. Il s'agit d'accélérer le temps. C'est une structure progressiste ou complexe fondée sur le mythe de Jessé qui se réalise au 13ème siècle dans l'oeuvre de Joachim de Flore, moine calabrais, prédisant le règne de l'Esprit (temps des lys) après ceux du Père (temps des épines) et du Fils (temps des roses), un Troisième Âge privilégiant le présent sur la passé et surtout le futur paraclétique sur le présent. Ce mythe de Jessé est pour Durand l'origine de tous les mythes optimistes et progressistes de l'Occident, le tuteur de la pensée occidentale, exaltant un profil unidimensionnel et linéaire de l'histoire valorisant le fait positif. On peut en trouver la postérité dans les trois états d'Auguste Comte (ils devraient être cités puisque les 3 phases de Marx le sont), les trois phases de Marx: capitalisme - socialisme - communisme et jusqu'aux rêveries du Nouvel Âge établissant une coupure entre un passé périmé et les lendemains qui chantent[9]. Il ne cesse d'être actualisé.
La synthèse en effet, souligne (supprimer puisque le parti a été pris plus haut de ne donner que le nom) Durand ne se pense que relativement à un devenir dans la volonté d'accélérer le temps et de s'en rendre maître. Ainsi le mythe du Fils est toujours une traduction temporelle de la synthèse des contraires et lui sont isomorphes les cérémonies initiatiques, répétitions du drame temporel et sacré, du temps maîtrisé par le rythme de la répétition. L'initiation est là transmutation d'un destin. cf: l'exemple égyptien de la légende d'Osiris, à la base des initiations sacerdotales ou encore les rituels des sacrifices, instant dialectique ou le sacrifice devient bénéfique[10].
Le trajet anthropologique, des impératifs subjectifs aux intimations du milieu.
Les structures de l'Imaginaire ne sont pas figées, immuables, elles participent de notre expérience quotidienne, entre nos propres racines psychiques d'une part, les sociétés et leurs cultures de l'autre. D'où la nécessité de reconnaître un chemin, un trajet entre ce qui nous vient de notre profondeur bio-psychique (pulsions) et ce que nous devons sacrifier aux réalités sociales et naturelles (intimations).
Les conduites symboliques: éducatives, artistiques, les métiers et les moeurs s'établissant par assimilation de ces deux catégories d'impératifs qui se trouvent en quelque sorte jetées ensemble en tant que signifiants sociaux et culturels.
A l'une des extrémités de la chaîne symbolique, il convient de se tourner vers les psychologues pour mieux entrevoir notre profondeur.
Imaginaire radical (celui qui tient aux racines) ou Imaginaire et sujet, la perspective personnelle.
Sigmund Freud a le premier traité de l'imaginaire comme objet, pour lui essentiellement assimilable aux pulsions; il évolue ainsi de l'acceptation naïve d'une réalité prétendue de la séduction hystérique à une interprétation critique en tant que fantasme du désir. C'est l'hypothèse d'une dimension psychique inconsciente, soustraite à l'espace des manifestations conscientes qui fonde sa métapsychologie qu'il appelle encore psychologie des profondeurs. Dans la science des rêves, l'inconscient est circonscrit tel un système radicalement séparé par l'instance de la première censure du système préconscient, lui-même clivé du système conscient par la seconde censure.
Il rompt ainsi avec "huit siècles de refoulement et de coercition de l'imaginaire". C'est le grand mérite de Freud que d'avoir ainsi redonné droit de cité aux images. La pulsion détournée s'investit en effet chez Freud dans des images qui gardent la marque de l'évolution libidineuse de l'enfant "la pulsion s'aliène en se travestissant en images".
Le symbole est ainsi reconduit par Freud à la sexualité en dernier ressort, toutes les images, fantasmes, se réduisant à des symboles sexuels et l'image étant le miroir d'une sexualité mutilée[11]. Et Durand d'insister sur le caractère causal de l'imaginaire freudien, et son parti pris réducteur.
Jacques Lacan développera la théorie freudienne de l'imaginaire en l'enrichissant. Pour lui, l'imaginaire est une modalité qui sert à fonder le problème phallique. L'imaginaire objet a se caractérise par la béance originaire de l'individu et se développe en 3 stades définis par la théorie du miroir: miroir, interprétation du fantasme, topique borroméenne situant le réel dans le statut de l'impossible. Au stade du miroir, le sujet poussé vers l'insuffisance de l'anticipation, pris au leurre des identifications spatiales, machine les fantasmes qui se succèdent en passant d'une image morcelée du corps à une forme totale. On assiste au passage de l'imaginaire comme irréalité de l'objet à l'imaginaire comme représentant de l'incomplétude du sujet.
Chez Carl Gustav Jung, (1875 - 1961) dauphin de Freud, premier président de l'association psychanalytique internationale, ce qui apparaît dans la schizophrénie, ce n'est pas l'intensification de la sexualité, mais un monde imaginaire portant des traits archaïques évidents. Un système archaïque se substituant à un système vivant, la perte des dernières acquisitions de la fonction du réel, (ou adaptation) est compensée par un mode d'adaptation plus ancien.
C'est aussi vrai dans la névrose (réanimation progressive de l'imago parentale) où le produit de remplacement est une fantaisie de provenance et de portée individuelles, une altération de la réalité et non une perte de la fonction du réel.
"Les malades remplacent la réalité par des fantaisies analogues aux conceptions du passé mais qui ont eu jadis le sens d'une fonction du réel... Les vieilles superstitions étaient des symboles qui tentaient d'exprimer de façon adéquate l'inconnu du monde et de l'âme. La compréhension rend possible une préhension des choses, un concept, ce qui traduit une perte de possession."[12]
Jung est l'auteur de Métamorphoses et symboles de la libido en 1912, dans laquelle il définit la libido comme l'énergie vitale. Rompant avec Freud en 1913, il crée la psychologie analytique qu'il construit autour du concept d'inconscient collectif, lequel est: archaïque car primitif dans ses manifestations, collectif car conservant les caractères généraux de l'espèce.
Jung définit, en 1920, le contenu de cet inconscient collectif, soit les types psychologiques comme accumulation des expériences millénaires de l'humanité et les nomme archétypes, ou images primordiales, en trouvant les formes manifestées dans les rêves et les mythes. Sa thérapie consistera à aider ses patients à renouer avec ces racines de l'inconscient collectif. Il ne peut le faire sans s'aider de l'image, voie une et multiple par laquelle l'homme pénètre progressivement dans les cercles qui le mènent vers le centre de son être intérieur. Les archétypes, plutôt que des structures préformées, sont des dynamismes qui contiennent une charge émotionnelle énorme, dépassant l'homme (le numineux, expérience affective du sacré) et qui aimantent la vie de tout homme. Ils se manifestent dans la psyché mais aussi dans les situations de la vie.
Les plus puissants d'entre eux sont les parents, significations des archétypes invisibles, en fait pas des personnalités concrètes comme le pensait Freud mais des images puissantes.
Ainsi, l'animus et l'anima introduisent l'image du sexe opposé dans la psyché au fur et à mesure que l'homme se détache de ses parents; l'anima arrache l'homme à son univers rationnel, peu à peu l'harmonie émerge du chaos, et l'anima montre son visage d'initiatrice. C'est la femme que nous portons en nous alors que l'animus tient des jugements raisonnables, c'est un canon, un code de vérités banales, de raisons et de choses, le bon sens.
Dépassant ces formes et s'appuyant sur elles, l'homme en les reconnaissant s'individue, souvent au prix d'un voyage fertile en péripéties (on retrouve le thème de la Quête), accède au centre du Soi, et transforme son regard et son être.
René Barbier: l'approche transversale, l'écoute sensible en sciences humaines.[13]
Professeur des Universités, connu pour un livre qui, dès sa publication en 1977, faisait autorité: "La recherche action dans l'institution éducative", sociologue reconnu, René Barbier, a fait le choix de travailler en Sciences de l'Education, s'est tourné, depuis un quart de siècle, vers des modèles épistémologiques complexes, vers des positions carrefours. Il en assume et les ambiguïtés et les richesses et l'a manifesté notamment en créant le premier laboratoire de recherches sur l'Imaginaire en Sciences de l'Education (le CRISE).
Il a mis en place une posture méthodologique qui touche au statut scientifique de l'Imaginaire, défini à partir de trois pôles: imaginaire pulsionnel, imaginaire social et imaginaire sacral et propose ainsi une véritable théorie tridimensionnelle de l'Imaginaire, dans une confrontation des apports de la psychologie psychanalytique, des théories de l'analyse institutionnelle et des philosophies orientales, ceci le conduit à nous proposer des modèles opératoires en sciences humaines et particulièrement en éducation qui fonctionnent sur les paradigmes de la reliance et du métissage, seuls à même de prendre en compte les paradoxes de la confrontation entre réel et imaginaire. Nous ne sommes pas éloignés, dans cette perspective du trajet anthropologique cher à Gilbert Durand ni du nomadisme et de l'errance dans lesquels Michel Maffesoli voit des conduites les plus socialement partagées à l'époque post-moderne que nous vivons. Il s'agit véritablement d'une anthropo-logique, comme le souhaite également Georges Balandier, ce que Barbier nomme avec Jean-Louis Legrand une implexité, soit une confrontation armée entre les postures de l'implication et les données de la complexité.
Ancrée résolument dans un processus "aux frontières", la dynamique éducative et de recherche préconisée par Barbier va revêtir là deux formes majeures:
l'écoute mythopoïétique, dont il propose d'explorer les applications en psychothérapie, en ethnopsychanalyse, en Education, effort particulier pour lire les mythes et symboles comme producteurs de double sens dans les situations rencontrées;
la recherche-action existentielle, soit produire des connaissances et transformer la réalité, et Barbier insiste à juste titre sur la rigueur nécessaire et très actuelle d'une démarche dont quiconque a fréquenté un tant soit peu les milieux professionnels du travail social, de la culture, de la formation et de l'éducation, peut reconnaître l'utilité sociale. Durkheim ne disait-il pas lui-même que la sociologie ne vaudrait pas une heure de travail ni d'effort si elle ne trouvait pas cette utilité?
Ceci l'amène enfin à définir une exigence pour le chercheur en sciences humaines et sociales: celle de sensibilité. Non, et Barbier nous y conduit fort à propos, l'homme, les sociétés qui l'habitent ne sont pas des choses, pas plus que des machines à produire, par exemple, des images médiatiques, ils justifient, si l'on veut les comprendre et peut-être les aider, d'une approche différenciée, cette sensibilité que Barbier définit comme "une empathie généralisée à tout ce qui vit et à tout ce qui est"(p.289). Et l'auteur de rappeler justement "qu'il est temps de redonner vie au mot amour en sciences humaines (...) mais à condition de laisser interférer la sensibilité spirituelle des autres civilisations".
Ceci le conduit à reconsidérer les perspectives de l'interprétation elle-même, et, à l'inverse des idéologues, à prendre partie pour une recherche qu'il montre irréductible à des modèles car "tout ce qui peut se ramener au même à l'Invariant, à la Structure est illusoire"(p.295).
Dans cette perspective de reliance et de sensibilité accomplie, l'ouvrage se termine sur de magnifiques pages pleines de poésie et d'humanité dans lesquelles l'auteur nous fait partager son expérience de ce qu'il nomme "une infinie tendresse" appliquée ici à l'écoute des vivants en fin de vie.
Pour aller dans quelle direction? assurément celle d'un ailleurs, celui de la post-modernité alors même que les milieux catholiques avaient, à travers la pratique de l'hagiographie, opté pour une vision trinitaire de la divinité.
Comment? En mettant en oeuvre une Université pour la pluridisciplinarité, soit tendre à l'éclatement des disciplines, contre la surspécialisation (le "bocalisme" universitaire) qui ne pouvait produire que des effets paranoïaques alors même que les milieux des sciences dures tendaient à la perversion totale du temps newtonien.
Contre le rationalisme classique, le monothéisme de la Méthode, sa destruction par d'autres paradigmes, soit une théorie et un ensemble de méthodes qui englobent le rationalisme pour promouvoir un hyper rationalisme et font advenir le sujet.
Imaginaire social.
"Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants", écrivait au 12ème siècle Bernard de Chartres, se référant aux antiques; à considérer, par exemple un parcours éducatif, nous en prenons une conscience encore plus avivée plus que ces épaules que nous ont prêtées nos maîtres, à diverses époques, sont à chaque fois, pour nous, l'occasion d'élargir le champ de nos perceptions et de nos interrogations, parfois même de nous risquer à certaines transgressions, dans l'ordre précisément du symbolique.
La question de l'Imaginaire est encore aujourd'hui, dans le microcosme universitaire, une de ces transgressions majeures à laquelle peu d'entre les enseignants et chercheurs ont eu le courage de se livrer. Elle cadre mal avec les catégories de la Modernité qui, le notait Balandier, "semble l'avoir aboli et même en bouleverse les paysages", elle reste rappelons-nous, pour nombre d'entre eux "la maîtresse d'erreur et de fausseté" (Descartes), "la folle du logis" (Pascal).
Et pourtant, un marxiste positiviste aussi peu suspect de sympathie pour l'irrationnel que Régis Debray n'écrivait-il pas, en 1954, dans Libération: "nos circonscriptions flottent, l'appétence à l'inscription grandit. Il y a un rapport nécessaire entre l'effacement des méridiens et la remontée des mythes d'origine".
L'un comme l'autre, observons-le au passage, placent délibérément la question des rapports entre "Imaginaire et Modernité" ou entre "Mythe et Science" sur un plan spatial. Cette question d'un cadastrage du réel, des topologies ou des topos de l'Imaginaire, nous amène à la nécessité de réviser nos catégories de l'inscription et sont au coeur de la problématique éducative et culturelle justement parce que nous sommes dans une situation où les repères s'effacent, où les paradigmes scientifiques évoluent d'un Imaginaire aménageur instrumentalisé au profit d'une remontée en force des catégories de la Temporalité. Entre ces deux lignes de force, la question de l'imaginaire nous en fournit un lieu d'intégration possible.
Pour le dire autrement, avec Herbert Marcuse, science et technoscience ayant remis en question l'idée radicale de l'Humanisme, par l'exclusion d'une autre alternative, celle du travail, n'ont-elles pas contribué à fermer le social? et, ayant dépassé la fausse conscience du Progrès et de la Modernité, notre capacité à imaginer, à mythifier et à mythologiser, l'une et l'autre de ces catégories "comme idéologies" (Habermass) ne restituent-elles pas la possibilité de restaurer un autre humanisme?
Cornélius Castoriadis[14] distingue ainsi imaginaire radical (ce qui dans la psyché sôma tient aux racines) et Imaginaire social (essentiellement créateur) lequel produit le neuf dans les sociétés par production incessante de significations imaginaires sociales, qui instituent en interrogeant le social de façon incessante et sont produites par le magma, ou noyau de significations.
C'est dans la réflexion sur la crise actuelle de l'imaginaire et de l'imagination dans les sociétés actuelles que s'origine la démarche de Castoriadis (cf Les figures du pensable) et sa méditation sur la démocratie. Il est proche des analyses de Michel Maffesoli quand il interroge chez l'Homme le sens de la tragédie et son autolimitation.
Mais, prévient-il, l'excès (l'hubris) est toujours possible - et l'on reconnaît là la figure de l'ombre de Dionysos - lequel provient du sans-fond de l'être, l'abîme qui est derrière tout existant mais qui est aussi cosmos, création de formes.
Ceci amène Castoriadis à interroger les liens du social avec l'imagination radicale - soit la psyché en tant que chaos qui crée un cosmos ou vis formandi car "la forme, nous enseigne Michel Maffesoli, nous incite à penser à partir du paroxysme et de l'excès" et cet auteur d'interroger la raison sensible comme dynamisme et comme flux, qu'il nomme ratio-vitalisme enthousiaste, lequel met en oeuvre "une force instituante dont on peut souligner le caractère démoniaque" (Eloge, p. 67).
Evoquant ce trait humain qui fait que l'homme remplace le plaisir d'organe par celui de la représentation en fournissant à la psyché (plurielle chez Gilbert Durand) - c'est le rôle des symboles et des mythes - une autre source de sens: la signification imaginaire sociale, telle l'institution, laquelle socialise le sens en fournissant aux individus en société cette source de création au niveau collectif et réel qui s'origine dans la psyché. La démarche de Gilbert Durand originant ses travaux sur l'Imaginaire dans la psychologie des réflexes de l'école de Leningrad procède de ce même ...
Méthode et spécificité de cette approche: un travail transdisciplinaire.
Cet effort de travail repose sur plusieurs champs d'application et théories comme "machines à produire du sens" (Barbier). Il nous a ainsi conduit à travailler par aires culturelles, à en reconnaître les singularités, puis non pas tant à produire des classements, même si le travail sociologique nous conduit inévitablement à dresser des typologies, qu'à examiner les conditions de production des récits littéraires ou sociaux, leurs véhicules, et celles de leur réception, dans une perspective interactive et systémique.
Et nous avons reconnu là, la nécessité d'une approche transversale, laquelle s'éloigne de plus en plus de la juxtaposition des disciplines sollicitées, l'implication nous y obligeant, pour saisir l'effervescence du vivant, sauf à confondre réel et imaginaire.
Le chercheur, comme intellectuel, doit dire son temps à sa manière, pour donner à penser et non déterminer théoriquement ce qui doit être, et nous prenons partie résolument contre ce que Jacques Ardoino dénonçait comme le fantasme de l'ingénieur/prince lequel tend à produire des sociétés de la transparence, fondée sur le fantasme de sociétés inertes et unifiées. Fantasme qui habite toujours nos modernes CNU et autres officines du savoir officiel.
C'est peut-être un des avantages et la chance épistémologique du praticien chercheur en Sciences de l'éducation que de pouvoir enseigner ce qui est dans le temps. Comme praticien, nous avons ainsi appris que la vie en société se constitue dans le champ du symbolique, (la qualité de l'être-ensemble est à ce prix). La découverte des problématiques de l'imaginaire conduit à notre sens le chercheur praticien à interroger divers courants théoriques, partant de l'imaginaire:
d'abord groupal (psychosociologie) quand l'imaginaire des groupes travaille en creux les représentations et l'interaction des équipes de travail ou d'apprenants, les cultures populaires ou savantes, la littérature comme porteuses de savoirs sociaux, l'écoute mythopoïétique, et encore le Surréalisme, le Collège de Sociologie et Georges Bataille, l'histoire des religions, la mythologie...
Entre ces approches, dans la confrontation au terrain, un lien se forme vite, facteur d'agrégation, porté par le mythe qui produit de la cristallisation (Breton), puisqu'il est à la fois du rêve et de la vie. En ce sens, les situations du quotidien donnent à voir ce qui les dépasse, "au creux des apparences" pour reprendre la belle image de Michel Maffesoli.
Puis proprement social: l'école de l'Analyse institutionnelle nous sensibilise à la question du collectif, de son action, des dynamismes à l'oeuvre, des dialectiques (entre instituant et institué, subjectif et objectif, rationnel et irrationnel). Et nous savons que le rationnel engendre toujours sa zone d'ombre, produit de la dérivation, engendre du symbolisme, au prix de cette dialogique, il débouche sur la reconnaissance du politique, de l'institutionnel, quand l'inconscient social c'est l'institution comme réseau croisé de significations.
La reconnaissance du pluriel induit notre position, aux confins de l'éducatif, du culturel et du développement social, elle nous amène aujourd'hui à revenir au religieux, non pas dans une démarche de foi ou de croyance, ce qui n'est pas le problème ici, mais parce que nous discernons dans l'ensemble du corps social, une atmosphère de sacré flottant.
Le sacré.
Pour nombre de nos contemporains, le sacré, devenu sans doute moins transcendant que médiant (c'était le projet gnostique), se vit au pluriel, (cf le New Âge) par bricolage fait d'adhésions individuelles, d'assemblages empruntant leurs éléments à diverses aires culturelles. Tout se passe comme si les gens avaient compris que la culture universelle, qui naît sous nos yeux, sera faite à la fois de refus de positions dogmatiques, dont on a vu à qui elles profitaient et de recours à un sacré horizontal, manière congruente de répondre aux questions de l'environnement et d'agir sur lui. Après les événements du 11 septembre 2001 où le discours de God Bless America répondait aux injonctions meurtrières des Fous d'Allah, nul ne saurait en effet sérieusement prétendre que le sacré n'a rien à voir avec nos sociétés contemporaines. C'est un raccourci périlleux en termes d'argumentaires...
Celles-ci font encore l'expérience de l'organique, et ceci constitue sans doute une culture dans la mesure où l'individu ne peut être compris que dans la reliance à son environnement. Jung comme Durkheim l'avaient vu: ce qui crée la cohésion des groupes sociaux, ce sont les formes spirituelles ou les comportements archétypiques. Ce qui est unifié chez l'homme, ce sont ses contenus psychiques, et l'unité profonde des êtres humains réside sans doute dans cette expérience du sacré, expérience du tout autre, à la fois fascinante, attirante et repoussante. Expérience, au fond, poétique, car les procédés logiques, écrivait Breton, ne s'appliquent qu'à la résolution de problèmes d'intérêt secondaire et l'attitude réaliste n'était faite, pour lui, que de plate suffisance. Il la voyait même hostile à tout essor intellectuel et moral.
Sur les chemins de l'Imaginaire, à la découverte d'images d'autant plus fortes qu'elles procèdent de la rencontre de réalités plus éloignées, on ne peut faire l'économie de l'approche du sacré. C'était d'ailleurs le projet du Collège de Sociologie que cette étude de toutes les manifestations où se fait jour la présence active du sacré, (ce qui nous distingue de l'école plus classique et classificatoire de sociologie des religions) car, le sacré c'est "Ce qui donne la vie et ce qui la ravit" (Caillois). Il se situe "entre puissance et parole" (Ricoeur), il est au fondement des religions, materia prima commune, chose éminemment collective comme disait Durkheim, expérience des sentiments sociaux et pour Mauss, créateur d'une énergie spécifique, d'une force sociale.
Le complexe.
Ici, les travaux d'Edgar Morin sur le complexe, nous sont utiles sur un plan morphologique, comme méthode d'exposition lorsqu'il s'agit de décrire les situations rencontrées, et la culture comme système dialectisant une expérience vécue et un savoir constitué via les médiateurs que sont codes et patterns. Il laisse en friche ce qu'il appelle une zone obscure anthropo-cosmique à laquelle nous avons affaire en travaillant sur le mythe et le symbole.
D'où le recours aux catégories de l'anthropologie "symbologique" et à celles de l'Analyse institutionnelle, constituant ainsi avec un système interprétatif à trois étages: synchronique avec Morin, dialectique avec l'analyse institutionnelle, culturel avec Gilbert Durand et l'école de l'anthropologie de l'Imaginaire, quand nous mettons le cap sur la Culture comme modèle social, comme modèle heuristique de la recherche, comme modèle sociétal avec le retour des communautés.
L'Imaginaire comme méthode.
La profondeur mythique chez Gilbert Durand est ainsi à la fois refoulement et actualisation, amalgame de contradictions.
L'Imaginaire social ou institution première de la société est le fait "que la société se crée elle-même comme société" et cette institution première s'articule et s'instrumente dans des institutions secondes dont certaines sont trans-historiques - les mythes en font partie.
Pour Durand, le social et le mythique comme langage de celui-ci décrivent cette dialectique entre imaginaire radical et social dans la définition qu'il donne du contrat social comme amalgame de contradictions. Chez lui, cette articulation se joue entre trois étages: le moi social (drama) qui intéresse la persona et l'agit, (le teukhein de Castoriadis); le conscient social (logos) qui le met en représentation, énoncés codificateurs et langages techniques, (le legein teukhein de Castoriadis); le pré sémiotique (mythos), grandes images et grandes questions ou thesaurus de la mémoire de l'espèce, qui forment l'inconscient social.
Et Michel Maffesoli d'opposer: le dramatique, lié au progrés linéaire, à l'historicité et à la modernité, au tragique dont il décrit le retour dans sa double dimension sacrificielle, chaotique orgiastique, violente, et comme sentiment paroxystique à notre époque du destin en tentant de suspendre le temps.
Structures anthropologiques et jeu des correspondances: cnvertir l'obstacle en objet d'analyse.
Le mythe écrit le récit des grandes images par assemblage accordé aux conditions de leur émergence dans des contextes spatio-temporels. Ces correspondances mythémiques co-existent en fait dès que l'on dépasse une analyse monopolaire, le mythe est en effet toujours support à la fois d'antagonisme et de dynamique contradictoire.
Le psychologue Yves Durand a ainsi montré que l'on pouvait y lire, par exemple une polarité héroïque actualisée et une polarité mystique potentialisée, ce que nous avons bien discerné dans les images du mythe de Pentecôte[15], en même temps orientées vers le Zénith (attente de l'esprit oiseau) et lié, dans ses manifestations, aux catyclysmos grec, aux cultes de fécondité et aux sources et fontaines.
Dans tout mythe, co-existent deux polarités en infra et en supra (ex: dans les romans médiévaux, Lancelot est le lancier, son archétype est la lance mais son enfance en fait un ondin, voué au régime nocturne du palais subaquatique de la Dame du lac).
Le rapport homogénéité/hétérogénéité est ainsi vécu sur un mode antagoniste et euphémisant, en fait s'adapte en circonstances.
Ceci s'applique aux sociétés et Gilbert Durand a montré comment les grandes périodes, vouées au mythe du progrès, voyaient fleurir en arrière plan, son contraire.
Ainsi, le mythe du patrimoine est, sous la cinquième République, attaché à la Nation conquérante en même temps que se préparent dans l'ombre les mythes du retour à la nature maternante et communautaire selon que passions et préjugés idéologiques ou individuels orientent et déforment la représentation que les gens se font du social.
Forme et histoire, du morphologique au dynamique.
Les mythes constituent en effet des formes sociales, des totalités exprimées en leur parties et nous avons repéré que ces formes expriment, mettent en représentation le rapport que nous entretenons au temps. Chaque époque incarne les principes de son fonctionnement social dans ses mythes, ce qui intéresse bien entendu la sociologie du développement, la santé, les politiques, etc.
Ainsi, Lucien Sfez après avoir décrit les sociétés post 68 comme obsédées par le mythe de la communication en voit aujourd'hui surgir un autre, celui de la Grande Santé.
Ces grands courants entraînent les hommes et se révèlent à nous, comme l'a établi Pareto, par les conceptions et les opinions qui dominent à une époque donnée, par l'état d'esprit et les actions de ces hommes.
Ils se succèdent selon des cycles ou lois générales qui en gouvernent les rythmes et tous les phénomènes sociaux y sont soumis, selon une courbe diluée avec les retards.
Gérard Mendel et David Riesman ont distingué les sociétés:
d'avant l'histoire - magie, mystique (système trifonctionnel - Merlin ou Oedipe);
de l'histoire - rationalité (progrès, hiérarchisation des tâches et des classes fondées sur l'individu: le monarque). Thanatos gouverne les sociétés du progrès linéaire fondées sur des solidarités mécaniques;
de renversement des alliances (la tribu, le clan, la communauté), Eros, Dionysos et Nouvelle Alliance.
Ces trois postures chargées de leurs propres mythes définissent un triple rapport au temps, à la fois immobile et cyclique pour les sociétés de la Tradition, linéaire et progressiste pour les sociétés modernes et spiralique et récurrent dans "l'instant éternel" pour les nôtres.
Puissance des mythes sociaux et leur dérivation.
"Si on veut connaître le fonctionnement des sociétés, écrit Bernard Valade, il faut analyser les mythes sociaux", il rappelle que Pareto étudiant, dans Mythes et idéologies de la politique, la succession des élites a considéré le Jacobinisme comme nouvelle religion politique et pour Michel Maffesoli, les figures mythologiques sont liées à un territoire, à un lieu, sont des idées localisées.
C'est ainsi qu'une méthodologie inspirée par l'anthropologie de l'Imaginaire aura à coeur, à partir des localisations que nous repérons, d'identifier des figures mythiques dans les champs du quotidien, de la santé, du sacré, etc.
Bruno Duborgel[16], ainsi, à travers le conte, l'écriture enfantine, la pédagogie de l'imagination plastique, explore les voies d'une pédagogie de l'Imaginaire débouchant sur une éducation de l'Imagination - condition, pour lui à l'instauration d'un Nouvel Esprit pédagogique visant à la restauration de l'homo symbolicus trop négligé par nos pédagogies technicistes et consuméristes.
C'est bien, comme Gilbert Durand l'a souligné, à partir de réceptions historiques et géographiques, (le fait minuscule maffesolien) remplies à plein bord, gorgées de polysémie, que l'on peut remonter aux sources schématiques du fonctionnement cognitif, et accomplir la reconnaissance du processus de symbolisation.
"L'enracinement écrivait-il est bouture, ou semis de quelque chose qui le nourrit, l'exalte, il est nécessaire".
Nous avons nous même, depuis trente ans, mis en oeuvre cette méthode aux divers champs d'enquête de terrain qui étaient les nôtres et dont rendent compte ouvrages, articles et colloques:
- St Fraimbault Lancelot du lac figure du médiateur,
- Le paradis perdu (les Marches) et le Nouvel Age,
- La quête du Graal et les figures du désir,
- La Fêtes, telle la Pentecôte et les groupes de transe,
- Le Patrimoine les figures du temps,
- La culture celtique et les druides maîtres du temps,
- Les Apparitions comme ré émergence du sacré sauvage, manque ou creux d'un Monde désenchanté,
- Le localisme et les figures du développement local.
Ces images sociales, fondement de notre être-ensemble, formes informantes, nous renvoient à des réalités spirituelles dont les autres sont dérivées. Elles intègrent en même temps qu'elles disent la force de la puissance populaire, dans son étrangeté fondatrice. Le sentiment vitaliste, écrit Maffesoli, est "conjonction de la joie du monde et monde de la joie".
Le propos d'une éducation à l'imaginaire sera dès lors de mettre l'accent sur les significations imaginaires sociales. Le mythe y est passeur de sens, il garantit notre relation à l'arkhé et force productrice de sens tant l'Imaginaire social s'étaye sur le donné naturel qui s'offre à lui et en même temps force de décentrement, expression de cultures minoritaires étouffées, dans les pratiques culturelles des bocages aux pélerins des sites d'apparitions, en passant, comme le suggère Jacques Ardoino, "du continu au discret".
Au fond, on peut se demander si les situations que nous étudions: fêtes, processions, groupes pentecostaux, pèlerinages aux lieux d'apparitions, engouement populaire pour le Patrimoine ou les romans de la quête, mise en oeuvre des politiques du développement local n'accomplissent pas dans le social ce que Jacques Ardoino avait repéré dans sa pratique du psychodrame. Comme le psychodrame, elles rendent possibles, pour nos publics, la situation de passage à l'acte, en jouant sur la scène sociale (un film en cours le montrera pour les apparitions) l'expérience vécue et des déterminismes sociaux et de la liberté, de la duplicité dirait Maffesoli qui se joue sur ces théâtres bien réels.
Les espaces du localisme sont à interroger en dehors des cadres rationnels où nos modernes technocrates voudraient bien les enfermer, non seulement dans l'ordre de l'adaptation à la règle instituée, mais encore comme lieux de rencontre avec l'imaginaire, en fait entre le vertical des politiques et l'horizontal des expériences vécues.
Ils sont bien le cadre et le chemin obligé de situations initiatiques, chaudes, actualisant dans le jeu, simulation et fiction renforcée par les grandes images qui s'y déploient. Quand la réalité est décevante, on feint, on simule, nous apprend encore Ardoino, on élargit le champ, on fait appel aux dieux dans des figures socialement acceptables, comme le psychodramatiste convoque sur la scène des persona qui sont d'autres lui-même.
Sur nos scènes du social, véritables miroirs plans (Durand), les oeuvres produites mirent le cosmos et le cosmos reflète désirs et passions des groupes humains, assure le renouvellement de l'inspiration qui préside à la régénérescence de nos sociétés. Les situations que nous étudions n'ont pas d'autre but socialement affirmé et le temps vécu prend ici toute sa valeur tragique dans l'activation de la dialectique sacré/profane.
En 1979, le Colloque de Cordoue proposait une autre lecture de l'Univers. Partant du constat que les sciences qui fabriquent la technologie n'utilisent pas les logiques du rationalisme classique, il s'agissait d'imposer un front anthropologique contre le racisme épistémologique et les formes qu'il revêt. Cette émergence de la méthode anthropologique peut se définir essentiellement par la faculté qui nous est désormais donnée de regarder ailleurs; en ce sens, nous sommes tous des comparatistes.
Opter pour une méthodologie de l'Imaginaire, c'est en assumant ces constats, ce n'est pas tant appliquer des concepts que repérer dans l'effervescence du vivant ce qui ressortit des imaginaires là où ils se manifestent, quand la cheminée obstruée du volcan social cède sous la poussée de l'instituant des significations, et en même temps assumer des permanences (mythes, structures), qui font du fleuve jamais asséché des symboles des structures s'organisant en récit.
Car c'est bien le but avoué de toute anthropologie culturelle ou sociale que de scruter les représentations que les hommes se sont forgées d'eux-mêmes en réponse à leur désir de paraître. Parmi celles-ci, nos méthodes, à la recherche de l'homme traditionnel, ne sont certes pas régressives mais visent à restaurer une conception du savoir qui donne la primauté à l'humain.
La méthode herméneutique aura donc à résoudre ce paradoxe qui tend, par la reconnaissance des images médiatrices, à concilier pluralité et validité pour atteindre la complexité.
- Notes:
- 1.- In La Galaxie de l'Imaginaire, Berg, 1980, p.22.
- 2.- in Terre et volonté. p 10
- 3.- notes de G Bertin.
- 4.- Ibidem,
- 5.- Les structures anthropologiques de l'Imaginaire.
- 6.- Ibidem p.39
- 7.- Durand Gilbert, Champs de l'imaginaire, Grenoble, Ellug, 1996 , p.220
- 8.- Les structures p. 399.
- 9.- Durand G. Beaux Arts et Archètypes, Paris, PUF, 1989, p 11-12.
- 10.- Durand G. Les structures... op. cit.. p.353 sq
- 11.- Durand G. L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, p.45 sq.
- 12.- Jung CG, L'âme et ses symboles, Georg et Cie, p. 248.
- 13.- Barbier René, Editions Anthropos. Paris. 1997. 357 p.
- 14.- L'institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, 1975.
- 15.- Bertin G (dir) Pentecôte, de l'intime au social, Laval, Siloë, 1998
- 16.- Duborgel Bruno, Imaginaire et Pédagogie, Toulouse, Privat, 1992.
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- Notice:
- Bertin, Georges. "Pour l'Imaginaire, principes et méthodes", Esprit critique, vol.04 no.02, Février 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
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