Résumé
Ce texte tente d'explorer les possibilités d'application de la théorie de l'anthropologue John Ogbu à la situation jeunes d'origine maghrébine en France. Présentée souvent comme un moyen d'intégration efficace, l'école républicaine n'est pas isolée des idées qui travaillent l'opinion publique française à propos de l'immigration maghrébine. Nourries par l'héritage colonial et post-colonial, les exclusions qui se développent à l'école et en dehors de cette institution poussent les jeunes d'origine maghrébine sur le chemin d'une marginalisation sociale durable. Sans des signaux clairs leur accordant une place légitime au sein de la société française, ces jeunes risquent d'exprimer des identités oppositionnelles.
Introduction: Un aperçu sur la théorie de Ogbu
Le phénomène de l'insertion des jeunes d'origine maghrébine en France pose aujourd'hui aux chercheurs et aux décideurs un sérieux problème d'élaboration conceptuelle. D'un côté, de multiples recherches tentent de montrer qu'à l'instar d'autres vagues d'émigration plus anciennes, les jeunes d'origine maghrébine se comportent à l'école et en dehors conformément à leur statut social. La fonction intégrative de l'école républicaine se trouve ainsi fortement légitimée. D'un autre côté, d'autres études, moins nombreuses il est vrai, insistent sur l'émergence de ghettos scolaires et sociaux dans des banlieues françaises devenues incontrôlables. L'ethnicisation des rapports sociaux semble inéluctable avec une augmentation des conflits ethniques, de l'exclusion sociale et du racisme.
Dans ce texte, nous tenterons d'évaluer les possibilités d'appliquer la théorie de John Ogbu aux jeunes d'origine maghrébine[1] en France. Anthropologue d'origine nigériane, Ogbu a élaboré une théorie explicative du comportement scolaire des jeunes appartenant à des minorités culturelles. En s'appuyant sur de multiples recherches (Ogbu,1982; 1987; 1992; 1994; Ogbu & Simons, 1998), cet auteur a montré que le traitement des minorités dans la société globale se reflète automatiquement dans leur traitement dans le système éducatif. Il distingue, pour étayer son argumentation, entre les sociétés issues d'un processus de "peuplement" [Settler society] et les sociétés issues d'un processus de "colonisation". Les minorités ethniques sont considérées comme volontaires dans les premières et involontaires dans les secondes.
Pour bien saisir la théorie développée par Ogbu (1999), il est nécessaire de clarifier deux notions importantes: le statut de minorité [Minority status] et l'identité collective. Les minorités volontaires sont venues plus ou moins volontairement s'installer aux USA à la recherche de meilleures conditions de vie (meilleures positions professionnelles, plus de liberté politique ou religieuse). Ces minorités peuvent être diverses au niveau de leur ethnicité, religion ou langue. Mais, ce qui est important dans leur cas, c'est d'une part qu'elles ont choisi de venir aux USA à la recherche d'une situation meilleure et que d'autre part, elles n'interprètent pas leur présence dans le pays comme étant imposée par le gouvernement américain ou par les Américains blancs. Les minorités volontaires incluent aux USA des émigrés originaires d'Afrique, de la Chine, du Japon, de la Corée, des Caraïbes, du Mexique, de l'Amérique centrale et du Sud.
Les minorités involontaires [Nonimmigrant] ont été intégrées aux USA d'une manière permanente contre leur volonté à travers la conquête, la colonisation ou l'esclavagisme. Elles se caractérisent d'un côté, par le fait qu'elles n'ont pas choisi mais ont été forcées de faire partie des USA et d'un autre côté, elles interprètent leur présence dans le pays comme forcée par les Américains blancs. Les minorités involontaires se recrutent parmi divers groupes ethniques et linguistiques. Elles comportent aux USA, les amérindiens qui sont les propriétaires originels de la terre, les mexicains et les portoricains dont les territoires ont été annexés par les USA et les noirs africains amenés comme esclaves (Ogbu, 1999).
L'identité collective dans la théorie de Ogbu renvoie à la perception qu'une minorité possède de son identité (qui sommes-nous?), autrement dit son sentiment d'appartenance [belongingness, we-feeling]. Les membres d'un groupe minoritaire construisent leur identité collective à partir de leur expérience historique collective. Cette identité collective est différente ou oppositionnelle par rapport à l'identité collective des américains blancs. Cela dépend de la nature des termes d'insertion dans la société dominante. Les minorités volontaires qui ont amené avec eux un sens préalable d'identité à leur arrivée initiale aux USA ont une identité collective différente de celles des euroaméricains. Les minorités involontaires ont construit une identité collective oppositionnelle suite à leur intégration forcée et leur mauvais traitement par les Américains blancs.
La distinction entre minorités volontaires et involontaires de Ogbu a été critiquée à cause de sa rigidité. Gibson a par exemple montré que les émigrés du Pendjab aux USA se comportent à l'école comme les minorités volontaires tout en gardant à domicile une identité oppositionnelle similaire à celle des groupes involontaires (Gibson, 1987).
La question centrale pour Ogbu est toujours de préciser la manière dont le groupe a acquis son statut de minoritaire et le traitement consécutif à cette acquisition. Les adaptations socioculturelles effectuées par différentes communautés ethniques dépendent de l'histoire de chaque communauté. Ainsi, chaque minorité ethnique élabore des solutions collectives à des problèmes collectifs. Ces solutions sont influencées par une série de croyances à propos de l'école et de la place de la minorité culturelle dans la société. Ces convictions collectives sont résumées dans le tableau I.
Tableau I - Modèle J. Ogbu
(a) Croyances instrumentales |
(b) Croyances relationnelles |
(c) Croyances symboliques |
- théories implicites [folk théories] à propos de la réussite scolaire,
- croyances sur l'existence d'autres moyens possibles pour progresser socialement et économiquement (aller de l'avant, s'en sortir) qui ne requièrent pas beaucoup d'éducation,
- modèles de personnes auxquelles les jeunes veulent s'identifier et rôle de l'école dans la structuration des identités culturelles.
|
- combat collectif pour l'égalité des droits dans différents domaines: éducation, économie, politique...
- degrés de confiance [trust]/défiance dans les autorités scolaires,
- croyances dans le rôle de l'école dans la subordination et le contrôle du groupe ethnique.
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- caractéristiques culturelles et linguistiques du groupe ethnique et comportement à l'école,
- position par rapport au curriculum scolaire (présente t-il une menace pour l'identité culturelle et linguistique du groupe?),
- identités collectives du groupe et comportement à l'école,
- traitement des membres du groupe qui se conforment scrupuleusement à l'exigence de l'école (en particulier ceux qui sont en réussite scolaire)
|
Dans le modèle de Ogbu, même s'il existe un petit groupe d'individus qui
réussit, les jeunes appartenant à des groupes involontaires se comportent globalement d'une manière oppositionnelle à l'école. La réussite scolaire est considérée comme une négation de l'identité culturelle du groupe qui met en oeuvre une véritable stratégie de l'échec. En d'autres mots, l'échec scolaire des élèves appartenant à certaines minorités culturelles serait donc le résultat d'une véritable stratégie et non pas le fruit de déficiences génétiques, linguistiques ou culturelles.
En raison du taux de chômage élevé chez les jeunes afro-américains et des pratiques discriminatoires en matière d'embauche, le pessimisme des jeunes à propos des futures opportunités professionnelles que leur formation peut ouvrir peut être qualifié de réaliste (Fordham & Ogbu, 1986). En accordant peu d'importance à la réussite scolaire, les jeunes afro-américains anticipent leur position sociale inférieure aux USA.
L'application de la théorie Ogbu sur l'immigration maghrébine en France nous semble pertinente. L'arrivée des premiers travailleurs immigrés s'est déroulée dans un contexte colonial et post-colonial. La volonté de ces premiers travailleurs maghrébins de venir travailler en France est discutable. En effet, ils ont été recrutés sur place (dans les villages) par un effort combiné des pays de départ et de la France. Tout en étant le lieu de passage et de sédentarisation de nombreuses civilisations, l'Afrique du nord n'a pas connu jusqu'à l'époque contemporaine de migrations significatives de sa population locale. Le terme même de "migration" a une connotation négative au niveau linguistique. Emigrer, c'est devenir en quelques sorte étrange [Gharib]. La migration vers la France était d'ailleurs perçue comme essentiellement provisoire. Pour les jeunes de la deuxième génération, l'impossibilité d'une perspective de retour, l'action éducative et culturelle des institutions françaises et les discriminations multiples leur laissent peu de choix. Leur volonté de demeurer en France découle de l'absence d'une autre alternative plausible.
Tout en soulignant la spécificité du contexte américain, il nous semble pertinent d'appliquer un certain nombre d'éléments définis dans le cadre de la théorie de Ogbu aux jeunes d'origine maghrébine vivant actuellement en France.
Histoire de l'acquisition du statut de minorité par les Maghrébins
L'acquisition du statut de minoritaire par les Nord-africains en France est intimement liée à l'histoire coloniale. Les premiers travailleurs algériens sont arrivés à Marseille juste avant la première Guerre mondiale pour remplacer les ouvriers grévistes dans les usines d'huile et de savon.
Armée de son héritage jacobin et républicain, la France a tenté d'intégrer diverses populations par leur assimilation dans son vaste empire colonial. C'est avec l'Algérie que ce système a été le plus intensif puisque les Algériens étaient théoriquement français jusqu'en 1962. Cette idée avait d'ailleurs séduit un certain nombre d'algériens notamment ceux qui s'étaient engagés à côté de la France durant la deuxième Guerre mondiale. Toutefois, une fois la Guerre terminée, les Algériens se rendaient bien compte qu'ils étaient des citoyens de seconde zone en France mais également dans leur propre pays.
Fanon (1971) fut l'un des meilleures analystes des relations entre colonisés et colonisateurs. Bien plus qu'une invasion territoriale et militaire, la colonisation s'accompagne d'une hégémonie culturelle totale. Malgré, les incantations récurrentes sur l'héritage démocratique de la révolution française, la colonisation n'a été pour les indigènes qu'un déni de démocratie, voire d'humanité. Malgré la force de la répression coloniale, la mobilisation politique et ethnoculturelle des peuples du Maghreb a irrémédiablement débouché sur un processus de libération nationale. Un des événements le plus significatif à ce propos a eu lieu en France le 17 octobre 1961. Pour protester contre un couvre-feu qui était imposé aux seuls Nord-Africains (sur la base de leur apparence physique!), des milliers de personnes ont manifesté à l'appel du front de libération national algérien (FLN). Un déchaînement de violence policière, sans équivalent dans l'histoire contemporaine des manifestations de rue a abouti à un massacre dont on ignore toujours le nombre exact de victimes et dont les coupables n'ont jamais été inquiétés (Liauzu, 1999).
L'indépendance des pays d'Afrique du Nord a marqué pour les Maghrébins (surtout pour les Algériens) un changement de statut juridique. D'une population d'indigènes colonisés ou de Français musulmans travaillant en France (comme une sorte de continuation civile des combattants recrutés dans les colonies pour servir l'économie de la métropole), la population originaire d'Afrique du Nord deviendra population étrangère, puis sera dénomée jeunes d'origine maghrébine pour aboutir par la suite à la dénomination beurs. Ces glissements de mots traduisent des changements institutionnels et sociaux dans la gestion de l'immigration. L'indépendance de l'Algérie a également débouché sur le déplacement en métropole d'une importante communauté algérienne constituée par les anciens collaborateurs avec les autorités coloniales (harkis).
Au début des années 60, le besoin croissant de l'économie française d'une
main-d'oeuvre abondante et bon marché a incité le patronat et le gouvernement
français à recruter des milliers de travailleurs maghrébins. Découflé (1999) souligne
que l'immigration maghrébine en France ne posait pas de problèmes dans les années 60. A
l'époque, les représentations d'une immigration de travail "par hypothèse"
transitoire prévalaient (en gros jusqu'à la fin des années 1960). Ensuite, l'image
résignée d'une immigration condamnée à une sédentarisation "définitive"
s'était progressivement installée (années 1970-1980).
L'échec de la fameuse aide financière au retour proposée en 1977 aux immigrés au
chômage et à ceux qui peuvent faire la preuve d'une situation régulière depuis au
moins cinq ans a marqué la fin de l'illusion d'une immigration maghrébine provisoire.
L'immigration maghrébine est ainsi devenue un élément structurel de la société
française.
Sayad (1986) doute, à juste titre, de la possibilité de distinguer entre immigration
de travail et immigration de peuplement. Il souligne la séparation arbitraire entre une
immigration de travail qui ne serait que le fait de travailleurs (apport de
main-d'oeuvre sans plus et ne poserait que des problèmes de travail), et une
immigration de peuplement dont la signification et les conséquences sont d'une autre
portée, les implications beaucoup plus larges, et les problèmes qu'elle suscite,
multiples et d'une étendue telle qu'ils touchent à toutes les sphères de la société
et notamment à la sphère qu'on peut dire culturelle et politique. Sayad (1986) propose
pour l'espace maghrébin de distinguer entre immigration d'hommes et de familles.
L'immigration des familles a constitué une rupture radicale dans une longue tradition
d'émigration d'hommes seuls, paysans prolétarisés se prolétarisant encore plus
(au prix d'une émigration lointaine).
Le "travail" politique de l'Algérie indépendante dans sa volonté
acharnée d'"intégrer à elle-même cette partie d'elle-même qui est hors
d'elle-même" a amplement contribué à constituer la population émigrée comme
réalité sociologique particulière. Ce discours rituel de célébration qui a servi à
affirmer l'indéfectible attachement de la population émigrée à la nation-mère
et de cette dernière à ses émigrés s'est progressivement estompé avec l'installation
des familles (Sayad, 1986).
Au début des années 80, l'accès à l'espace public des enfants
d'immigrés a été l'un des phénomènes le plus intéressant au niveau de la
politique migratoire française. La marche des jeunes beurs de 1983 a en effet ouvert une
nouvelle phase du débat. Au-delà de l'action directement politique, un travail
culturel, une quête identitaire ont été engagés (Liauzu, 1999). L'identité des
jeunes issus de l'immigration est tantôt qualifiée de lieu d'une crise
identitaire aiguë (Camilleri, 1980), de "no man's land"
(Bouzid, 1984), ou d'"identité hybride" constituée de deux cultures
(Guerraoui, 1995). Dubet ((1987) parle de la galère des jeunes comme un effet de
l'éclatement du moi, d'une aliénation du sujet, dans un monde gagné par l'anomie.
Gaberan (1996) parle même d'enfants chauves-souris pris à partie entre deux
cultures, perdu pour l'une et pour l'autre:
"L'enfant chauve-souris se réfugie dans le souvenir d'un paradis perdu, d'une
serre chaude et soyeuse dans laquelle rien ne le diffère du non-moi et dans laquelle tout
échange, absorption -excrétion ou contention- rejet, se fait dans la passivité. Dans la
mélancolie de cet ailleurs perdu, le jour et la nuit, l'ombre et l'objet, le vrai et le
faux n'ont plus de sens" (p. 21)
L'analyse clinique qu'effectue Gaberan (1996) ne nous semble pas appropriée pour
approcher les identités des jeunes, qui se construisent, certes à partir de facteurs
familiaux et individuels, mais aussi à partir du traitement que les institutions sociales
font subir aux jeunes d'origine maghrébine. L'identité et l'intégration sociales sont
avant tout des processus collectifs et dynamiques. Comme le soulignent Dasen et Ogay (sous
presse), la bi-culturalité dans la plupart des travaux français n'est habituellement
présentée que comme un problème et rarement comme un avantage. L'intégration d'un
émigré n'est pas la résultante de ses initiatives individuelles, mais dépend aussi du
cadre global (symbolique et juridique) fixé par la société d'accueil.
Le concept d'intégration s'est peu à peu imposé en France comme grille d'analyse de
l'immigration:
"La stricte connotation économique de l'immigration est peu à peu supplantée
par la thématique de l'intégration des immigrés. L'utilisation du terme d'intégration
renvoie à l'idée d'une immigration qui s'installe, qui ne concerne plus seulement une
main-d'oeuvre, décrite d'une manière un peu caricaturale comme masculine,
célibataire et ouvrière, mais aussi une population féminisée, ayant des enfants nés
en France et touchée par un relatif vieillissement. Parallèlement à ce discours
institutionnel destiné à orienter la politique publique, la formulation du problème
social évolue également: on assiste à un glissement d'une phraséologie mâtinée
d'économisme et centrée sur la crise du marché du travail à une problématique
d'inspiration démographique centrée tantôt sur les vertus de l'apport migratoire à la
population française, tantôt sur les dangers d'une identité nationale menacée"
(Spire, 1999, p. 52).
Sayad (1991) parle à propos des jeunes de la deuxième génération d'enfants
illégitimes dans le sens où ils peuvent réclamer une double appartenance:
descendants d'Algériens ayant réussi à se débarrasser du joug colonial français
et citoyens français massivement scolarisés dans l'école républicaine. Ils doivent
donc composer avec une sorte d'ambivalence historique. L'école de Jules Ferry est aussi
contemporaine des conquêtes coloniales.
Cela étant, comme le souligne à juste titre Cesari (1994), il n'y a pas à proprement
parler au sein de la nouvelle génération maghrébine des banlieues de mobilisation pour
la reconnaissance d'une identité collective construite uniquement à partir de
référents ethniques ou culturels. L'appartenance à une cité et une classe d'âge
exclue et marginalisée sont des éléments bien plus décisifs dans le processus de
mobilisation locale.
L'entrée dans le paysage politique d'une partie des jeunes actifs dans le mouvement
beur est apparue comme une suite logique des actions de défense et de promotions des
droits des immigrés. Il est intéressant de noter le rôle de premier plan joué par les
jeunes issus du milieu associatif, connaissant bien leurs quartiers périphériques, les
élus politiques et les institutions locales. Ce ne sont pas des intellectuels
minoritaires dans la mesure où l'excellence scolaire n'est pas leur passeport pour être
crédible. Par ailleurs, il est également important de noter le rôle limité joué par
les intellectuels du Maghreb dans l'émergence politique de ce mouvement. Leurs
références restent ancrées pour une large part dans la pensée anti-coloniale ou
tiers-mondiste assez éloignée des réalités locales des banlieues.
Même si les pays d'origine ont été dépassés par le mouvement beur qui sort
des cadres associatifs traditionnels liés aux autorités consulaires, l'analyse de
l'identité culturelle d'un groupe renvoie comme l'a écrit Qribi (1998) à l'analyse
des conditions historiques dans lesquelles il se trouve. Dans un contexte comme celui de
l'immigration maghrébine, il est indispensable de tenir compte de la relation
inégalitaire Nord-Sud, ainsi que des images et des stéréotypes qu'elle produit au sujet
des groupes dominés. Il existe dans ce cas une identité prescrite affectant
négativement l'image du migrant et influençant le déroulement de son processus
d'acculturation. Comme le souligne Liauzu (1999), si les attitudes xénophobes et
racistes reculent en France, elles n'ont pas complètement disparu, et elles se
redéfinissent, se redéploient sans cesse. Aujourd'hui, une frontière Nord-Sud
s'est constituée, qui suit le pourtour méditerranéen et qui sépare les Français
dits de souche des autres.
L'émergence d'une identité européenne peut à cet égard
s'interpréter comme une ouverture dans la mesure ou cette identité est considérée
comme multiple sur le plan religieux, ethnique et culturel ou comme une fermeture accrue
dans le cas d'une conception de l'identité européenne comme exclusivement blanche
et chrétienne. Une ouverture eurocentrique peut alors se traduire par une
fermeture envers les peuples du Tiers-Monde, surtout s'ils sont géographiquement proches
et démographiquement dynamique. Les flux migratoires doivent toujours être abordés dans
le cadre des relations de l'occident avec les autres sphères culturelles. En effet, comme
la souligné (Liauzu, 1992), l'Europe moderne n'a construit son identité propre que dans
le rapport à l'autre, le regard de l'autre et sur l'autre. Cette confrontation aux autres
cultures est décrite par l'écrivain mexicain Fuentes en ces termes: " Pendant cinq
cents ans, l'occident a promené sa culture, sa politique, son économie et sa puissance
militaire partout dans le monde sans demander l'autorisation à personne. Aujourd'hui, les
peuples de la périphérie lui rendent la monnaie de sa pièce, et arrivent à Madrid, à
Berlin, à Londres, à Paris, à Naples, à Algésiras, à Rostock, en brandissant un
drapeau qui dit: Nous sommes ici parce que vous étiez là-bas" (Fuentes, 1993) .
L'ethnicisation et le racisme sont deux composantes essentielles de
l'histoire de l'incorporation des migrants Nord-Africains et de leurs enfants
dans la société française. Toutefois, leur mobilisation pour l'égalité des chances ne
s'est pas effectuée sur une base essentiellement ethnique ni pendant la
colonisation, ni durant l'époque post-coloniale.
La polémique stérile sur l'existence de minorités ethniques en France
L'expression minorité ethnique est peu utilisée dans le vocabulaire des sciences
sociales en France. En effet, au nom des principes républicains basés sur la
non-discrimination raciale et ethnique, toute référence aux origines a été longtemps
évitée.
Découflé (1999) estime que les traditions sociologiques nord-américaine et
française d'étude des phénomènes migratoires ont recours à des représentations
différentes des relations sociales. Cette divergence de perspective n'existe pas
seulement sur le plan théorique ou conceptuel, elle comporte des conséquences concrètes
dans le domaine de l'orientation des études de terrain et dans le choix des priorités de
recherche sur les minorités. La tradition nord-américaine peut être qualifiée de différencialiste
dans le sens où elle privilégie les différences entre les personnes et leurs groupes
(communautés) d'appartenance dans l'analyse des phénomènes sociaux et dans les
conséquences qu'elle permet d'en tirer en terme d'intégration économique sociale et
politique.
La tradition française peut être quant à elle qualifiée d'universaliste dans
la mesure où, sans contester la spécificité de chaque identité culturelle, elle met
l'accent sur ce qui les unit, au nom d'une appartenance de chacun à l'universel (Découflé,
1999).
Autrement dit, dans l'approche américaine dominante des phénomènes sociaux,
l'ethnicité est une variable à considérer en priorité même si cela n'exclut
pas l'usage de la classe sociale. De son côté, la tradition sociologique française
considère prioritairement la position sociale, habituellement approchée par la
catégorie socioprofessionnelle du père. Il faut tout de même rappeler à ce propos que
l'ethnicité n'est devenue une clef de lecture des phénomènes sociaux aux USA
que dans les années 60 après les changements induits par le mouvement des droits
civiques.
De Rudder (1992) souligne que le déni des rapports et des relations interethniques
entre immigrés et autochtones fait obstacle à une meilleure connaissance de ces
relations en France. La méfiance portée à la catégorisation ethnique bloque en fait la
connaissance. La suspicion s'étend aux relations interculturelles alors que ces
dernières se construisent et se développent, qu'on le veuille ou non, en fonction de
catégorisations sociales telles que la race, l'ethnie, la culture,
l'origine, la nationalité ou la religion.
Tripier (1999) analyse la polémique entourant l'usage de statistiques ethniques
en France en distinguant entre ceux qui dénoncent l'obsession des origines et ceux
qui réclament la liberté du chercheur pour le choix de ses catégories statistiques. Les
premiers s'insurgent contre l'usage qui peut être fait des statistiques
ethniques dans les institutions publiques. Les seconds estiment que le recours à de
telles catégories permet de rompre l'ignorance et le silence sur des situations de
discriminations qui affectent certains groupes que la nationalité seule ne suffit pas de
décrire. Une meilleure connaissance permettrait l'organisation d'une lutte
contre les discriminations à condition de disposer d'une volonté politique claire
pour aller dans ce sens. En relatant les difficultés rencontrées pour financer une
étude sur la discrimination à l'embauche, Tripier (1999) écrit à juste titre que
rien ne doit être tabou pour la recherche. S'il s'avère que la discrimination
à l'embauche touche les jeunes que les employeurs perçoivent comme d'origine
maghrébine et africaine, par exemple à partir de leur nom, de leur photo ou de leur
adresse, il faut pouvoir le dire et le montrer: "Il faut étudier le racisme,
même si les races n'existent pas". Dans la mesure où certains construisent
des races dans leur tête, ils influencent la vie de ceux qui sont ainsi rassemblés
et c'est toute la société qui en est affectée par ces interactions.
Le discours dominant des sciences sociales à propos de l'immigration en France juge
l'ethnicité comme politiquement incorrecte. Mais, si les notions d'ethnie, de
nationalité ou d'apparence physique sont utilisées quotidiennement par les acteurs
sociaux dans leurs représentations de la réalité et dans l'expression de leur
comportement, le chercheur ne peut pas les ignorer dans le cadre de son analyse, même
s'il doit par ailleurs les démystifier, les déconstruire et les relativiser.
Notons toutefois que le débat sur la pertinence de l'ethnicité ou de la classe
sociale est également vif aux USA. Ogbu (1994) souligne que le passage d'une
explication des problèmes économiques, éducatifs et sociaux basée sur l'ethnicité à
une autre privilégiant l'appartenance sociale est attractif aussi bien pour les
blancs que pour certains noirs américains. Pour les premiers, l'explication par
l'appartenance sociale est compatible avec leur modèle d'une société
stratifiée par les classes sociales mais où le mythe de la mobilité sociale par le
mérite est puissant. Pour les noirs appartenant à la classe moyenne, cela donne un sens
à leur réussite sociale et renforce leur désir de se distancer des membre de leurs
communautés qui n'ont pas pu s'en sortir [who have not made it or can not make
it]. Dans le passé, le problème était le racisme blanc. Aujourd'hui, le problème
essentiel serait celui de la pauvreté extrême représentée par le sous-prolétariat
(les exclus) [under-class]. Ogbu (1994) estime toutefois que l'examen minutieux de la
situation actuelle indique que les changements dans la structure sociale américaine
n'ont pas été aussi profonds, ni suffisamment installés dans la durée pour
éliminer les barrières instrumentales qui perpétuent la stratification raciale du pays.
La classe sociale n'a pas remplacé la race comme déterminant principal des chances
de mobilité des afro-américains. L'inégalité entre noirs et blancs aux USA
n'est pas liée selon Ogbu (1994) à la stratification sociale, mais à la
stratification raciale qui perdure.
En ce qui concerne la recherche sur les migrants d'origine maghrébine en France, il
nous semble que la position exclusivement basée sur l'appartenance sociale, la
nationalité ou l'ethnicité ne sont pas satisfaisantes. L'adresse socioculturelle des
jeunes maghrébins est complexe. Leur apparence physique et leur visibilité dans les
institutions publiques (y compris l'école) font partie qu'on le veuille ou non de cette
adresse. Ne pas les prendre en compte, c'est prendre le risque de voir une partie de la
réalité sociale échapper à l'analyse.
Chances éducatives des élèves issus de l'immigration maghrébine
Les opportunités éducatives des jeunes d'origine maghrébine en France comparés
aux opportunités des autres groupes sociaux peuvent donner une idée précise sur le
rôle joué par l'origine ethnoculturelle dans l'insertion des jeunes beurs dans
la société française.
Deux thèses contradictoires ont été utilisées dans l'analyse du comportement
scolaire des enfants issus de l'immigration maghrébine: une première thèse
minimisant l'effet de la variable nationalité et une deuxième centrée sur les
spécificités du comportement scolaire des jeunes d'origine maghrébine.
La première thèse, véhiculée par les organismes statistiques de l'État comme la
Direction de l'Évaluation et de la Prospective (DEP) du ministère de l'éducation
nationale ou l'Institut National d'Études Démographiques (INED), est celle de
l'invalidation de l'explication des performances et carrières scolaires par la variable
de l'origine nationale au profit de l'explication seule légitime, par la variable de
l'appartenance sociale (Payet, 1999). Les élèves étrangers réussissent moins bien que
les élèves français (pris dans leur ensemble), mais aussi bien que les élèves
français du milieu populaire. Si, à condition sociale égale, il n'y pas de différences
entre élèves français et élèves étrangers[2], cela signifie que c'est le milieu
social qui détermine la réussite scolaire et non pas l'origine ethnique ou la politique
scolaire envers les élèves d'origine étrangère.
Ainsi, Vallet (1996) estime que l'effet spécifique associé à la nationalité
étrangère est nul au primaire puis positif au secondaire. Il varie avec l'avancement
dans les études et cette transformation s'effectue dans une direction compatible avec
l'hypothèse de l'assimilation scolaire. Par comparaison à leurs condisciples qui
connaissent le même environnement familial, les élèves étrangers n'ont pas été plus
nombreux à redoubler dans le premier degré. Au collège, les carrières scolaires des
élèves étrangers sont meilleures que celles de leurs condisciples français de mêmes
caractéristiques sociales.
Les études quantitatives comme celle de Vallet (1996) apportent de l'eau au moulin des
tenants de l'école républicaine intégrative. Mais, ces études souffrent de multiples
limitations méthodologiques. En particulier, l'imprécision flagrante des catégories
statistiques utilisées. La classification des enfants de couples mixtes qui sont loin de
constituer une exception (Tribalat, 1995) n'est par exemple jamais spécifiée. Le choix
des critères de réussite scolaire (demande d'orientation des familles, taux de
redoublement, taux de réussite au Baccalauréat) nous semble également réducteur car il
ne tient compte que de la rentabilité interne du système scolaire. La rentabilité
sociale est complètement ignorée.
Cette première thèse, d'une école républicaine intégrative des enfants issus de
l'immigration a été pendant longtemps hégémonique en France. Payet (1999) estime que
cette image officielle de l'absence de spécificité de la scolarité de ces enfants,
maintes fois répétée et relayée, a atteint le statut de quasi-loi sociologique,
incontestable et destinée à durer par delà les évolutions de la société française
et de son système éducatif. Quelques voix discordantes, rarissimes, soulignent pourtant
un écart entre les statistiques nationales et les situations locales, entre des chiffres
et les réalités relationnelles vécues. Elles notent les préjugés négatifs des
enseignants à l'égard des enfants issus de l'immigration, qui se traduisent par une
orientation en défaveur de ces élèves, sur-représentés dans l'enseignement général
court et dans l'enseignement spécial. Ces voix dissonantes soulignent les contradictions
d'un système "indifférent aux différences" selon sa doctrine, instaurant
(dans les années 1970) des classes spécifiques à destination des enfants
primo-arrivants, et un dispositif d'enseignement de langues et cultures d'origine
(LCO) à destination des enfants d'immigrés. La mise en question de la capacité
intégrative de l'école française a alors comme un goût de provocation, d'indécence,
voire même d'illégitimité, dans le contexte français (Payet, 1999). L'école
est un des piliers, sans doute, le plus symbolique, du modèle républicain français.
Critiquer l'école dans sa capacité à intégrer, à produire une citoyenneté
véritable, à construire la nation, c'est porter atteinte à la République, à la nation
française. En effet, s'il s'avérait que la réalité scolaire n'était pas la traduction
du principe républicain d'égalité, alors la mise en évidence de cet écart serait la
preuve tangible de la crise du modèle de l'intégration par l'école républicaine. Dans
le contexte d'une crise multiforme, économique, sociale, politique et morale, l'école
est de plus en plus mobilisée comme symbole de continuité d'un modèle fondateur, au
risque de ne plus voir une réalité nouvelle plus complexe (Payet, 1999).
La seconde thèse se focalise sur le traitement particulier subi par les enfants issus
de l'immigration. Ainsi, l'évaluation des performances scolaires peut aussi être
approchée par l'examen de la présence des enfants migrants dans les sections de
relégations (classes de perfectionnement, classes spéciales). Si nous partageons
l'hypothèse d'une école de classe qui élimine les couches défavorisées, cette
hypothèse n'explique pas tout et en particulier la présence des élèves issus de
l'immigration dans des filières- rebuts en proportion bien supérieure à leurs camarades
français de conditions sociales comparables.
Boulot & Boyzon-Fradet (1992) ont examiné le taux d'entrée en section
d'éducation spécialisée par rapport à l'ensemble des élèves entrés en 6ème. Ils
ont constaté 2.42 fois plus d'étrangers que de français à l'entrée en 6ème. A
catégories sociales équivalentes, les élèves étrangers sont plus fortement orientés
en éducation spécialisée que les élèves français. L'arrivée tardive en France, une
scolarité perturbée par de nombreux déménagements, une fréquentation des classes ne
correspondant pas à leur âge et une origine sociale défavorisée sont les principales
explications données par Boulot & Boyzon-Fradet de la sur-représentation des
enfants étrangers dans les structures spécialisées.
De nombreuses recherches appellent à prêter une grande attention à la situation
précaire des jeunes issus de l'immigration dans le contexte d'un chômage structurel
croissant qui provoque sa banalisation et de nouveaux risques d'exclusion (Payet, 1992;
Ferreol, 1993; Wallet, Nehas & Sghiri, 1996; Martinez, 1996, HCI, 1997). Certains
élus politiques sont les promoteurs d'une exclusion organisée. Ainsi, le maire de
Montfermeil avait refusé en 1985 d'inscrire des enfants étrangers dans les écoles
primaires de la cité des Bosquets. En 1990, il décidait de couper les fournitures, la
cantine et l'entretien aux écoles recevant des enfants "nés hors de notre
civilisation" (Oriol, 1997).
Obin & Obin-Coulon (1999) estiment que les deux grands axes de réflexion sur
l'immigration sont les conditions de la cohésion sociale d'une part, la place des
immigrés et de leurs enfants et notre attitude envers eux d'autre part.
Il semble manifeste que le traitement infligé aux élèves migrants a une influence
directe sur leur attitude envers l'école. Plus ils ressentent l'univers scolaire comme
peu familier, étranger et hostile, plus ils se retournent vers leurs ressources
communautaires et familiales pour y survivre et élaborer des identités oppositionnelles.
De surcroît, il est légitime de poser des questions sur l'avenir des jeunes d'origine
maghrébine après leur scolarité. Les études longitudinales qui dépassent le cadre
scolaire pour aborder l'accès des jeunes de la deuxième génération au système
productif sont peu nombreuses. De plus, le traitement statistique commun de différentes
catégories de personnes d'origine étrangère permet des interprétations à géométrie
variable. Ainsi, une étude récente de l'INSEE souligne que l'origine étrangère semble
peu jouer dans le processus d'insertion dans l'emploi qui ne diffère que légèrement
pour les immigrés par rapport aux autochtones. Mais cette moyenne recouvre des groupes
très variés par leur histoire et leur origine: l'insertion des immigrés est tantôt
meilleure (Espagnols, Portugais), tantôt moins bonne (Algériens, Turcs) que celle de
l'ensemble des résidents. Cette étude reconnaît tout de même que l'entrée sur le
marché du travail demeure plus difficile pour la " deuxième génération ",
plus fortement pénalisée par le chômage que l'ensemble des jeunes actifs (Dayan,
Echardour & Glaude, 1996).
Sans sous-estimer la socialisation exercée par l'école obligatoire, il est clair que
les performances des élèves à l'école secondaire ne peuvent être abordées sans
référence aux possibilités d'insertion sur le marché de l'emploi. En l'absence de
mesures législatives concernant l'accès à l'égalité à l'instar de ce qui existe
depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, les jeunes de la deuxième génération
sous-qualifiés ou sur-qualifiés restent à la merci de mesures discriminatoires
implicites et explicites en matière d'emploi.
Les immigrés originaires du Maghreb et d'Afrique noire sont les plus exposés à la
discrimination a l'embauche. Viennent ensuite les originaires de la Turquie et dans une
moindre mesure les originaires du Sud-Est asiatique. Les jeunes maghrébins et Africains
ont un taux de chômage nettement supérieur a la moyenne. On explique cette situation par
le handicap de sale gueule dont ces jeunes sont victimes (il faudrait comprendre
que leur morphologie d'Africains noirs ou de Maghrébins suscite la réserve des
employeurs). Leurs noms de famille (noms musulmans ou africains), leurs adresses (souvent
les banlieues dites "chaudes") sont aussi des obstacles à l'embauche (INED,
1992).
On se rend ainsi compte que la discrimination dans l'emploi, même si elle est
illégale et théoriquement réprimée par la loi, a acquis, dans un contexte social
délétère, une certaine légitimité. Le silence des médias et l'indulgence des
tribunaux envers les employeurs auteurs de discriminations basées sur l'origine ethnique
étouffent le débat sur cette question.
Les familles: entre conflits de générations et stratégies de réussite
Plus que les autres familles de même milieu social, les familles maghrébines en
France sont traversées par de nombreux conflits et tensions internes qui proviennent en
particulier de leur expérience particulière d'acculturation. La distinction que Bastide
(1970) opère entre l'acculturation formelle et l'acculturation matérielle semble
illustrer la différence entre les jeunes de la deuxième génération et leurs parents.
L'acculturation matérielle vécue par les migrants adultes peut changer leur comportement
dans le monde du travail, mais affecte peu leurs manières de penser et de sentir.
L'acculturation formelle des jeunes de la deuxième génération modifie de manière
inconsciente leurs modes de penser et de sentir. Les expériences vécues par la première
et la seconde génération sont différentes. Comme le souligne Henry-Lorcerie (1986), les
parents ont fait l'expérience de la frontière internationale. Les enfants ont
celle de la frontière interne délimitée par les périphéries urbaines.
Fraija & Fraija (1998) estiment que les enfants issus de la migration sont
confrontés à une double fêlure dans les relais obligatoires du narcissisme primaire (
formations culturelles, et tout particulièrement dans la langue). Non seulement le cadre
sur lequel s'appuyaient leurs parents vacille mais aussi leur propre cadre est dédoublé.
Ils sont introduits à un univers aussi riche qu'angoissant. Certes, tout devient possible
mais rien n'est stable, la maîtrise rapide d'un univers dédoublé dans ses
règles de fonctionnement leur donne une illusion d'indépendance vis-à-vis des règles
communes. La frontière entre conscient et inconscient est remplacée par une frontière
culturelle matérialisée par le seuil de la maison familiale. De surcroît, ces jeunes
sont soumis à des injonctions paradoxales et contradictoires de la part de leurs parents:
Intègre-toi, mais reste arabe, va à l'école mais ne soit pas comme eux.
Dans le cas de la migration, les difficultés des adolescents et des parents entrent en
résonance; crise d'adolescence et crise parentale risquent de s'amplifier
réciproquement. La migration est rupture de filiation, rupture avec le cadre culturel
interne, et les enfants qui en sont issus traversent souvent des épisodes critiques liés
aux problématiques parentales. Il n'est guère possible pour les jeunes de la deuxième
génération d'aborder la question des origines (imaginaire et symbolique) sans la
possibilité de nommer la migration des parents (Fraija & Fraija, 1998).
Manigand (1993) estime que l'absence de compromis dans les pratiques familiales et
éducatives ne permet pas de réduire l'écart existant entre la culture d'origine et la
culture de la société d'accueil. Cette absence fait apparaître d'importantes
contradictions dues à l'impossibilité de transposer des règles de conduites dans un
autre espace que celui dans lequel elles ont été conçues.
Berry (1989) cité par Dasen (2000) a emprunté à l'anthropologie culturelle le
concept d'acculturation désignant l'ensemble des changements culturels
résultant des contacts continus et directs entre deux groupes culturels indépendants.
Berry (1989) propose le concept d'acculturation psychologique, qui définit
les changements au niveau des individus (l'adaptation) qui accompagnent le contact
entre les groupes. Les changements entre les groupes en présence sont mutuels, mais dans
la pratique, il arrive souvent qu'un groupe dominant exerce une influence plus forte
que le groupe non-dominant (le groupe des migrants, appelé groupe d'acculturation).
Aussi bien les travaux de Berry que ceux des psychologues cliniciens français montrent
que l'acculturation psychologique des individus issus de plusieurs cultures est un
processus long. Mais, cet ajustement individuel est fortement influencé par la famille et
les perspectives idéologiques de la société d'accueil (groupe dominant).
En dépit de multiples difficultés (parents avec peu de capital scolaire, familles
nombreuses, statut socio-économique défavorisé), certaines familles maghrébines
mettent en place de véritables stratégies de réussite scolaire. Zéroulou (1985, 1988)
a utilisé le concept de projet migratoire comme principe orientant les stratégies
éducatives des parents et les types de mobilisation mise en oeuvre au sein des
familles. Zéroulou montre clairement que la réussite scolaire des enfants issus de
l'immigration algérienne dans le nord de la France s'inscrit dans le cadre d'un projet
migratoire: "Dans ces familles, réussir l'immigration, c'est rendre possible
le projet d'ascension sociale par la réussite scolaire des enfants. Pour les enfants, on
est à l'école en famille. Celle-ci apparaît comme le lieu d'exemple à suivre et
d'apprentissage de l'effort; un certain équilibre y règne. Les parents insistent sur la
nécessité d'efforts visant moins à assurer l'adaptation à un mode établi qu'à
réussir dans la société d'accueil. Ils montrent à leurs enfants les efforts
qu'eux-mêmes ont entrepris dans ce sens dans leur passé. Ils développement des
pratiques sociales permettant une adaptation instrumentale à la société française. La
volonté d'adaptation présente différents degrés allant d'un désir d'assimilation
totale à une intégration fonctionnelle uniquement.
Selon Zéroulou (1985), les pratiques d'éducation familiales favorisant la
réussite scolaire se caractérisent notamment par:
- une distanciation progressive des liens avec le pays d'origine et la communauté
immigrée qui pourraient constituer selon certains parents un obstacle à leur désir de
promotion sociale;
- une vie essentiellement autocentrée, avec un fort investissement dans l'école pour
échapper à la condition d'immigré.
Dans une autre étude réalisée par Lahire (1994) dans la région lyonnaise, l'une des
stratégies éducatives des parents des enfants d'origine maghrébine en réussite
scolaire consiste à faire attention aux fréquentations dans le quartier et à limiter
les contacts avec les enfants du quartier. La stratégie de repli sur le foyer familial et
de déconnexion de la vie du quartier assure une mobilisation sur les enjeux scolaires.
Charlot (1999) souligne que dans les familles populaires et tout particulièrement au
Maghreb et sur le pourtour de la Méditerranée), l'éducation des enfants relève des
femmes plus que des hommes. Le poids symbolique de ces derniers est important, mais ils
restent en général en réserve par rapport à la prise en charge quotidienne de
l'éducation. Ils interviennent en dernier recours quand la mère ne peut plus cacher ce
qui se passe. Charlot (1999) observe que les enseignants sont souvent étonnés du
comportement de ces pères, qui oscille entre le conflit avec l'institution et la
correction publiquement administrée à l'enfant.
Traitement à l'école et en dehors de l'école
Il a fallu attendre le rapport Berque (1985) pour que le ministère français de
l'éducation nationale clarifie les priorités en matière de scolarisation des enfants
d'origine étrangère en affirmant sans ambiguïté la mission d'intégration de l'école.
En 1989, la prise en compte dans les programmes scolaires de la diversité a été inclue
dans la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France
(Boulot & Boyzon-Fradet, 1991).
Pour Henry-Lorcerie (1986), l'école joue un rôle très important parmi les sources du
conflit culturel que connaissent les adolescents d'origine maghrébine. Elle est pour
eux une instance majeure de l'évaluation culturelle. Elle fixe les règles linguistiques
en usage dans le cadre scolaire: règles positives du type "il faut dire / faire
ceci" ou règle d'évitement du type "cela n'est pas du domaine de
l'école" (on ne parle pas de cela à l'école", "on ne fait pas cela à
l'école"). Règles de bon usage, neutralité et laïcité (imprégnée de
catholicisme) sont les valeurs sur lesquelles se fondent ces jugements. L'école
française ignore la variance socioculturelle. Ce qui produit un conflit qui ne peut
éclater, mais qui est profondément ressenti. C'est peut-être ce déni, ancré dans la
routine scolaire et dans le code du savoir scolaire, que les adolescents dénomment
racisme lorsqu'ils se plaignent des enseignants et de l'école en général.
Dans une enquête sur le mode de vie et la santé des jeunes d'un quartier de la
banlieue parisienne, Bouhnik (1994) a montré que les enseignants ne sont pas
considérés comme respectueux des jeunes. Les enseignants ne comprennent pas les jeunes,
ne les prennent pas en compte tels qu'ils sont et par conséquent mettent en avant une
autorité qui n'est pas reconnue. Les méthodes pédagogiques et l'attitude des
professeurs face à l'apprentissage sont remises en question. L'école est assimilée aux
institutions de contrôle au même titre que les travailleurs sociaux ou les flics.
Ces institutions sont décrites comme décalées sur le plan du langage (abstraction), ne
donnant pas sens à l'apprentissage (manque de satisfaction, déplaisir) et ne se souciant
pas de l'évolution des sensibilités (culture investie pas les jeunes).
En interrogant des jeunes d'origine maghrébine dans un quartier difficile, Baudelot
& Mauger (1994, p. 94) ont mis en évidence le rapport de force avec les professeurs:
"Q: "Est-ce que quand vous étiez à l'école vous vous y plaisiez?
Farid: A vrai dire non...ici là...non...parce qu'on était mal vus...Dés qu'on
rentre...à la rentrée déjà on était mal vu...la première fois que je suis rentré
là-dedans, j'étais mal vu...pourquoi...parce qu'ils ont vu ma tête...ils ont vu nos
têtes, ils ont vu qu'on est rentrés à plusieurs...tous la même tête...bon ben ils se
sont dit ceux-là il faut les mater...et dés le début ils sont venus...alors ils ont
voulu...si tu veux...on est devenus ennemis avec eux...alors nous on était pas gentils
avec eux, alors on faisait les fous, on voulait pas écouter ce qu'ils disaient...parce
qu'autrement on se sentirait ridicules, tu vois...et eux ils auraient été
contents...et pis nous comme on est fiers...hein, tu vois, comme on est fiers, ben on peut
pas..."
Les quelques timides actions supposées promouvoir l'interculturalisme ne semblent
pas remédier au problème de manque de communication entre jeunes et enseignants. Déjà
en 1986, Henry-Lorcerie a critiqué le mode d'organisation de l'enseignement des langues
et cultures d'origine (CLCO), et les activités interculturelles. Elle estime qu'à
moins de déboucher sur une reconsidération globale de la valeur pédagogique des
différences, les CLCO produisent des situations paradoxales, dans lesquelles, pendant
l'essentiel du temps, les différences sont déniées, et pendant quelques heures par
semaine, elles sont particulièrement signalées. On ne saurait exclure que les CLCO
puissent, localement, être porteurs d'espoir. Mais on voit bien ce qu'ils sont
susceptibles de multiples dérives possibles. Leur organisation actuelle renforce dans la
classe (et peut être d'abord aux yeux des enseignants) la catégorisation des élèves
comme immigrés ou arabes. Cette catégorisation est une des traces du
racisme ambiant en France. Le fait que le dispositif officiel réserve en effet
l'enseignement de la langue étrangère aux enfants des ressortissants du pays financeur
ne favorise pas l'intégration symbolique du groupe, ni l'intégration individuelle des
enfants concernés par le phénomène de variance culturelle. Les activités
interculturelles, qui peuvent être complémentaire de l'enseignement des langues
d'origine, sont rarement organisées, et le sont d'ordinaire dans des modalités telles
qu'elles exhibent davantage encore les différences.
Si l'on obseve contenu de l'enseignement dans une classe à forte présence d'enfants
issus de l'immigration, le curriculum se fait dans l'ensemble dans la seule culture
implicite et sous-jacente: celle de la France. En somme, les cultures d'origine des
élèves sont pratiquement exclues de la pratique quotidienne de la classe, mais elles
sont folkloriquement exhibées quelques heures par mois aux seuls élèves
d'origine étrangère.
L'évaluation négative des jeunes maghrébins par l'institution scolaire est
représentée par l'attitude des enseignants. Dans une étude sur les théories
implicites des enseignants sur l'échec scolaire de 4 types d'élèves, Chryssochoo,
Piccard & Pronine (1998) ont montré que deux types se distinguent vraiment des
autres: l'élève d'origine française et de milieu social favorisé et
l'élève d'origine maghrébine et de milieu social défavorisé. Le premier
type est celui pour qui les enseignants prévoient généralement plus de chances de
réussite que les autres, l'échec du second type se trouve dans un espace
différent. Il est intéressant de noter que pour les enseignants quand une élève
française de milieu aisé échoue, c'est quelle passe un moment difficile, mais
normal, celui de l'adolescence, ou bien elle ne bénéficie pas de l'aide des
parents trop pris par leur travail ou trop laxistes. Rien de très alarmant dans la mesure
ou les enseignants prévoient que l'enfant passera ce cap difficile. Il faut
qu'elle travaille plus.
Concernant l'élève française de milieu défavorisé, les enseignants se
contentent de faire des constats: "Elle n'est pas bonne en
orthographe". Les choses se compliquent en ce qui concerne l'élève
maghrébine mais de famille aisée. Elle apparaît comme un cas atypique, difficilement
assimilables à des représentations existantes, contredisant les stéréotypes. Cette
élève a les conditions matérielles de réussite mais son origine culturelle est
handicapante. Les enseignants semblent avoir des problèmes pour expliquer son cas. A
l'autre extrémité, l'enfant d'origine maghrébine et de milieu
défavorisé bénéficie aussi quelque part de l'indulgence des enseignants. Le
système scolaire n'est pas adapté à ses besoins, elle a des problèmes de langues
et les représentations de sa famille ne sont pas favorables aux études. Les théories
implicites des enseignants français semblent véhiculer un double handicap social et
culturel au détriment des enfants appartenant à des catégories sociales défavorisées
et à ceux d'origine maghrébine.
Ajoutons que le traitement inégal, la discrimination et le racisme vécu par les
jeunes d'origine maghrébine dépassent le cadre scolaire. Zirotti (1990) s'est
intéressé à une population de jeunes hommes d'origine maghrébine, résidant dans
un quartier populaire de Nice, dont les âges s'échelonnent de 18 à 27 ans. La
discrimination à l'école est décrite par les jeunes sur un mode qui sous-estime la
gravité: elle n'existe que marginalement et tend à s'estomper même si
elle engendre, exceptionnellement, l'affrontement physique. Le récit tend à
réduire les conséquences de la reconnaissance de tels comportements. En les confinant
dans un statut d'exception, le caractère problématique des relations entre élèves
Français et Maghrébins est atténué.
Les rapports avec la police sont autrement plus problématiques. Ainsi, invité à
donner son opinion sur la police, un jeune d'origine maghrébine répond:
"...c'est des cons hein!... Parce qu'ils font, eux ils
font vraiment des différences, mais des différences énormes... s'il y a un
maghrébin qui se bat avec un français, ils iront tabasser le maghrébin alors que le
français ils lui feront rien, ça je l'ai vu plusieurs fois. Et on peut rien
dire." C'est le système des deux poids, deux mesures appliqué par la police qui
perturbe le plus les jeunes,
Zirotti (1990) estime que le principal grief formulé- "faire des
différences énormes entre Français et Maghrébins"- ne prend donc pour cible
ni l'institution policière, ni la fonction policière mais les normes que l'une
et l'autre prend localement, dans l'espace du quartier ou de la ville. Il
s'agit en l'occurrence d'une répression violente et discriminatoire qui
prend, de façon systématique et injuste, les Maghrébins pour cible:
"Ce n'est pas la légitimité de l'intervention policière qui est en
question- en effet dans l'exemple donné les protagonistes se battent-, ni même la
répression physique, c'est l'inégalité de traitement selon
l'appartenance catégorielle. Ce mode particulier, parce que localisé,
d'exercice de la fonction policière qui est décrit sous l'angle de la
discrimination 'raciste', n'est jamais explicité comme tel"
(Zirotti, 1990, p. 74).
Si les jeunes maghrébins font l'expérience de la discrimination, tous ne la
définissent pas comme raciste. La variation individuelle des descriptions passe de la
diversité des situations évoquées, plus exactement de celle des modes
d'auto-définition des sujets (Ego, élève, jeune ou maghrébin) à celle des rôles
sociaux représentés: "Si le racisme, comme ressource descriptive et
explicative, est disponible, son usage ne va pas de soi contrairement à ce que pourrait
laisser supposer l'affirmation de la sensibilité particulière de ces jeunes
d'origine maghrébine à la discrimination raciste. Tout en soulignant l'existence de
l'expérience du racisme, Zirotti (1990) constate qu'il n'est pas une ressource
systématiquement mobilisée par les jeunes pour les descriptions des situations
conflictuelles ou pour celles dans lesquelles ils ont subi un préjudice. Il leur est plus
aisé de constituer le caractère anormal et illégitime d'un comportement que
d'y designer l'oeuvre du racisme comme si cette éventualité n'était
accessible que lorsqu'elle s'imposait dans/par la description.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme constate qu'une très forte
majorité des personnes interrogées (89%) estime qu'en France le racisme est
"plutôt ou très répandu". Des témoignages recueillis confirment cette
tendance puisque 68% des personnes interrogées déclarent avoir été elles-mêmes
témoins de propos racistes et 55% de comportements racistes; 25% affirment avoir été
personnellement victimes de propos racistes et 18% de comportements racistes. Les
principales victimes du racisme sont les Maghrébins, notamment les jeunes Français
d'origine maghrébine, les Beurs, puis viennent les Africains du Sud du Sahara (Commission
nationale consultative des droits de l'homme, 1994).
En dépit des lois contre le racisme, le délit de faciès continue à régir les
relations entre les jeunes d'origine maghrébine et la police en France. Le développement
de la petite délinquance et du trafic de drogue dans les cités devient de plus en plus
alarmant car il fait rentrer les jeunes dans le cycle de la délinquance -
répression. Le plus préoccupant, c'est surtout la conversion de la délinquance comme
seule ressource disponible pour exister:
"Beaucoup de jeunes connaissent et participent à des degrés divers à un certain
nombre de trafic (business) qui font partie de leur environnement: tout un système
de ventes, reventes, échanges issus ou non du marché du haschich, qui leur permet de
compenser le manque de ressources familiales et d'opportunités de trouver un travail
rémunérateur" (Bouhnik, 1994).
Si la mobilité sociale a fonctionné pour les précédentes vagues
d'immigration en France grâce notamment à la restructuration des secteurs économiques,
l'ascenseur social semble actuellement en panne pour les migrants d'origine
non-eruropéenne.
Chobeaux (1994) estime que la plupart des jeunes d'origine maghrébine, africaine ou
antillaise, ont des difficultés à stabiliser une identité individuelle et sont acteurs
de la petite délinquance urbaine. Ces jeunes ne peuvent pas s'appuyer sur une identité
solide pour exister. Un moi collectif, idéal, illusoire et enfermant, leur donne alors le
sentiment de résister et de survivre à une situation psycho-affective défaillante. Il
leur permet de conserver un semblant d'identité collective en soutien et au détriment de
leurs identités individuelles. L'auteur précise que ces constructions d'ethnicité se
situent au carrefour de trois cultures: les bribes d'une culture originelle parentale
appuyée par une acculturation ségrégative, les principes républicains diffusés par
une culture scolaire largement dévalorisée aux yeux de ces jeunes, et une culture de la
rue fondée sur la loi du plus fort et le triomphe de l'argent facile. Les jeunes en
difficulté d'insertion sont dans l'impossibilité d'articuler ces trois modèles
culturels, et se replient alors sur la construction d'identités bricolées, illusoires et
stéréotypées, sans bases symboliques faisant sens pour l'ensemble du corps social. Ces
jeunes, réduits à la production ex-nihilo d'identités imaginaires dénuées de sens
pour le corps social, sont ici dans une fuite en avant où la quête désespérée en une
famille illusoire est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour ne pas se perdre. Il est
permis de penser que leur déstructuration psychologique ira en 's'aggravant, et que leur
recherche d'identités collectives ira en s'accentuant. Les ethnies-cités ont selon
Chobeaux (1994) de beaux jours devant elles.
Dans de longs entretiens ethnographiques avec des jeunes gens du nord de la France,
Bourdieu (1991) montre l'expérience de l'exclusion partagée par les jeunes:
"L'immigré et l'indigène' (en d'autres temps, et en d'autres lieux, dans
l'Algérie française' des années 50 par exemple, les désignations auraient été
inversées, avec le même résultat) ont les mêmes problèmes, les mêmes difficultés,
la même vision du monde, forgée dans les mêmes expériences, dans les bagarres de
l'enfance, dans les déboires et les déceptions de l'école, dans la stigmatisation
associée à la résidence dans un quartier 'pourri' et l'appartenance à une famille
repérée (ils ont, l'un et l'autre, des 'grands' sur qui retombent toujours les soupçons
et les accusations), dans le fait que lorsqu'ils voient un beau blouson ou un beau
pantalon, ils ne peuvent demander l'argent à personne et qu'ils doivent se débrouiller,
dans les longs moments qu'ils ont passés ensemble à s'emmerder, parce qu'ils n'ont pas
de moyen de transport, pas de bus, pas de mobylette (sauf à l'acheter magouille' ou la
voler) ou d'automobile (et, de toute façon pas de permis de conduire) pour aller en
ville, pas de local ou se retirer, pas de terrain de foot pour jouer, et surtout dans la
confrontation constante, continue à un univers fermé de toutes parts, sans avenir, sans
possibles, tant en matière d'école qu'en matière de travail, -ils ne connaissent que
des gens sans emploi ou en difficulté, et quand on évoque les parents dont ils
pourraient attendre aide ou secours, on ne rencontre que des chômeurs, des invalides ou
des incarcérés" (p. 8)
L'exclusion qui frappe les jeunes d'origine nord-Africaine n'est qu'un miroir grossissant de l'exclusion sociale consécutive à la montée du chômage et des inégalités entre riches et pauvres. Elle est cependant vécue par les jeunes maghrébins avec plus d'injustice dans la mesure où elle s'accompagne par un traitement institutionnel inégal et discriminatoire.
L'islam: une altérité diabolisée
Les flux migratoires doivent nécessairement être abordés dans le cadre des relations de l'occident avec les autres sphères culturelles et religieuses. Toutefois, ce qui frappe dans le traitement réservé aux minorités culturelles en Europe, c'est la fixation négative sur les minorités d'origine musulmane. Cette focalisation repose sur une affirmation qui nous paraît infondée: Les minorités musulmanes sont trop différentes et leurs valeurs culturelles sont incompatibles avec les cultures européennes. Cette idée est actuellement majoritaire non seulement chez une bonne partie de la population européenne, mais également dans les milieux politiques dans les médias et chez certains spécialistes qui donnent aux concepts de cultures incompatibles le sceau de la "science". Or plusieurs éléments factuels et historiques permettent de la réfuter.
Tout d'abord, il faut signaler que cette affirmation évacue complètement le fait que le respect des principes religieux est en déclin non seulement dans les pays d'origine, mais encore plus chez les jeunes de la deuxième génération (Tribalat, 1995). Ainsi, toutes les enquêtes réalisées en France démontrent que la pratique religieuse des jeunes maghrébins est très faible. L'enquête de Bariki (1986) souligne entre autres que l'islam chez les français d'origine maghrébine est vécu surtout comme un ensemble de traditions et repères identitaires à sauvegarder dans le cadre d'un processus conflictuel, mais très réel, d'intégration à la société française. L'intégration semble donc passer par un certain retour à l'islam moins en tant que rapport au divin que comme reconnaissance d'un fond culturel originel composé de coutumes qu'il faut maintenir dans la société française comme cela se passe dans d'autres communautés culturelles. Or, l'Europe championne des droits de l'Homme, laïque et pluraliste impose curieusement aux migrants des rives sud et est de la Méditerranée leur religion d'origine comme seule et principale identité.
Les thèmes de l'invasion démographique ou de la surpopulation étrangère alimentent régulièrement le débat sur l'immigration en Europe. Les statistiques démographiques montrent certes l'importance de la migration en provenance des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée en Europe. En effet, 65% des immigrés en France sont Maghrébins, 70% des immigrés en Allemagne sont turcs et Yougoslaves, 70% des immigrés aux Pays-Bas sont Turcs et Marocains et 45% des migrants en Belgique sont Maghrébins (Chaliand, Michel & Rageau, 1994). Mais, ces chiffres masquent le fait que le pourcentage des habitants nés à l'étranger en Europe reste faible comparée par exemple à l'Amérique du Nord.
Avec 3,6 millions d'étrangers recensés, dont 1,3 millions en provenance d'un des pays de l'Union européenne et 1,6 venus du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, la France " n'accueille pas toute la misère du monde " pas plus que l'Europe des Douze, qui comptait 10 millions d'étrangers pour 343 millions d'habitants. Elle ne court pas le moindre risque d'"invasion ", n'ayant jamais franchi, comme seuil, que celui de l'intolérance (De Brie, 1996).
Par ailleurs, l'affirmation d'une intégration impossible des minorités musulmanes exclut tous les liens historiques entre l'Europe et le monde arabo-musulman. Le peu de place accordée à la commémoration de l'expulsion des arabes d'Espagne a été à cet égard révélateur. De Zayas (1992) l'a remarquablement rappelé en parlant d'une amnésie historique organisée visant à marginaliser tout apport musulman en Europe. La situation dramatique des bosniaques et albanais rappelle également à l'Europe la présence séculaire sur sa carte géographique de populations musulmanes dans les Balkans où elles sont parfois majoritaires comme en Albanie, au Kosovo et dans certaines régions de la Yougoslavie, de la Bulgarie et de la Grèce.
Le troisième élément qui contredit la thèse de l'impossible intégration des migrants d'origine musulmane en Europe est l'émergence de plusieurs littératures issues des migrations du Sud. Nous le constatons en France avec les écrivains francophones comme Tahar Ben Jaloun, Amin Maalouf ou Azouz Begag. Au Royaume Uni, ce sont des écrivains originaires du sous-continent indien comme Salman Ruschdie qui émergent comme un des courants à part entière de la littérature anglaise. Tout en ne rejetant pas leur héritage arobo-islamique, ces auteurs participent pleinement à la revitalisation de la littérature européenne.
En bref, il nous semble que derrière l'argument d'incompatibilité culturelle, il y a la xénophobie banale et le racisme latent.
Vers une approche écoculturelle et historique de l'éducation des minorités culturelles en Europe
Sayad (1999) parle à juste titre d'une illusion collective vécue par tous les partenaires concernés par l'immigration: "Ce sont tout d'abord, les premiers intéressés, les immigrés eux-mêmes qui, entrés subrepticement et provisoirement (croyaient-ils) dans une société qu'ils éprouvent comme leur étant hostile, ont besoin de se convaincre, parfois contre les évidences, que leur condition est effectivement provisoire. Ce sont ensuite, les communautés d'origine (quand ce n'est pas la société d'émigration dans son entier) qui feignent de considérer leurs émigrés comme de simples absents: aussi longue que soit leur absence, ces derniers sont appelés de toute évidence (voire de nécessité) à reprendre, identiques à eux-mêmes, la place qu'ils n'auraient jamais dû quitter et qu'ils n'ont quitté que provisoirement. C'est enfin la société d'immigration qui, tout en ayant défini pour le travailleur immigré un statut qui l'installe dans le provisoire tant qu'il est étranger (en droit, même s'ils ne l'est pas toujours ou s'il l'est peu dans les faits) et qui, par là même, lui dénie tout droit à une présence qui soit reconnue comme permanente, c'est à dire qui soit autrement que sur le mode provisoire continué et autrement que sur le mode d'une présence seulement tolérée (aussi ancienne que soit cette tolérance), consent à le traiter, au moins tant qu'elle y trouve son intérêt, comme si ce provisoire pouvait être définitif ou pouvait se prolonger de manière indéterminée" (p. 52).
Tant que l'expansion économique, grande consommatrice d'immigration, avait besoin d'une main-d'oeuvre immigrée permanente et toujours plus nombreuse, tout concourait à faire partager cette illusion collective qui est à la base même de l'immigration. Mais, dés que ce besoin s'estompait, le débat s'enflammait sur les coûts culturels et sociaux de l'émigration.
Il nous semble que la clef de lecture du comportement scolaire et extrascolaire des jeunes d'origine maghrébine en France et plus largement en Europe peut être la notion de légitimité de présence. La légitimité est au coeur du contexte initial d'incorporation des migrants. Contextes colonial, néo-colonial ou égalitaire vont influencer la situation des jeunes d'origine étrangère. Ensuite, le traitement à l'école et dans la société et la perception que les minorités ont de ce traitement vont déterminer les relations entre minoritaires et majoritaires ou entre immigrés et autochtones. A ce propos, la question centrale à se poser est la suivante: est-ce que la présence du groupe minoritaire est l'objet d'un débat marqué par une suspicion persistante (ont-ils le droit d'être là?, Peut -on les renvoyer chez eux ou éviter qu'ils envisagent de venir s'installer chez nous?, leurs cultures sont éloignées de la notre? menacent-ils notre identité culturelle? etc...). Des réponses affirmatives à ce type de questions sont le ferment d'une intégration problématique et de comportements oppositionnels à l'école et en dehors de la part des minorités dominées. Le comportement des jeunes à l'école peut alors être décrit comme une stratégie de survie et un calcul rationnel selon le mode suivant: Quels que soient les efforts que je vais fournir pour m'en sortir (à l'école et dans la société en général), la société d'accueil ne m'offre pas les mêmes possibilités qu'aux autochtones, Quel que soit l'effort consenti, l'accès à la pleine citoyenneté est problématique ou perçu comme pratiquement impossible.
Dans les institutions scolaires, la notion de légitimité de présence se traduit par l'exigence de respect de la part des jeunes français en général et de ceux qui sont d'origine maghrébine en particulier. La notion de respect recouvre non seulement la nécessité de bâtir des rapports scolaires symétriques sans production de perdant ou d'humilié, mais aussi la reconnaissance de qualités respectables dans la culture d'origine.
Sur le plan individuel, il est donc nécessaire d'examiner la manière dont le jeune minoritaire perçoit sa présence par rapport au groupe dominant. Deux cas de figure peuvent se présenter. D'un côté, cette présence peut apparaître comme légitime, naturelle, allant de soi et à la limite équivalente à celle de l'indigène (citoyen de souche). De l'autre coté, cette présence peut apparaître comme tolérée, provisoire, saugrenue et dérangeante. Bien entendu, l'intégration sociale et scolaire de l'individu est directement influencée par la perception du degré de légitimité de présence.
Une présence minoritaire devient légitime dans le sens où la société et les groupes minoritaires et majoritaires l'incorporent positivement dans leurs représentations sociales. Ils n'ont pas besoin de lois où de signaux réguliers qui leur rappellent en permanence la légitimité de présence des minorités. En d'autres mots, cette dernière devient intériorisée et durable.
Sur le plan collectif, l'examen des termes initiaux d'incorporation et les traitements consécutifs subis par le groupe minoritaire permet de comprendre le sens de son insertion dans la société globale. Les émigrés compatibles, de qualité, non problématiques, invisibles (Asiatiques et Européens essentiellement, en bref euro-compatibles) sont ainsi nettement distingués des émigrés incompatibles, prolifiques, problématiques, visibles (Africains, Musulmans ou provenant d'un pays du Tiers-Monde). Traduite dans les termes de certains élus politiques, une telle évaluation des émigrés devient: l'invasion annoncée, les odeurs qui dérangent ou l'impossibilité de recueillir toute la misère du monde.
On peut même craindre que la volonté de construire une identité culturelle européenne ne s'accompagne par un déni de l'apport des jeunes d'origine non-européenne à cette identité. En effet, tout en se présentant comme alternative à l'hégémonisme culturel américain trop puissant et dont elle dépend sur le plan géopolitique, l'identité européenne risque de se forger dans l'opposition aux autres proches géographiquement, mais si différents et lointains culturellement. La méditerranée, mer ouverte dés l'antiquité risque sérieusement de se transformer en frontière infranchissable. Les mesures d'exclusion dont sont victimes les Maghrébins, quel que soit leur statut social, aux frontières, dans la rue, dans les services publics sont quotidiens.
L'analyse des principales formes de mobilisation des individus originaires du Maghreb fait apparaître que ces nouveaux venus dans l'espace national français n'acceptent plus de payer le prix de leurs nouvelles allégeances en reléguant dans la sphère réduite du privé leurs identités propres. Ces identités sont plurielles et composites, construites à partir de deux dimensions principales (la référence à l'islam et la mémoire coloniale et post-coloniale) conduisent à l'émergence de plusieurs allégeances possibles selon les générations, les parcours migratoires et les origines sociales (Cesari, 1994).
A l'instar des relations entre euro-américains et afro-américains aux USA, les relations entre français d'origine maghrébine et français de souche tendent à s'enfermer dans un cercle vicieux. Le groupe dominé et infériorisé (d'origine africaine ou maghrébine) tend à se refermer sur lui-même et ne parvient pas à transmettre à la société d'accueil une contribution culturelle cohérente et positive. Sa survie n'est possible qu'à travers une attitude oppositionnelle de révolte ou un enfermement stérile dans un repli communautaire ou religieux. S'écraser, s'aplatir équivaut à perdre la face et légitimer à la limite son statut d'infériorité sociale. Le groupe dominant quant à lui, trouve dans cette attitude négative d'opposition et de repli, des incitations supplémentaires à persévérer dans ses préjugés et stéréotypes racistes fortement ancrés depuis la période coloniale (Stora, 1999). Les comparaisons hâtives faites par les membres du groupe dominant avec les minorités sans problèmes, ou invisibles (les portugais en France, les asiatiques aux USA) contribuent à alimenter ce mur d'incompréhension qui empêche l'établissement de relations interculturelles symétriques.
Si l'adoption sans critique de concepts ou de théories élaborés aux USA est dangereuse, le conservatisme dans les recherches sur les populations issues de l'émigration ne peut que limiter la connaissance de ce phénomène riche et complexe. Sous prétexte de ne pas réveiller un racisme (en pleine activité!), une allergie idéologique à l'usage des catégories ethniques est fortement ancrée dans les recherches sur les migrations en France.
Conclusion
La présence de migrants maghrébins arrivés massivement en France dans les années 50 et 60, n'a pas posé de problèmes particuliers car elle était perçue comme provisoire des deux côtés de la Méditerranée. Mais quand le regroupement familial a été autorisé et que le nombre d'enfants nés en France a fortement augmenté, la présence des Maghrébins est devenue un enjeu politique et éducatif de premier plan. En dépit des prémisses d'un durcissement en ce qui concerne le code de la nationalité (avec le développement de l'idée que la nationalité, cela s'hérite ou se mérite) et les cris d'alarme lancés pour s'inquiéter du devenir de l'identité française menacée, il faut tout de même reconnaître que la France à l'inverse de ses voisins allemand ou suisse, a réussi une sorte d'intégration administrative de ses immigrés notamment ceux de la deuxième génération. Mais, elle n'est pas parvenue à mettre un terme à leur marginalisation économique, sociale et culturelle.
Tableau II - Eléments déterminants dans le comportement scolaires des jeunes maghrébins en France
(a) Croyances instrumentales |
(b) Croyances relationnelles |
(c) Croyances symboliques |
- avec ou sans formation, les perspectives d'avenir sont compromises
- il est possible de s'en sortir avec la débrouille, la magouille et les petits trafics dans le quartier
- les modèles auxquels les jeunes veulent s'identifier sont situés du coté de la musique (rai, rap, techno) et du sport (football, boxe)
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- combat pour l'école: pas d'implication forte pour réclamer la déségrégation des zones d'éducation prioritaire ZEP ou la nomination de membres originaires de la communauté maghrébine dans le corps enseignant ou à la direction des écoles
- les décideurs à l'intérieur de l'école n'ont pas beaucoup d'expérience avec la culture d'origine, ils véhiculent à son égard une attitude de mépris teintée de paternalisme
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- la langue et la culture d'origine sont peu valorisées par l'école (par exemple: absence totale d'une discussion sur l'opportunité d'une éducation bilingue français-arabe)
- le curriculum scolaire est pas neutre ou négatif par rapport à la culture maghrébine
- étiquetage fort en termes de mauvais élèves potentiels
- ceux qui réussissent s'éloignent du groupe culturel notamment au niveau du logement
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Au terme de cette tentative d'application de la théorie de J. Ogbu aux jeunes d'origine maghrébine en France (Cf. tableau II), il nous semble important de souligner le potentiel important que cette théorie procure pour faire avancer la connaissance des phénomènes migratoires et d'acculturation. Par son caractère dynamique et par nature interdisciplinaire (histoire, sociologie, anthropologie, psychologie), cette théorie permet d'éclairer le paradoxe de l'éducation dans une société multiculturelle. En effet, tout se passe comme si toutes les pratiques éducatives interculturelles à l'école sont annihilées par le poids de l'histoire et des relations de pouvoir dans la société.
Si la culture musicale des jeunes (par exemple la diffusion du raï ou du rap) en France peut paraître un élément de rassemblement au-delà des frontières ethniques, il n'en demeure pas moins que cette world music est récupérée par les forces mercantiles qui l'épurent de tout message de révolte et d'opposition politique.
La théorie interculturelle de Ogbu nous paraît particulièrement pertinente pour analyser le processus d'acculturation des jeunes minoritaires dans de multiples contextes. Si la classification des groupes minoritaires en catégories volontaires et involontaires peut paraître rigide et parfois difficilement appliquable en dehors du contexte américain, elle n'est qu'une illustration des termes historiques d'incorporation des groupes minoritaires. Esclavagisme, puis ségrégation institutionnelle et résidentielle pour les afro-américains aux USA. En France, colonialisme, dépendance post-coloniale et incompatibilité religieuses pour les Maghrébins.
Pour compléter la théorie de Ogbu et l'adapter au contexte européen, il faut également tenir compte de trois éléments supplémentaires: (a) le poids démographique des émigrés et de leurs pays d'origine, (b) la diffusion transnationale au niveau européen de politiques migratoires répressives et (c) le concept de légitimité de présence que nous avons développé dans ce texte.
Parler des limites de l'intégration par l'école peut paraître à la fois comme provocateur et démobilisateur. En effet, l'école est souvent présentée comme la solution miracle pour intégrer les minorités et en faire des citoyens égaux. L'école peut certes combattre par exemple la discrimination à l'intérieur des classes. Mais, aucune institution (y compris l'école) ne peut être isolée de la société et de l'histoire même si l'école obligatoire s'est souvent déconnectée de la société en travaillant exclusivement sur le plan cognitif. Cette déconnexion est éphémère et n'est pas susceptible de changer durablement les structures mentales des individus. Ces derniers sont le produit de leur histoire culturelle et une anticipation de leur futur politique.
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